C’est avec stupeur et tristesse que le monde belge de la culture a appris ce dimanche soir, le décès de Stefano Mazzonis di Pralafera, Directeur Général et Artistique de l’Opéra Royal de Wallonie à Liège.Né à Rome en 1948, il avait été l’Intendant du Teatro Communale de Bologne avant de diriger l’institution liégeoise de 2007 à 2021.
Sous son mandat, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a poursuivi son rayonnement international en accordant une grande importance aux jeunes artistes, en particulier aux jeunes pousses belges. Metteur en scène prolifique, il avait su fidéliser un public très important qui n’hésitait pas à franchir les frontières, tant géographiques que linguistiques. Son action vers les jeunes publics est également exemplaire.
Crescendo Magazine partage ici quelques témoignages, hommages à cette personnalité attachante et très appréciée.
Ayrton Desimpelaere
"Prends un whisky, ça te fera du bien !". Quelques mots tirés d’une conversation autour d’un bon dîner à l’automne 2016. Nous sortions d’une répétition de Nabucco sous la direction du Maestro Paolo Arrivabeni, mis en scène par Stefano Mazzonis. Il terminait son filet américain, moi mes boulets liégeois. De sa voix si caractéristique et emblématique, et avec son aplomb naturel, il m’orienta vers cette boisson pour laquelle il nourrissait une passion bien connue. Il ne se doutait pas à ce moment que j’en deviendrais un grand amateur…
Le public se souvient de la violoniste Esther Yoo pour son quatrième prix au Concours Reine Elisabeth 2012. Âgée seulement de 17 ans, la jeune musicienne qui habite en Belgique depuis l’âge de 6 ans, avait marqué l’auditoire par une interprétation subtile de Concerto pour violon de Beethoven. Depuis, la musicienne n’a cessé de s’affirmer autant en récital, qu’en concerto ou en musique de chambre. C’est en membre du Trio Z.E.N, fondé avec ses compères la pianiste Zhang Zuo et le violoncelliste Narek Hakhnazaryan, qu'elle fait l’actualité à l’occasion de la sortie du deuxième album du trio.
La première question porte sur le nom du trio. Le nom Z.E.N. prend les initiales des trois musiciens de l'ensemble, mais j'ai lu sur le site web du trio que c'est aussi une philosophie d'approche de la musique de chambre. Alors comment la musique de chambre peut-elle être "Z.E.N." ?
Le nom du trio est avant tout un acronyme coïncidant avec les prénoms de nos membres. Cependant, c'est aussi une approche philosophique de la façon dont nous mettons de côté nos mentalités et nos carrières de solistes indépendants pour un moment et nous réunissons en une seule unité dans le format du trio avec piano pour atteindre l'harmonie en musique. Bien que nous soyons tous des solistes actifs, la musique de chambre est essentielle pour nous tous et nous sommes toujours impatients de partager ces expériences musicales plus intimes entre nous et avec notre public.
Votre nouvel album pour DG s'appelle "Burning Through The Cold". Pouvez-vous nous expliquer la signification de ce titre ?
"Burning Through The Cold" est une représentation du type de répertoire et d'expérience musicale que l'on peut trouver dans l'album. C'est un clin d'œil aux événements historiques très importants que la sélection de morceaux dépeint (par exemple, le Trio n°2 avec piano de Chostakovitch révèle tant de choses sur les expériences du compositeur pendant la Seconde Guerre mondiale).
Les détails de l'histoire peuvent changer avec le temps, mais il y a des choses du passé qui se répètent aujourd'hui. Bien sûr, lorsque nous avons enregistré l'album, nous n'avions aucune idée de ce qu'apporterait 2020 mais, avec le recul, il existe des liens communs entre les craintes de Chostakovitch et ce que tant de personnes ont vécu pendant la pandémie actuelle. Nous avons choisi le titre "Burning through the Cold" pour montrer comment ce genre de musique résonne encore si fortement aujourd'hui et comment nous avons la force et la persévérance nécessaires pour surmonter les difficultés.
