Dossiers

Un sujet musical abordé selon différents points de vus et, souvent, différents auteurs.

Lanzelot de Paul Dessau, retour sur une production éditorialement majeure 

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Le label berlinois Audite propose un enregistrement du rare Lanzelot du compositeur Paul Dessau (1894-1979), par les forces musicales du Théâtre National de Weimar sous la direction de Dominik Beykirch. Cette parution est tirée d’une production scénique mise en scène par  Peter Konwitschny qui a remporté un grand succès. Crescendo a voulu en savoir plus sur les coulisses de cette parution importante pour notre connaissance du répertoire lyrique du XXe siècle. Nous remercions vivement Bettina Bartz, dramaturge ; Hans-Georg Wegner, ancien  directeur pour l’opéra au Deutschen Nationaltheater de Weimar (DNT) et Susann Leine, du service communication du DNT pour leurs précieuses contributions à cette interview. 

Qu'est-ce qui a motivé le Théâtre National de Weimar à programmer une nouvelle production et à enregistrer ce Lanzelot de Paul Dessau ? 

 Nous étions à la recherche d'une œuvre pour une coproduction avec l'Opéra d'Erfurt. Hans-Georg Wegner, notre directeur de l'époque, s'est souvenu que le metteur en scène Peter Konwitschny cherchait depuis de nombreuses années une maison avec laquelle il pourrait monter l'opéra Lanzelot. Peter Konwitschny connaissait très bien les auteurs de cet opéra légendaire, il connaissait donc l'esprit dont l'œuvre était issue.

Quelles étaient les intentions et la conception de la mise en scène de Konwitschny  ? 

Pour nous, le plus important était que la production ne porte pas un regard nostalgique sur l'époque où cet opéra a été écrit, mais qu'elle prouve sa validité encore aujourd'hui. En RDA, le dragon était au centre, en tant que symbole de l'État de surveillance dictatorial. Dans la production de Peter Konwitschny, le centre d'intérêt s'est déplacé : le public a eu l'impression d'être impliqué, car le metteur en scène a mis l'opéra en scène comme l'histoire d'une société installée dans des conditions intenables et mauvaises et qui a peur d'y changer quoi que ce soit. Ce n'est pas tant l'histoire du dragon d'aujourd'hui, mais celle d'un peuple accomodant et craintif, qui sait que tout est faux mais qui préfère un peu de sécurité à l'audace de la liberté. C'était très excitant de voir que cette véritable œuvre d'art peut être lue encore et encore. Dans notre production, l'énorme quantité de percussions fait partie du dragon (8 percussionnistes supplémentaires sur scène). Ainsi, la partie agressive et brutale de la musique constitue, avec évidence, un symbole du pouvoir oppressif et ne peut pas être considérée comme un manque de compétences du compositeur à écrire de la belle musique.

Quelles sont les qualités musicales et dramaturgiques de ce Lanzelot

La liste est trop longue pour être précisée ici. Dessau était un compositeur qui connaissait bien le domaine de l'opéra. Il a utilisé toutes ses connaissances pour écrire des scènes courtes avec une action complexe et une "musique de scène" toujours adaptée à la scène, au sens profond de l'action. Sa musique ajoutait une deuxième "couche" aux mots du livret. Le livret de Heiner Müller, quant à lui, était suffisamment concis pour laisser la place au compositeur. 

Qu’est ce qui vous a motivé à réaliser un enregistrement audio  de cette production ? 

Après que nous ayons communiqué sur le projet de produire scéniquement cet opéra, un responsable de la station de radio publique MDR Kultur nous a approchés avec la proposition de réaliser une captation live de la production qui serait ensuite diffusée. Nous avons estimé qu'il s'agissait d'une excellente occasion de faire connaître cet opéra à un public plus large. Le Label Audite a utilisé cet enregistrement pour l'album. 

Sophie Pacini, un récital en forme de puzzle 

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La  pianiste Sophie Pacini, qui fut jeune artiste des International Classical Music Awards 2017, fait paraître un nouvel album intitulé Puzzle (Fuga Libera).  Ce récital propose un parcours personnel avec des œuvres de Chopin et de Scriabine. Crescendo Magazine est heureux d’échanger avec cette formidable musicienne. 

Votre nouvel album s'appelle "Puzzle" ? Pourquoi avoir choisi ce titre ? 

J'ai décidé, le plus honnêtement possible, de mettre ma vie à l'envers, d'être moi-même et de laisser mes émotions attacher les pièces du puzzle qui forment ma vie jusqu'à présent à une chaîne de notes. Nos concerts sont basés sur des souvenirs, des impressions et des attentes qui sommeillent en nous comme la somme de nos expériences, de nos vies. J'en fais ici l'expérience à travers la musique de Chopin. C'est clairement ainsi que Scriabine se voit dans Chopin -c'est ainsi que la musique de film est créée et que les images apparaissent dans le miroir de ce que nous entendons ; c'est ainsi que la perception se développe et que la bande sonore de nos vies est créée.

