Bach et l’inspiration italienne : stimulant programme concertant

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Virtuosi. Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Concerto [pour trois violons] en ré majeur BWV 1064r ; Concerto [pour hautbois et violon] en ut mineur BWV 1060r ; Concerto [pour deux violons] en ré mineur BWV 1042 ; Concertos pour orgue en sol majeur BWV 592, en ut majeur BWV 595. Johann Gottfried Walther (1684-1748) : Concerto pour orgue en ré mineur [Allegro, fragment de Torelli]. Johann Ernst von Sachsen-Weimar (1696-1715) : Concerto pour violon en si majeur BWV 983. David Castro-Balbi, Raphael Hevicke, violon. Clara Blessing, hautbois. Jörg Reddin, orgue. Thüringer Bach Collegium, Gernot Süßmuth, violon et direction. Octobre 2020. Livret en allemand, anglais. TT 66’44. Audite 97.790

Le concept n’est pas neuf : illustrer l’influence italienne dans la musique du Cantor, et comment celui-ci se l’appropria en copiant les modèles et en les dépassant (imitatio, aemulatio) par sa science contrapuntique et harmonique. Moins banale : l’idée d’inclure un compositeur qui inspira Bach. Non pas Vivaldi mais un aristocrate mélomane disparu à l’âge de dix-huit ans, auquel le Thüringer Bach Collegium consacra son tout premier CD en 2018. Lors de ses études à Utrecht et son grand tour aux Pays-Bas, important centre d’édition (L'Estro armonico fut publié à Amsterdam en 1711), le jeune Prince von Sachsen-Weimar accéda à maints concertos transalpins qu’il fit copier pour la Cour de son oncle. C’est dans ce style qu’il écrivit quelques pages élues à la postérité en ce que Bach les transforma, notamment dans deux Orgelkonzerte (BWV 592 et 595) entendus ici sur les tuyaux de l’église d’Arnstadt où se déroula l’enregistrement. On aurait aimé que le livret dise un mot de la console. Un mystère entoure l’auteur transcrit dans le BWV 983 dont l’essence évoque une latinité de seconde main. Le disque n’hésite pas à l’attribuer à Johann Ernst et s’aventure dans une hypothétique et convaincante reconstitution de l’original.

L’album documente une autre étape d’assimilation de l’esthétique italienne relevant de la période de Köthen : le BVW 1043 à deux violons, le BWV 1060 dans sa mouture reconstruite pour hautbois et violon, et le BWV 1064 (couramment entendu pour trois clavecins) ici dans sa parure à trois violons dont Rachel Podger avait déjà gravé une splendide version (Channel Classics). Dans cet opus, les trois solistes (Gernot Süßmuth, David Castro-Balbi, Raphael Hevicke) irradient par la finesse et la cohésion des archets. On pourrait y mettre davantage de théâtre, mais y conjoindre tant de précision et de célérité dans les allegros relève de l’exploit. L’accompagnement répond au quart de tour, à la fois frénétique et millimétré : le violoncelle de Dagmar Spengler-Süßmuth, la basse électrisante de Christian Bergmann contribuent à cet élan rythmique qui souffle une bourrasque où le clavecin de Dominik Beykirch incruste ses paillettes.

Le premier mouvement du BWV 1060 aurait supporté un lyrisme plus charismatique, mais la prestation de Clara Blessing paie en digne sensibilité. Et l’interprétation du Final fait des étincelles ! Moins un regret qu’un conseil : les deux concertos pour orgue de Bach méritent d’être écoutés à part en raison de la nature inertielle de l’instrument qui semble gourd entre les opus orchestraux, alors que le phrasé de Jörg Reddin n’est pas en soi malhabile. Ces incursions organistiques, quoique justifiées par le concept du disque, en déparent l’intérêt et la cohérence à l’écoute : on aurait préféré des arrangements pour clavecin piochés au catalogue BWV972-987 qui eux-aussi relèvent de l’imitatio et se seraient mieux coulés dans la physionomie de ce récital. En revanche, inclure un fragment de Johann Gottfried Walther d’après Torelli avère que la vogue de l’italianità n’a pas produit que des chefs d’œuvre. On convoitera donc ce programme pour l’époustouflante démonstration des concertos pour violon où Gernot Süßmuth défie les limites de la virtuosité, épaulé par des complices et une équipe qui carburent à la même vitamine.

Son : 9 – Livret : 8 – Répertoire : 6-10 – Interprétation : 7,5-10

Christophe Steyne

 

 

 

 

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