Le pianiste néerlandais Ronald Brautigam est l’un des musiciens les plus considérables de notre temps. Au piano ou au pianoforte, il a gravé des intégrales des oeuvres de Haydn, Mozart, Beethoven qui sont des références incontournables tant pour leurs qualités musicales que pour les perspectives ouvertes par ses interprétations. Alors que son fidèle label Bis réédite en coffret son intégrale des concertos pour piano de Mozart, ce musicien qui fourmille de projets, répond à nos questions.
Le label Bis réédite votre intégrale des concertos de Mozart avec la Kölner Akademie et le chef d'orchestre Michael Alexander Willens dans un généreux coffret. Cet ensemble a été enregistré sur plusieurs années. Quels regards portez-vous aujourd'hui sur cette intégrale ?
Comme pour tous les enregistrements, ce sont des réflexions sur la façon dont je jouais au moment de l'enregistrement. Il s'écoule généralement au moins un an entre l'enregistrement et la sortie d'un album, et vos réflexions sur la musique ne cessent d'évoluer et de changer. Ce n’est peut-être pas immédiatement perceptible pour les auditeurs dans leur ensemble, mais pour moi, je réécoute ces enregistrements plus anciens avec un certain sens de “trépidation”. C'est particulièrement vrai pour un ensemble complet qui a été enregistré sur plusieurs années. Mais là encore, un enregistrement n'est qu'un moment figé dans le temps, jamais une interprétation parfaite. Artur Schnabel a mis le doigt sur le problème lorsqu'il a dit "Je ne suis attiré que par la musique qui peut être améliorée à chaque interprétation”
L'enregistrement de l'intégrale des concertos pour piano est-il un défi pour un pianiste ?
Enregistrer avec un orchestre est beaucoup plus difficile que d'enregistrer en solo. Comme le résultat final dépend de nombreux musiciens, on ne sait jamais quelle prise sera finalement utilisée et donc il est indispensable d'être super-concentré tout le temps. Lorsque j'enregistre seul, deux ou trois prises sont nécessaires mais avec un orchestre, il faut évidemment beaucoup plus de prises pour s'assurer que chaque partie est bien couverte. Comme nous enregistrions habituellement un disque à la fois, nous avions suffisamment de temps pour préparer correctement le répertoire. Bien sûr, se plonger dans les tout premiers concertos a été toute une belle aventure, d'autant plus qu'ils ont réellement été pensés par Mozart pour un clavecin. C’est un instrument que je ne peux jouer avec ma formation de pianiste moderne.
Ludovic Morlot sera au pupitre de l’Orchestre de Paris pour un concert dans le cadre de la Biennale Pierre Boulez et diffusé en streaming sur le net. Le chef d’orchestre dirigera un programme Debussy, Ravel et Boulez avec en tête d’affiche l’iconique Soleil des Eaux sur des poèmes de René Char. Alors que Pierre Boulez nous a quittés il y a cinq ans, Ludovic Morlot revient sur cette personnalité incontournable dont les idées et les inspirations restent des sources de réflexions et des catalyseurs de créativité .
Pierre Boulez était une personnalité protéiforme : compositeur, chef d’orchestre, professeur, vulgarisateur, organisateur, penseur…. Que retenez-vous de lui ?
C’est difficile de résumer tout ce qu’il nous laisse. Tout d’abord, je regrette de ne pas l’avoir connu comme je l’aurais aimé. Je l’ai croisé en backstage, mais je n’ai jamais eu de longues conversations avec lui. J'aurais souhaité le connaître plus tôt dans ma vie et avoir une relation d’élève/professeur avec lui. Ce que je retiens de lui, c’est son immense connaissance, sa culture sans frontières et la force de sa pensée. Il est une personnalité merveilleuse qui réalise l’union entre les grands compositeurs comme Stravinsky, Messiaen, Schönberg, Berg, Webern et ma génération. Tous ces compositeurs ont formé mon intérêt pour la musique orchestrale.