Vos albums ont souvent des titres, est-il important pour vous de vous raconter une histoire au-delà de la musique ? 

Pour moi, il existe une combinaison naturelle entre la musique et les événements quotidiens de ma vie. Chaque composition partage une histoire en soi, chaque jour de la vie qui passe laisse une trace et, ensemble, ils créent comment la musique se fixe dans ma moëlle et comment ils créent un titre de souvenirs. Les couleurs et les images que je relie aux morceaux et à l'ensemble du programme que je choisis font également partie de cette histoire. La musique classique peut s'expliquer d'elle-même au moment où vous l'écoutez, mais avant cela, il y a un titre qui doit conduire et attirer l'auditeur potentiel vers une certaine route d'attentes pour rejoindre ce voyage très personnel de mon album. Et ainsi être capable de flotter à travers les chapitres de sa vie et les chambres de son âme. 

Cet album contient des œuvres de Chopin et de Scriabine. Pourquoi ces deux compositeurs ? 

Chopin est l'un des compositeurs qui m'ont aidé à grandir émotionnellement et c'est aussi un compositeur avec lequel j'ai partagé beaucoup des chapitres les plus formateurs de mon développement pianistique. Il a été une épaule sur laquelle m'appuyer pendant mon adolescence et a fait partie intégrante de tous mes programmes de concert. Sans Chopin, je ne peux exister. Et Scriabine offre une fenêtre sur le monde après Chopin, un aperçu provisoire d'une époque de déclin, d'oubli, de regards lugubres vers le passé, de complaisance et d'un faible espoir que la vue du squelette du nouveau siècle ne soit qu'une phase. J'ai donc voulu attirer l'attention sur ce compositeur, pour moi totalement "sous-représenté" dans les concerts, en utilisant le projecteur de Chopin. Car Scriabine est pour moi une facette complète de l'héritage de Chopin, développant et créant une nuance tonale unique du présent dans le miroir du passé et du futur dans le miroir du présent.

Jérémie Conus, à propos de la musique pour piano d’Arthur Honegger et Frank Martin 

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Le pianiste  Jérémie Conus fait paraître un premier album  qui propose des œuvres pour piano des compositeurs  Arthur Honegger et Frank Martin (Prospero). Ce choix éditorial qui sort des sentiers battus est remarquable et Crescendo-Magazine a voulu en savoir plus. Rencontre avec un jeune musicien épatant. 

Qu'est-ce qui vous a orienté vers l'enregistrement de cet album consacré à des œuvres d'Arthur Honegger et Frank Martin ? 

La musique de ces deux compositeurs m'est particulièrement proche. Il y a quelques années, en m'intéressant de plus près à la musique pour piano de différents compositeurs suisses, j'ai appris à mieux connaître la musique d'Arthur Honegger et de Frank Martin et je suis immédiatement tombé sous le charme de leurs univers sonores incroyablement riches et intenses. Parallèlement, la légèreté et l'élégance françaises de certaines pièces d'Arthur Honegger m’ont beaucoup touché. Bien qu'Honegger ait longtemps orné notre billet de 20 francs et que nous le considérions très volontiers comme citoyen suisse, nous ne devons pas oublier qu'il a vécu et travaillé en France pendant la plus grande partie de sa vie. Cette fibre française est donc facile à reconnaître  dans sa musique. 

Depuis mes premières rencontres avec les œuvres de ces deux compositeurs, ils occupent une place de choix dans mon activité musicale, et l'on retrouve l'une ou l'autre de leurs œuvres dans la plupart de mes programmes solo. J'ai donc assez rapidement décidé de consacrer mon premier CD à ces deux compositeurs.

C'est une proposition éditoriale courageuse pour un premier disque. Était-il important de sortir des sentiers battus et de faire cet album au programme original ? 

Oui et non. Pour cette production, il ne s'agissait pas en premier lieu de créer quelque chose d'original pour le seul plaisir d'être original. C'est plutôt que je me suis personnellement senti très attiré par la musique de Honegger et Martin, me sentant très à l’aise dans leur univers musical. C'est pourquoi l'enregistrement de cette musique était en premier lieu un souhait purement personnel. Le fait que cette musique soit comparativement moins jouée, et encore moins enregistrée, m'a encore plus conforté dans mon projet. Je voulais contribuer activement à faire connaître cette musique extraordinaire à un plus large public.

Est-ce qu'il y a des points communs entre les univers pianistiques de ces deux grands compositeurs que sont Arthur Honegger et Frank Martin ?

