Dossiers

Un sujet musical abordé selon différents points de vus et, souvent, différents auteurs.

2023, quatre-centième anniversaire de la publication des Hymnes de Jehan Titelouze

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Depuis 2018, Sébastien Bujeaud prépare une thèse de musicologie sur Jehan Titelouze (c1563-1633), que l’on peut considérer comme le père de l’école d’orgue française, notamment grâce à son recueil de douze Hymnes (1623) dont nous commémorons le quatre-centième anniversaire. Un magnifique album enregistré par Léon Berben est à la hauteur de l’événement. Le compositeur a bien sûr attiré l’attention de la science et a connu nombre d’études et d’articles, mais c’est la première fois qu’il est le sujet d’une telle synthèse monographique. À la faveur de ses récents travaux, sous la direction de Philippe Vendrix, le doctorant, rattaché au Centre d’Études Supérieures de la Renaissance (Université de Tours), a bien voulu échanger avec nous : pour nous aider à mieux cerner Titelouze, sa vie, son art, et la singularité esthétique de son œuvre.

Les recherches et publications de Jean Bonfils, Denise Launay, Maurice Vanmackelberg, Willem Elders, Norbert Dufourcq contribuèrent dès les années 1960 à mieux connaître l’existence, les talents et le génie de Titelouze. Pourriez-vous retracer les grandes étapes de son ascension, depuis sa naissance à Saint-Omer jusqu’à sa consécration à la cathédrale de Rouen ? Vos investigations ont-elles révélé des faits majeurs sur son parcours, ou contredit des vérités établies de sa biographie ?

Tout d’abord, merci beaucoup de m’avoir invité pour parler de mes recherches, à l’occasion de cet anniversaire des Hymnes. D’après ce que nous disent les sources audomaroises, Titelouze est issu d’une famille de ménétriers, amateurs et professionnels, d’origine toulousaine et non anglaise, établis à Saint-Omer depuis plusieurs décennies. Grâce aux riches archives rouennaises, j’ai pu établir sa présence à Saint-Martin-sur-Renelle à Rouen dès 1583, avant qu’il ne soit nommé organiste de la cathédrale en 1588. Titelouze fut expert en facture d’orgues dès ses débuts rouennais, il bénéficia donc à Saint-Omer d’une formation d’instrumentiste, en facture et reçut probablement les ordres mineurs. Il fut également organiste dans d’autres églises rouennaises, et sut se faire apprécier du chapitre de la cathédrale malgré des rappels à l’ordre pendant les troubles.

Titelouze fut naturalisé en 1604, pour pouvoir posséder des biens et des titres, prit l’habit de prêtre en 1609 (peut-être formé chez les Jésuites de Rouen rouverts en 1604) puis celui de chanoine en 1610. Je pense qu’il profita de la richesse culturelle de Rouen et de ses voyages à Paris pour compléter son savoir en théorie musicale et composition, en poésie, en liturgie et théologie en tant que chanoine ; la musique composée, son principal legs actuel, étant la dernière étape de sa riche vie et de ma thèse. Il voyagea de Poitiers à Amiens pour expertiser des orgues, et durant son canonicat puis sa retraite à partir de 1629, alla régulièrement à Paris pour publier ses œuvres, et élargir son entourage musical et savant.

Ma thèse est un rassemblement de sources éparses et une exploitation la plus exhaustive possible des archives, ce qui me permet une plus grande précision sur son ascension sociale et ses différentes activités. Je contredis les recherches antérieures à propos de sa formation, que je pense avoir été plus progressive, débutée à Saint-Omer puis renforcée à Rouen ; de même les archives précisent qu’il prit l’habit de prêtre en 1609 à Rouen et non dans sa ville natale. Les archives de la cathédrale de Rouen me permettent de le suivre jour après jour pendant son canonicat de 1610 à 1629, de noter ses absences, assez longues sans être indignes car il fut peu rappelé à l’ordre, les sujets à propos desquels il siège et décide. Je note trois mois d’absence fin 1622 pour aller à Paris faire éditer ses Hymnes, quatre mois en 1626 pour ses Magnificat et Messes. Outre ses expertises et voyages parisiens, Titelouze alla régulièrement dans ses prébendes dans l’actuelle Seine-Maritime, il participe au roulement de messes, offices et cérémonies à la cathédrale en tant qu’organiste exécutant et chanoine décideur, et devient un notable rouennais.