Je ne suis pas amoureux de tout ce qu’il a composé. Ses partitions tardives comme Sur Incises ou Dérive 2 me séduisent particulièrement, mais je me suis replongé avec plaisir dans ses partitions de jeunesse comme le Visage Nuptial ou le Soleil des Eaux. Comme beaucoup de musiques composées dans les années 1950/1960, ces partitions sonnent de manière plus simple qu’elles sont écrites ! Plus j’étudie ces œuvres, plus j’y trouve des couleurs romantiques. Certes, Pierre Boulez détestait tout retour en arrière et on connaît son jugement sévère sur l’évolution néo-classique d’un Stravinski par exemple, mais derrière la complexité évidente de ces partitions, il y a pourtant un aspect romantique.
Pour conclure, Pierre Boulez est une source d’inspiration pour sa curiosité et sa soif de connaissance.
Comme ses camarades Stockhausen ou Berio, Boulez incarne la modernité avec un grand “M”, une volonté de faire table rase et de commencer un nouveau chapitre de l’Histoire de la musique. Cette modernité est-elle pour vous essentielle ?
Ce qui est intéressant avec Boulez, Stockhausen et leurs condisciples, c’est qu’ils sont nés dans les années 1920 mais tirent un trait complet sur l’héritage de cette période. Leurs carrières de compositeurs commencent après la Seconde Guerre mondiale : une page blanche avec une nouvelle fraîcheur et donc ils incarnent une parfaite modernité. Certes Boulez était un ambassadeur exceptionnel des modernités du début du XXe siècle, mais ses partitions comme les Notations ou le Sonate n°3 sont marquées par un complet renouveau. Je suis d’avis que chaque époque a besoin d’artistes qui procèdent dans un état d’esprit de modernité, parfois plus pour créer un appétit que pour le produit final. Pensons à Stravinsky, il a essayé d’écrire de la musique sérielle, pas tant pour le produit en tant que tel que pour l’ouverture d'esprit que cela générait !
La cheffe d’orchestre Dalia Stasevska a fait l'événement cette année. Cheffe invitée du BBC Symphony Orchestra, elle a fait ses débuts au pupitre de la Last Night of the Proms devenant la seconde femme à (après Marin Alsop) à diriger cet évènement planétaire. Alors qu’elle vient de recevoir le prestigieux Royal Philharmonic Society Conductor Award, la musicienne répond à nos questions.
Un célèbre proverbe de l'Antiquité dit que "la musique adoucit les manières". Mais à notre époque, la musique classique est parfois considérée comme un facteur de division : la musique classique semble trop élitiste, pas assez ouverte aux minorités ethniques, ou certaines partitions sont jugées avec notre regard contemporain et condamnées par notre sensibilité contemporaine. Que pensez-vous de tous ces débats sur la musique classique ? Êtes-vous préoccupée par l'universalité de la musique classique ?
Je suis enthousiaste d'être témoin de ces avancées importantes vers plus d'égalité et de diversité qui ont eu lieu ces dernières années. Ces mesures ont beaucoup influencé notre façon de voir, de faire et de penser à toutes sortes de choses. Je pense que la clé en général est d'arrêter de penser en termes de nous contre eux. Cela s'applique également à la musique classique. Si quelqu'un pense que la musique classique est meilleure que les autres genres musicaux, c'est cette pensée qui donne la marque "élitiste". Je suis vraiment optimiste en ce qui concerne la musique classique, il y a une bonne énergie dans l'industrie, beaucoup de grands changements et de développement, la musique classique est plus visible que jamais grâce à la technologie, cela crée beaucoup d'espace pour la créativité. Mais nous devons aussi nous rappeler que des choses comme l'égalité et la diversité ne sont pas des choses à prendre pour acquises mais des questions à prendre en compte en permanence.
Cette année, vous avez dirigé la célèbre Last Night of the Proms, mais dans un contexte sanitaire strict et sans public, dans la grande salle de concert du Royal Albert Hall. Comment avez-vous vécu cet événement dans un Royal Albert Hall vide ?