Les deux compositeurs ont en commun le fait qu'ils ne sont pas connus en premier lieu pour leur œuvre pour piano. On connaît davantage leur musique vocale et scénique (Le vin herbé (Martin), Le roi David (Honegger), ou encore les 5 symphonies de Honegger. L'œuvre pour piano des deux compositeurs se compose principalement de pièces de caractère plutôt courtes, la Fantaisie sur des rythmes Flamenco (Martin) et la Toccata et Variations (Honegger) constituant ici les seules exceptions. D'un point de vue stylistique, on peut parfois retrouver quelques points communs, tels que l'utilisation fréquente, malgré un langage musical plus moderne, d'accords majeurs et mineurs pour ainsi dire très traditionnels, enchaînés d'une manière inédite. Mais comme ils ont tous deux leur propre langage individuel, cela ne se remarquera sans doute qu'avec une approche analytique attentive de leurs œuvres et non pas lors d’une « simple » écoute.

Est-ce qu'il y a une dimension "suisse" dans l'œuvre de ces deux compositeurs ? 

C'est une question très intéressante que je me suis posée à plusieurs reprises au cours des dernières années. Ce qui est particulièrement frappant dans la musique, c'est le fait que la petite Suisse a été fortement exposée aux influences de ses grands voisins, et l'est encore à certains égards. En l'absence de grands centres culturels en Suisse à l’époque, de nombreux artistes se sont tournés vers l'étranger. Ainsi, Honegger a travaillé une grande partie de sa vie à Paris et était membre du « Groupe des Six » (l'association de six compositeurs, parmi lesquels figuraient notamment Francis Poulenc et Darius Milhaud). On retrouve donc dans la musique de Honegger de nombreuses caractéristiques stylistiques françaises. 

Frank Martin, quant à lui, s'est installé aux Pays-Bas, même si ce n'est qu'après une longue période de création en Suisse. Si l'on peut reconnaître dans sa musique de nombreuses influences du romantisme français (Fauré et Franck), sa musique présente de manière plus évidente encore des caractéristiques de l'école expressive d'Arnold Schönberg. 

Il est donc difficile de parler d'une véritable dimension helvétique dans l'œuvre de ces deux compositeurs. Personnellement,  si l’on tient compte de la modestie d’un petit pays tel que la Suisse, j’aurais envie de dire qu’on pourrait voir une « spécificité suisse » dans leurs tendances à une forme de musique plutôt réduite (du moins dans leur œuvre pour piano),  ou encore au travers de leur modestie envers une virtuosité instrumentale excessive. 

Alain Altinoglu, à propos de César Franck 

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C’est sans aucun doute, la parution symphonique majeure des célébrations du bicentenaire de la naissance de César Franck : un album intégralement symphonique par l’Orchestre de la Radio de Francfort (Hr-Sinfonieorchester)  sous la direction de son directeur musical Alain Altinoglu. Ce disque propose la Symphonie en ré mineur, le poème symphonique Le Chasseur Maudit et la symphonie de Rédemption (1ère version de 1872) dit Ancien Morceau symphonique, partition redécouverte par le musicologue Joël-Marie Fauquet.  A  l'occasion de la sortie de ce disque, Alain Altinoglu répond aux questions de Crescendo-Magazine. 

Qu’est ce que représente César Franck pour vous ? 

J’ai rencontré la musique de César Franck alors que j’étais très jeune. Ce premier contact s’est fait par sa musique d’orgue. Comme je suis d’origine arménienne, j’allais à la messe à l’Eglise arménienne catholique dans le Marais qui s’appelle désormais Saint-Jean-Sainte-Croix et où j'ai joué l’orgue. Il se trouve qu’au XIXe siècle, cette église nommée Saint-Jean-Saint-François et dont l’orgue est l’un des premiers Cavaillé Coll construits à Paris, est liée à Franck car le compositeur en fut titulaire ! J’ai joué sur cet instrument dont l’un des tuyaux, au-dessus la console, est gravé d’une phrase qui signale que l’instrument fut joué par Franck !  Quelques années plus tard, j’ai pratiqué ses Variations symphoniques à l’occasion de l'examen pour l'obtention de mon prix au CRR de Saint Maur. Ma professeur m’avait suggéré de jouer ces Variations symphoniques comme pièce de concerto. Depuis que je suis en Belgique, je me suis de plus en plus intéressé à Franck et j'ai approfondi ma connaissance de sa musique et de sa biographie.  

César Franck est né à Liège, ville frontière des mondes latins et germaniques. Sa musique, et sa symphonie en particulier, a été jouée et enregistrée tant par des chefs de l’école franco-belge (Cluytens, Munch, Monteux, Paray,...), que par des chefs issus de la tradition germanique (Furtwangler, Karajan, Masur)... César Franck, et sa symphonie, sont-ils latins ou germaniques ? 

Étant en Belgique, j’ai mieux compris César Franck. Il a quelque chose de très belge, dans ce pays situé géographiquement entre la France et l'Allemagne. C’est certes très schématique d'énoncer cette évidence, mais il y a quelque chose dans le son, que j’essaie de cultiver à La Monnaie : un son qui n’est ni français, ni allemand. C’est pareil dans la musique de César Franck, il y a quelque chose dans la ligne mélodique et dans le rubato, qui est proche musique française, mais si on regarde dans l’architecture, l’harmonie, dans la manière d'orchestrer, nous sommes plus proches des grands compositeurs allemands.  Il faut être attentif à cet équilibre car je pense que cela ne marche pas si on va soit trop dans un sens, soit trop dans un autre.  C’est ce que j’ai tenté de faire dans notre approche pour cet enregistrement. Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que Franck a pas mal changé au cours de sa vie. Il est intéressant de noter qu’il a écrit ses œuvres les plus lyriques et les plus romantiques à un âge avancé, quand il tombait amoureux de ses élèves.  Ce mélange de maturité et d’élan amoureux romantique tardif,  est intéressant à faire ressortir.   

Ivan Ilić, à propos de Joseph Jongen 

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C’est un événement majeur dans le domaine du patrimoine musical belge  : le pianiste Ivan Ilić fait paraître, chez Chandos, un album intégralement consacré à des œuvres pour piano de Joseph Jongen, l’un des plus grands compositeurs belges. Alors que cet enregistrement contribuera sans nulle doute à la reconnaissance internationale de ces chefs d'œuvre, Crescendo Magazine échange avec ce brillant musicien, infatigable explorateur du répertoire.  

Vous faites paraître un nouvel enregistrement consacré à des œuvres pour piano solo du compositeur belge Joseph Jongen. Qu'est-ce qui vous a conduit à ce choix qui sort des sentiers battus ?

J'ai découvert Jongen par hasard, en faisant des recherches sur les compositeurs anglais du début du XXe siècle. C'était pendant la pandémie, alors que j'écoutais beaucoup de musique, et j'ai immédiatement contacté la bibliothèque du Conservatoire de Bruxelles pour essayer d'obtenir les partitions. Mais les échanges étaient un peu long ! C'était donc frustrant, au début, mais cela m'a poussé à vouloir encore plus les partitions. 

Une fois que j'ai eu les partitions, j'ai eu l'impression que toute la musique que j'avais jouée auparavant -en particulier la musique française- m'a donné les outils nécessaires pour donner vie à la musique de Jongen, tout naturellement. 

Apprendre la musique lentement, écouter ses inflexions harmoniques subtiles, c'était comme goûter un nouveau fruit merveilleux. 

Quelle est pour vous la place de Jongen dans l'histoire de la musique ?

Jongen a écrit une musique finement travaillée dans un style qui commençait à perdre de sa popularité de son vivant : la musique "impressionniste". Mais ses œuvres comme l'Opus 69 sont parmi les plus belles pièces que je connaisse dans ce style. 

C'est une figure déroutante parce qu'il était aussi un professeur de contrepoint, et qu'il était l'un des seuls compositeurs à maîtriser absolument les deux styles. Je suis convaincu que s'il était français et non belge, il serait beaucoup plus joué et enregistré, et sa musique serait étudiée par des dizaines de milliers d'étudiants. 

Et bien sûr, s'il avait écrit certains de ces morceaux 30 ans plus tôt, il serait salué comme un génie.  Au lieu de cela, il est presque complètement oublié en dehors de la Belgique. 

Je ne me prononcerais pas sur sa place dans l'histoire de la musique, mais je dirais que sa musique a eu un impact profond sur moi. 

Qu'est-ce qui vous a motivé à enregistrer spécifiquement ces "Préludes" et "petits préludes" ? Y a-t-il une filiation stylistique avec ceux de Debussy ?

J'ai eu un premier coup de cœur pour l'un des Préludes de l'Opus 69 intitulé “Nostalgique”, où le fa dièse répété rappelle Le Gibet de Ravel.  

Au-delà de cette référence superficielle, le morceau est plus Ravel que Debussy car les harmonies sont plus "épaisses", plus comprimées, avec des dissonances plus empilées. Chez Debussy, les accords ont tendance à être plus espacés, avec une sensation d'espace et d'air. 

Gérer les équilibres dans les accords, c'est comme essayer de trouver le bon assaisonnement quand on cuisine. Cela demande beaucoup de pratique, et vous n'y arrivez presque jamais. Cela change également de façon marquée d'un piano à l'autre. Jouer du Jongen vous fait prendre conscience de la qualité du piano sur lequel vous jouez, quels registres sonnent bien, lesquels ne sonnent pas bien. J'ai développé une obsession pour “Nostalgique”, avant d'apprendre les autres Préludes de l'Opus 69, qui semblent spirituellement proches des Etudes de Debussy et peut-être des passages des Miroirs de Ravel.

Les Petits Préludes peuvent, à première vue, sembler être des "œuvres mineures", mais pour moi, ils sont probablement encore plus intéressants, en raison de la façon dont Jongen distille tant de musique en seulement une ou deux minutes, et de la façon dont il franchit les frontières stylistiques avec une telle fluidité. Certains morceaux ressemblent à Jean-Sébastien Bach, à Fauré, à Poulenc, à Scarlatti, à Rachmaninov... C'est tellement éclectique et cela ne peut avoir été écrit que par Jongen, au milieu du 20e siècle.