C'était certainement une expérience unique. C'était aussi la première fois que je dirigeais un concert sans public. Le plaisir d'être un artiste est d'avoir le public avec soi et ressentir ses réactions, l'excitation de sa présence, ainsi que toutes nos traditions de concert. Retirer l'un des éléments les plus importants -le public- est certainement une situation des plus bizarres. Mais en même temps, savoir que des millions de personnes regardaient et écoutaient à travers leurs écrans. C’est un concert qui signifie tant pour beaucoup de gens et c’est toujours très émouvant. Nous étions toujours ensemble grâce à la musique, et le fait de le savoir nous a aidés à nous concentrer sur le spectacle.
Une critique de disque n’aurait pu rendre compte de la personnalité pétillante, sincère et chaleureuse de la guitariste Gaëlle Solal qui sort en ce moment son nouveau disque Tuhu (« petite flamme » dans la langue Tupi), construit autour d’Heitor Villa-Lobos. Un disque qui réunit diverses influences, inspirations, dédicaces et des hommages croisés dans un programme original et créatif. Les pistes s’enchaînent dans un flux si continu et si logique qu’on est surpris en découvrant le mélange d'œuvres de pas moins de huit compositeurs différents.
Avec Gaëlle Solal, nous avons discuté des rodas de choro et de son voyage au Brésil, de sa recherche du « vrai » avec Tuhu, de son engagement en faveur des femmes guitaristes et, enfin, de son parcours qui brise les codes.
Sur le voyage au Brésil qui a tout changé
J’ai atterri au Brésil en 2009 sur un coup de cœur après avoir assisté au Festival Villa-Lobos organisé à Radio France. Au début, je ne savais pas que j’allais avoir des affinités avec cette musique. Mais une fois sur place, j’ai été secouée en découvrant que les musiciens brésiliens ne font pas une distinction aussi forte qu’en Europe entre musique classique et musique populaire. En effet, au Brésil tout est considéré comme musique. Je m’en suis surtout rendue compte dans les roda de choro. Dans ces groupes, sortes de jam sessions brésiliennes, les musiciens passaient « à la moulinette » des pièces de Bach, des pièces de Villa-Lobos et des pièces typiques du répertoire populaire. Cette idée qu’on puisse s’approprier toutes les musiques m’a particulièrement marquée lors de ce voyage.
Le chef d’orchestre Osmo Vänskä est l’une des plus grandes baguettes de notre époque. Directeur musical de l’Orchestre du Minnesota et du Philharmonique de Séoul, il mène également une prestigieuse carrière de chef invité. Auteur d’une discographie considérable par son importance, il remet sur le métier les symphonies de Sibelius pour le label BIS. Cette deuxième intégrale vient prendre place aux côtés d’une première gravure qui avait marqué son temps. Le chef qui aime les défis, poursuit également une intégrale des Symphonies de Mahler (Bis).
Vous sortez un nouvel enregistrement des symphonies de Sibelius avec le Minnesota Orchestra dont vous êtes le directeur musical. Il s'agit de votre deuxième enregistrement, après celui que vous avez fait avec le Lahti Sinfonia, également pour Bis. Qu'est-ce qui vous a incité à remettre votre Sibelius au travail ?
J’ai posé la même question au label Bis lorsqu’ils m'ont dit qu'ils aimeraient publier un nouveau cycle des symphonies de Sibelius avec l'orchestre du Minnesota. Ils m'ont répondu que cela faisait plus de 15 ans que les enregistrements de Lahti avaient été réalisés, et j'ai été surpris de voir comme le temps passe vite ! Mais finalement, je pense que c'était peut-être la bonne décision de réenregistrer le cycle complet et de donner au public une autre "image" de la même musique, comme une version "adulte".
Votre vision de Sibelius a-t-elle changé entre ces deux enregistrements ?
Ma vision de base est la même qu'avant, mais je ne suis pas la même personne ou le même chef d'orchestre. J'y reviens maintenant en tant que personne plus âgée avec des expériences de vie très différentes.