Les Concerts de Midi célèbrent leur 75 ans, rencontre avec Guy van Waas

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Le 15 janvier 1948, inspirée par le modèle londonien, Sara Huysmans organisait dans notre capitale les premiers Concerts de Midi belges, aux Musées Royaux des Beaux-Arts, à l'heure du déjeuner. Un rendez-vous très prisé dans le Bruxelles d'après-guerre. 75 ans plus tard, les Concerts de Midi sont une institution dans le paysage musical bruxellois. A l’occasion de cette célébration, Guy van Waas et Dirk Vermeulen, les directeurs artistiques, ont concocté un événement festif : rendez-vous ce 15 janvier.   

Les Concerts de Midi célèbrent leur 75e anniversaire avec une journée spéciale. Comment avez-vous concocté  cet événement ? 

Une chose était évidente pour nous : il fallait rejouer l'oeuvre présentée lors du premier concert, le 15 janvier 1948. Les programmes de l'époque étaient moins précis que ceux que nous recevons actuellement. On y a trouvé : Programme Beethoven, par le Quatuor Gertler et puis le nom des 4 musiciens (clarinette, cor, basson et contrebasse) qui nous mènent très évidemment vers le Septuor op. 20. Nous avons ensuite voulu rendre hommage à celui qui fut pendant de nombreuses années le directeur artistique des Concerts de Midi, l'excellent pianiste Jozef De Beenhouwer. Nous avons également voulu inviter un sextuor de mains de pianistes sur un seul piano ! Le Trio MNM se joint à la fête avec un de leurs très brillants et ludiques programmes, accessibles à tous. 

Est-ce qu’il y aura d’autres évènements festifs au cours de la saison ? 

Toute cette saison est une grande fête. Le public et les artistes sont très heureux de revenir aux Concerts de Midi et donc, chaque jeudi est festif ! 

Quel regard rétrospectif portez-vous sur cette aventure musicale et sa place dans la vie musicale bruxelloise ? 

L'idée de Concerts de Midi à Bruxelles avait déjà été émise en 1940. Mais c'est le séjour à Londres du gouvernement belge pendant la Seconde Guerre mondiale qui va montrer l'importance de "lunch concerts" à Sarah Huysmans (fille de Camille Huysmans, l'éminent homme politique) qui s'est empressée de mettre en route de tels concerts à Bruxelles. En ces temps-là, les pauses de midi étaient longues et obligatoires et remplir ce temps par de la culture (Sarah Huysmans a également mis sur pied les Midis de la Poésie) avec la possibilité d'un "lunch" très bon marché a été un moteur culturel important à Bruxelles. L'accès à la culture était par ailleurs beaucoup plus restreint et ces évènements du midi ont largement contribué à la curiosité artistique de bien des gens. Le succès de ces activités a été énorme, à tel point qu'à un moment donné on a dédoublé certains concerts, la jauge des 450 personnes étant dépassée!

Le Trio Aries, jeune ensemble belge de musique de chambre 

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Le Trio Aries (Alice Van Leuven, violon ;  Paul Heyman, violoncelle  ; Wouter Valvekens, piano) est un jeune ensemble de musique de chambre belge des plus intéressants. Il sera en concert dans le cadre du CPE Festival, le 14 janvier prochain. Crescendo Magazine s’entretient avec la violoniste Alice Van Leuven pour évoquer le parcours et les projets de ces musiciens.   

La première question est biographique. Comment vous êtes- vous rencontrés et comment avez-vous décidé de fonder cet ensemble ? 

Le monde de la musique de chambre en Belgique est relativement petit. Nous sommes tous les trois passionnés de musique de chambre et partagions l’envie de fonder un ensemble, nous étions donc amenés à nous rencontrer. 

Nous n’avons pas étudié ensemble, ni même dans le même pays. C’est grâce au bouche à oreille que nous avons entendu parler l’un de l’autre même si Wouter (pianiste) et moi nous connaissions auparavant. Nous avons organisé trois concerts en un week-end pour voir si ça « collait » comme on dit. Suite au succès de ces trois concerts et aux encouragements du public et de nos proches, nous avons décidé de fonder le Trio Aries. Nous avons, dans la foulée, enregistré le premier trio de Mendelssohn en live (avec vidéo) à l’Université des arts de Berlin où j’étudiais alors le violon. Le trio est né de ces expériences. 

Qu’est-ce qui vous a attiré vers la musique de chambre, car c’est un domaine où on voit relativement peu de jeunes ensembles en Belgique ?         

L’envie de fonder un groupe qui s’inscrirait sur le long terme et au sein duquel chacun puisse s’épanouir constitue la base de notre projet. Nous souhaitions tous les trois travailler ensemble pour atteindre une grande symbiose, à la manière des quatuors à cordes.