Le pianiste Cyril Huvé fait paraître chez Calliope un album consacré à des sonates de Beethoven qu’il interprète sur 3 pianoforte différents. Cet album aussi personnel que réfléchi est un grand moment de musique. Crescendo Magazine a voulu en savoir plus sur sa démarche.
Votre nouvel enregistrement est consacré à cinq des plus célèbres sonates de Beethoven. Qu’est-ce qui vous a orienté vers ce choix ?
D’abord ce sont des Sonates que j’avais envie de jouer, elles appartiennent à mon répertoire depuis longtemps. Ensuite, si elles sont célèbres, c’est justement parce qu’il y a une raison, ce sont de grands chefs d'œuvre : pourquoi leur enregistrement serait-il réservé aux interprètes les plus célèbres ? Plus profondément, je m’intéresse depuis longtemps aux valeurs du discours musical, je veux dire que la perception que nous avons aujourd’hui de la fonction des oeuvres musicales a considérablement changé : il suffit de lire un moment les textes des amis de Beethoven, les lettres que celui-ci envoyait à ses éditeurs, les fragments de dialogue sur lesquels ses Cahiers de conversation lèvent le voile, le premier 'traité d’exécution’ de son oeuvre pour piano rédigé par Czerny, pour être frappé par le caractère oratoire de cette musique. Non pas au sens vague que nous pourrions lui donner aujourd’hui mais, très précisément et dans le détail de l’écriture, un parallèle constant entre l’éloquence de la voix humaine et sa traduction par le truchement instrumental. Cela se retrouve tout autant dans le Traité de l’Art du violon de Baillot au moment où, à Paris, Habeneck créait les Symphonies. On peut dire que Beethoven ‘parle’ en musique pour communiquer une réaction émotionnelle, à l’instar d’un orateur. Ses Sonates ‘à titre’ en sont très représentatives, à commencer par la « Pathétique », qui pose comme un cadre dans lequel il s’exprimera tout au long de sa production. La musique n’est pas faite pour divertir, encore moins pour mettre en valeur l’exécutant. J’ai été frappé par le fait que Beethoven n’a guère joué ses Sonates en public, alors qu’il était très célèbre comme improvisateur -justement c’est un peu le côté ‘orateur’ qui soulève les foules. Cela lui a permis d’expérimenter un langage musical qu’il a ensuite mis en forme, pour la postérité, dans des Sonates très élaborées et réfléchies où il livre la quintessence d’un discours. Lorsqu’on entend un grand orateur -comment ne pas évoquer Bossuet bien sûr, mais pensons, plus près de nous, à André Malraux ou même au Général de Gaulle, ou à de grands comédiens ou prédicateurs dont nous avons des témoignages sonores-, la pensée consciente est submergée par la vertu d’une alchimie mystérieuse du son et du sens. C’est la fonction que très délibérément Beethoven assigne à la composition, tout particulièrement dans les Sonates que j’ai choisies, je pense que cela a une certaine cohérence.
La soprano Diana Damrau est l’une des artistes les plus considérables de notre temps. Adulée du public, star mondiale du chant, elle fait l'évènement avec un album consacré aux scènes finales des opéras Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux de Donizetti. L’artiste y incarne Maria Stuarda, Anna Bolena et Elisabetta, des reines plongées dans les drames de l’Histoire.
Votre nouvel album présente des scènes tirées des opéras Anna Bolena, Maria Stuarda et Roberto Devereux de Donizetti. Qu'est-ce qui vous a poussée à enregistrer des extraits de ces trois opéras ?
Quand on m'a proposé d'enregistrer avec le fantastique Orchestra e Coro dell' Accademia Nazionale di Santa Cecilia et le merveilleux Maestro Sir Antonio Pappano, cela signifiait que nous aurions la possibilité d'enregistrer comme dans une maison d’opéra. Enregistrer sur un seul album toutes les scènes finales des opéras de Donizetti avec comme sujet les reines Tudor était un rêve personnel. Ayant déjà chanté Maria Stuarda sur scène et préparé Anna Bolena, il n'y avait aucun doute sur ce qu'il fallait enregistrer, puisque ma préférée de ces reines est Elisabetta dans Roberto Devereux, mais je ne sais pas si je l'aborderai un jour sur scène.