Ce qui nous a attiré tous les trois vers la musique de chambre, c’est bien sûr avant tout la richesse du répertoire. Le trio à clavier offre de multiples possibilités aux compositeurs. Le mariage des instruments à cordes avec le piano permet justement de palier les « manquements » éventuels de ces instruments pris à part. Les cordes, de tessitures graves et aiguës, permettent les longues phrases lyriques tandis que le piano apporte bien souvent la richesse harmonique et une dimension presque orchestrale à l’ensemble. Et les rôles sont bien évidemment aussi inversés : les cordes accompagnent un piano concertant ou forment une texture sonore commune à la manière d’un quatuor à cordes réduit. 

Pour moi comme pour mes collègues, le choix de la musique de chambre s’est imposé comme une évidence. Dans le monde d’aujourd’hui, il faut se montrer flexible et continuellement s’adapter aux circonstances. Les musiciens n’y échappent pas ! La musique de chambre est une très bonne école pour développer ces qualités. En ces quelques années d’existence, je pense que nous avons tous le trois appris énormément dans d’innombrables domaines : les aptitudes purement musicales bien sûr (qui restent en constante évolution) mais également le développement personnel, le travail d’équipe, la communication etc. La musique de chambre est une véritable école de vie. A noter également qu’aucun de nous ne fait que ça, le métier étant malheureusement très peu lucratif… Nous sommes tous les trois professeurs et nous nous produisons également en tant que solistes ou avec d’autres ensembles. 

La musique de chambre est pour moi la manière la plus intense de ressentir la musique. C’est très personnel, j’imagine que d’autres personnes seront peut-être plus touchées par l’orchestre ou par des solistes. Pour moi, l’échange d’idées musicales en petit groupe a toujours été le plus chargé émotionnellement. 

Işıl Bengi et le feu intérieur en musique 

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La pianiste Işıl Bengi fait paraître un album intitulé “le feu intérieur”, un parcours musical personnel à travers des œuvres de Clara Schumann, Enrique Granados, Mili  Balakirev et Marko Tajčević. Crescendo Magazine s’entretient avec cette musicienne qui aime s’affranchir des frontières entre les genres et les styles. 

Votre nouvel album est titré “le feu intérieur”. Pouvez-vous nous expliquer ce concept ? Comment  se traduit-il en musique ?  

Au départ, il n'y avait pas vraiment de concept, j’avais envie de faire quelque chose et je me suis mise  en action. Après avoir vécu une période assez traumatisante, je ressentais beaucoup de colère, de  déception, de désespoir, et de doutes,... C’était écrasant d'être confrontée à des situations où l'on se  sent impuissante, à l'extérieur et parfois seule...  

Dans ces moments-là, il y a heureusement une flamme intérieure qui nous pousse à continuer, à  créer, et à croire. C’est cette flamme qui m’a guidée et inspirée pour tisser le répertoire de cet album. J’ai choisi des œuvres qui contiennent des tensions et des contrastes, et ouvrent un grand espace d’expression pour toutes sortes d’émotions et de ressentis. Il y a moyen de créer des tourbillons,  des tornades, des tempêtes, des ouragans, où les moments de silence deviennent très précieux et  poussent à être entendus et écoutés… C'est un répertoire qui permet de descendre au plus profond  de soi et de réveiller une grande énergie qui peut créer ou détruire. Comme le feu lui-même : il peut  chauffer et brûler... C'est donc un choix pour chacun.  

Dans la liste des artistes représentés sur cet album, il y a Clara Schumann, Enrique Granados, Mili  Balakirev mais également le Serbe Marko Tajčević. Ce dernier est bien moins connu, comment avez-vous découvert sa musique ? 

J’ai une grande soif de découvrir tout ce qui est invisible et moins connu. J'avais découvert la  musique de Marko Tajčević sur YouTube lorsque je me baladais à écouter des œuvres de  compositeurs dont on ne parle pas beaucoup. Tajčević a surtout composé des œuvres inspirées de la musique folklorique. Mais ses Variations en do mineur pour piano sont complètement à part. Quand  je les ai entendues, je ne pouvais pas croire qu'elles n'étaient pas plus jouées. Elles ont une intensité  dramatique, et techniquement, elles sont assez exigeantes. Je voulais travailler cette œuvre et la faire entendre au plus grand nombre. 

Vos précédents albums portaient déjà des titres et proposaient des parcours à travers des œuvres  connues et moins connues. Est-il important pour vous qu’un album raconte une histoire ? 

Oui, il est essentiel pour moi qu'un album raconte une histoire. C'est tout aussi intéressant et  important de faire des albums de catalogue. En tout cas, dans mon parcours d’aujourd'hui, je veux apporter une expérience d'écoute d'un album où, du début à la fin, on est emporté, notre curiosité est  suscitée, on est parfois choqué, parfois émerveillé,.... C'est comme si nous entrions dans un monde  étrange où différents styles, ambiances, couleurs, même opposés par moments, se retrouvent ensemble, se marient et s'harmonisent.  