Quels sont les défis musicaux et techniques à surmonter pour affronter les rôles de Maria Stuarda, Anna Bolena et Elisabetta ?
Les "reines Tudor" sont les plus belles pièces pour un "animal de scène". Vocalement et théâtralement, elles sont un immense plaisir. Vous pouvez jouer avec votre voix et vous avez fait l'expérience de ces femmes. Il s'agit d'une acrobatie vocale, mais elle doit toujours rester liée à la personnalité dramaturgique et, malgré les situations dramatiques, la voix doit être chantée avec la technique du belcanto.
Le violoncelliste Sébastien Hurtaud narre l’Histoire au présent avec son nouvel album qui associe le célèbre Concerto d’Elgar au Chemin des dames, nouvelle œuvre pour violoncelle et orchestre du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Trait d’union entre les peuples et les périodes, cet enregistrement mérite une grande attention pour la vision qu’il présente de l’Histoire et de la Musique. Rencontre avec un musicien apprécié par-delà les hémisphères et qui nous raconte la vie musicale néo-zélandaise.
Vous interprétez le concerto pour violoncelle Chemin des Dames du compositeur néo-zélandais Gareth Farr. Que représente pour vous cette nouvelle partition ?
Pour moi, cette oeuvre symbolise de nombreux aspects ! Ce concerto rend hommage aux combattants de la première Guerre Mondiale du monde entier. Il est très rare dans le répertoire du violoncelle de jouer de telles oeuvres qui honorent la mémoire des hommes et des femmes qui ont pris part à ce terrible conflit. La famille de Gareth Farr a perdu ses trois arrières-grands-oncles lors des batailles de la Somme dans le Nord de La France. Ce concerto Chemin des Dames sacralise des drames personnels qui sont devenus l'expression musicale d’une l’histoire universelle. Pour moi, avoir donné la première mondiale de ce concerto est un devoir de mémoire ! Pour autant, je me suis efforcé dans mon interprétation à ne jamais perdre de tête qu’il faut toujours espérer. Cette énergie particulière m’a permis de donner une conduite à mon jeu de la première à la dernière note du concerto. Le compositeur néo-zélandais a aussi voulu donner un double sens à ce titre, il était bien informé du rôle prépondérant des femmes pendant ce conflit qui a représenté pour leur cause une véritable émancipation. Ce concerto pour violoncelle Chemin des Dames est une nouvelle pièce majeure dans le répertoire du violoncelle concertant et je suis fier qu’il me soit dédié.
Le Chemin des Dames est l’un des lieux majeurs des batailles de la Première Guerre mondiale. En quoi cet endroit est-il cher à la mémoire des Néo-Zélandais ?
Gareth Farr, qui est basé à Wellington en Nouvelle-Zélande, a pris la merveilleuse décision de voyager en France au printemps 2016 pour venir visiter les lieux emblématiques de la Première Guerre mondiale avant de composer. Il souhaitait aussi retrouver la trace de ses trois arrières-grands oncles morts lors des batailles de la Somme. Il était prévu que la première européenne du concerto se déroule au festival International de Laon, avec l’Orchestre National de Metz, en 2017. Non loin de cette ville, juste à côté de cette ligne de front connue sous le nom de Chemin des Dames (situé entre Laon et Reims), se trouve la fameuse Caverne du Dragon qui, à l’époque, servait de refuge aux armées alliés et ennemies. Même s’il n’y a pas eu de combattants néo-zélandais lors de la bataille du Chemin des Dames. Gareth Farr n’a pas voulu faire une description d’une bataille en particulier, sinon le concerto se serait appelé « Arras » ou « Le Quesnoy », mais c’est bien cette visite de la Caverne du Dragon sur le Chemin des Dames qui a été déterminante pour son travail et ensuite dans mon interprétation. Nous avons hésité à donner à sa pièce le titre de “Requiem”, plus générique, mais nous avons finalement préféré garder juste l’appellation Chemin des Dames.