Roland Hayrabedian, dans les jardins de la musique de notre temps 

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Personnalité majeure de la musique vocale en France, Roland Hayrabedian est le fondateur et le directeur artistique de l’ensemble vocal Musicatreize. Cet ensemble, basé à Marseille, porte haut la musique vocale et la création contemporaine. Crescendo Magazine rencontre cet infatigable défenseur de la musique de temps.  

Votre nouvel album est intégralement consacré à des œuvres de Michel Petrossian. C’est un musicien qui vous accompagne à Musicatreize depuis plusieurs années. Qu’est-ce qui vous a poussé à lui consacrer une monographie ? 

Je pense que les œuvres de Michel Petrossian méritaient d’être enregistrées. Nous avions créé un nombre de pièces suffisant pour remplir un disque mais, surtout, ces pièces ont un attrait singulier. Elles portent en elles les traces de l’humanité toute entière, elles montrent comment le détail d’une épigraphe sur un mur dressé plusieurs millénaires auparavant nous touche par son actualité. Ces œuvres nous relient aux jardins enfouis dans nos mémoires…Une main tendue vers les autres…

Comment avez-vous choisi les pièces proposées sur cet album ?

Le plus simplement du monde : ce sont celles dont nous disposions, écrites pour nous, hormis Le chant d’Archak, grande fresque vocale et instrumentale sur un livret de Laurent Gaudé que nous avons créé en Arménie. Cette œuvre d’une heure ne pouvait être contenue sur ce disque.

Dans votre discographie avec votre ensemble  Musicatreize, on remarque principalement des albums monographiques centrés sur un compositeur. La monographie est-elle pour vous la meilleure manière d'aborder un compositeur ? 

Je pense que c’est le meilleur moyen de rendre hommage à un compositeur et c’est souvent l’aboutissement d’un compagnonnage de plusieurs années. J’aime cette fidélité et que les projets naissent d’échanges et d’amitiés avec les compositeurs. J’aime approfondir les langages, suivre des chemins inexplorés, inventer les projets autour d’un verre ! 

Cette année 2022 voyait le Centenaire de la naissance de Xenakis. Vous avez célébré cet évènement avec des concerts en France et en Europe. Quelle est pour vous la place de ce compositeur dans l’histoire de la musique ? En quoi sa musique peut-elle encore nous toucher ? 

Il me semble que la musique de Xenakis ne cessera jamais de nous toucher. Elle porte en elle toute la rage, la sauvagerie du monde, elle invente un nouvel univers tout autant qu’elle nous rapproche des millénaires qui nous ont précédés. Cette musique m’est nécessaire, elle nous est nécessaire, se confronter à elle, c’est se confronter à la vie, à la nature, à nos rêves comme nos cauchemars.

 Lors de concerts, vous avez dirigé Oresteia, l’une de ses œuvres les plus impressionnantes. Qu’est-ce qui vous a poussé à programmer cette œuvre ? 

J’ai participé au Polytope de Mycènes. C’est ainsi que j’ai travaillé cette œuvre pour la première fois en 1978. Depuis, elle ne me quitte plus. Xenakis, à travers cette œuvre, réinvente la tragédie grecque, il lui donne, s’il en était besoin, un élan vital, une dimension universelle indéniable.

Alexis Kossenko, Rameau, Walckiers et la passion du patrimoine musical

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Alexis Kossenko est au pupitre d’une distribution d’exception, du Choeur de Chambre de Namur et de ses musiciens de l’orchestre Les Ambassadeurs - La Grande Écurie pour une intégrale de Zoroastre, tragédie de Jean-Philippe Rameau dans sa version originale de 1749. Cette parution est l’occasion d’échanger avec ce musicien passionné et passionnant. 

Votre nouvel enregistrement est consacré au Zoroastre de Rameau. Qu’est-ce qui vous a orienté vers cette partition après Achante et Céphise que vous aviez précédemment enregistrés ?

Tout  d’abord, mon amour inconditionnel pour Rameau, dont le langage m’est désormais familier... même si je suis toujours émerveillé et abasourdi par son audace, son inépuisable invention. D’une manière plus large, dans le cadre de notre partenariat avec le Centre  de Musique de Baroque de Versailles, nous avons réfléchi aux ouvrages à aborder tout au long de notre résidence ; œuvres qui me tiennent à cœur bien sûr, mais aussi pour une bonne part celles qui attendent dans l'ombre leur résurrection. C’était le cas d'Achante et Céphise,  ce sera le cas du Carnaval du Parnasse de Mondonville en mars prochain. En ce qui concerne Zoroastre, la situation est assez différente : le titre est bien connu, l’ouvrage a été enregistré plusieurs fois… mais toujours dans sa seconde version,  celle de 1756. La partition de la création en 1749 restait donc à découvrir ! De plus, après Achante et Céphise qui est une Pastorale Héroïque (dont dénuée d’action, certes), je souhaitais aborder une vraie tragédie lyrique -genre dans lequel Rameau aiguise à l’extrême son efficacité dramatique. 

Quelles  sont les spécificités de Zoroastre dans l'œuvre de Rameau ?  

Zoroastre a une particularité importante dans l'œuvre de Rameau : c’est le premier ouvrage à supprimer le prologue, cet acte avant l’acte dont la fonction était, à l’origine, de rendre hommage au roi. Dans l’histoire des prologues, on peut trouver toutes les nuances, bien sûr : on peut se rappeler le « Louis, Louis, Louis… est le plus grand des rois » très flagorneur (et un rien ironique ?) de Charpentier dans Le Malade Imaginaire (Molière essayait sans doute de rentrer en grâce auprès de Roi après sa brouille avec Lully). Certains compositeurs y explicitent un parallèle flatteur entre le monarque et le héros de la tragédie ; d'autres ont habilement réussi une mise en abîme justifiant le spectacle ; certains, enfin, s’émancipent quelque peu de leur devoir envers le roi et en  font un acte introductif déjà lié à la trame dramatique. Dans Zoroastre, on entre de plain-pied dans l’action ; Cahuzac nous avertit que l’ouverture, qui dépeint le combat du Bien contre le Mal, « tient lieu de prologue ». Cette rupture avec l’usage établira  bientôt un nouveau modèle. Il est amusant de constater que deux ans plus tard, avec Achante et Céphise dont le prétexte était une naissance royale, il fera un petit pas en arrière en plaçant l’éloge au roi « Vive la race de nos rois »... dans le choeur final!

De plus, on note l’abandon des sujets médiévaux ou antiques au profit d’un intérêt pour les intrigues évoquant l’orient -souvent reflétées par des noms en Z : Zoroastre, Zaïs, Zélide, Zélidie, Zaïde, Zémire, Zélisca, Zélindor, Zulima, etc… 

Enfin, une caractéristique de l'œuvre est d’être éminemment influencée par les idées maçonniques -elle est même assez manichéenne. La destinée du prophète Zoroastre (Zarathoustra) est de sauver le monde et « d’éclairer l’univers » en dépit d’ailleurs des réticences d’un peuple résigné à vivre en esclavage*. Rameau travaille avec art l’idée de lumière, allant jusqu’à l’éblouissement surnaturel provoqué par la modulation, sans préparation, de sol majeur à mi majeur. Mais je soupçonne que c’est dans l’évocation des scènes maléfiques, d’une durée et d’une intensité exceptionnelles, qu’il prend le plus de plaisir. Les enchaînements serrés de récits, airs, danses et choeur de l’Acte IV, du sacrifice jusqu’à la danse de victoire des troupes d’Abramane, qui mène instruments et voix au bord de la rupture dans un rythme infernal, est un enivrant tourbillon aussi sadique que jubilatoire. 

Ce  nouvel enregistrement est, comme le souligne la notice de présentation, une recréation de la version originale de 1749. Quelles sont les caractéristiques de cette version originale par rapport à la version plus connue de 1756 ? 

Dans la version originale, l’intrigue amoureuse est assez secondaire ; c’est le combat de la Lumière contre les Ténèbres, l’aspect philosophique, l’aspect moral, qui absorbe toute l’énergie du librettiste et du compositeur. L’essentiel des reproches que l’on fit  aux auteurs portait là-dessus, et c'est ce point qu’ils s’attacheront à corriger dans les remaniements de 1756, en donnant plus de substances aux personnages, notamment féminins : Amélite, et surtout Erinice. Il faut cependant considérer ce défaut sous deux angles, et le relativiser : tout d’abord celui de l’audace, car je trouve justement intéressant, et fort peu consensuel, de faire passer la philosophie avant la romance -et on a tout de même de sublimes duos d’amour entre Amélite et Zoroastre ! Et puis, ce que le  disque ou la version de concert nous font oublier, c’est que tout l’Acte IV tourne autour d’Erinice, même si elle se tait -les nombreuses didascalies laissent imaginer que ces scènes peuvent être d’une incroyable efficacité théâtrale, justement parce qu’elle  est là, forte d’une présence d’autant plus brûlante pendant le sacrifice qu’elle est muette, tandis que la Vengeance et les forces obscures lui offrent un sabbat digne d’un film d’horreur. 

Le public, qui avait aussi besoin de temps pour digérer cette somme de nouveautés, fera honneur à la version de 1756 ; c’est une des raisons qui ont conduit les interprètes modernes à préférer cette version. Ça peut se discuter, comme on voit ! Et de toutes  façons, avec trois actes sur cinq entièrement refaits, il y avait une telle quantité de musique géniale inédite qu’on n’avait pas le droit de la laisser dans l’ombre.