Titelouze prend même l’ascendant sur le Maître de chapelle nommé après le départ fracassant de H. Frémart en 1625, en s’occupant du financement des enfants et des chantres, en siégeant systématiquement au sujet de la musique et de la liturgie ; d’où ses messes publiées et les cérémonies qu’il dirigea pendant sa retraite. Je pense enfin qu’il dût aller à la Cour, à Paris et Saint-Germain-en-Laye, étant donné qu’il connaissait les Chabanceau de La Barre, organistes et clavecinistes du Roi.

Hans Abrahamsen et la Reine des neiges

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Depuis qu'il a écrit Winternacht en 1978, la référence à la neige est peu à peu devenue une constante dans la musique du compositeur danois. "Ça me prend", dit-il. "Ce qui me fascine dans la neige, c'est sa blancheur, ainsi que l'idée qu'elle puisse se transformer en glace". Mais Abrahamsen est aussi très conscient de "l'autre côté de l'hiver", précise-t-il, qui est qu' "après l'hiver vient le printemps. C'est précisément ce qui se passe à la fin de Winternacht, mais aussi à la fin de son opéra La Reine des neiges (2019) dont la production puis la sortie en DVD, dans sa version anglaise, par le Bayerische Staatsoper vient d'être primée d’un International Classical Music Award 2023. Dans cet esprit, Jesús Castañer du magazine espagnol Scherzo, membre du jury ICMA, a rencontré le compositeur.

Vous avez écrit votre premier opéra, La Reine des neiges (2019), à l'âge de 62 ans. Avez-vous pensé à faire un opéra auparavant ?

Oui. J'avais prévu d'écrire un opéra en 1988, mais je n'ai jamais réussi à trouver la bonne histoire, et je n'avais pas non plus développé une écriture vocale propre pour faire quelque chose comme ça. C'est lorsque je composais Schnee (10 Canons pour 6 instruments), entre 2006 et 2008, que j'ai lu le conte de fées Snedronningen (La Reine des neiges) de Hans Christian Andersen, et j'ai tout de suite vu les possibilités de cette histoire. J'en ai été très ému. J'ai même écrit un livret moi-même, mais ça n'a pas marché, et en fait je crois n'en avoir jamais parlé à personne. Mais certaines des idées de Schnee ont été inspirées par ce conte. Prenez par exemple le deuxième canon, qui dans l'opéra apparaît dans la scène où Kay et Gerda sont sur une place de la ville et il lui montre à quel point les flocons de neige sont fantastiques, puis ils tournent pendant que les autres enfants jouent avec la neige. Quand j'ai écrit cette musique pour Schnee, j'avais déjà cette image en tête. Naturellement, lorsque l'Opéra Royal m'a demandé en 2012 si j'étais intéressée par l'écriture d'un opéra, j'ai rapidement répondu : « Oui, La Reine des Neiges ».

En fait, le lien entre La Reine des Neiges et Schnee est si fort qu'à certains moments on peut avoir le sentiment que le premier est en quelque sorte contenu dans le second. Par exemple, le premier canon de Schnee apparaît dans le prélude de l'opéra et réapparaît vers la fin, lorsque Gerda est avec Kay dans le château et ne sait pas comment le réveiller. Mais alors que dans le Prélude la « réponse » était au début de la phrase, dans cette autre scène elle est à la fin. Tout comme dans Schnee. C'est alors qu'une larme tombe de l'œil de Gerda ; c'est-à-dire que la « réponse » est enfin trouvée.

C'est un point intéressant. Je n'y avais jamais pensé. En effet, dans Schnee, je travaille avec deux phrases canoniques : d'abord vient la « réponse », puis vient la « question », et à la fin de chaque canon cet ordre est inversé. Autrement dit, au début, nous avons déjà la réponse, mais nous devons d'abord nous lancer dans un voyage pour trouver la question. Et ce n'est que lorsque nous avons la question, à la fin, que nous réalisons que la réponse était en nous depuis le début, nous n'en étions tout simplement pas conscients. Parfois, nous avons les réponses, mais nous ne pouvons pas croire qu'elles soient si simples.

Leonhard Baumgartner, lauréat du Discovery Award des ICMA 2023

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Le jeune violoniste autrichien Leonhard Baumgartner est le lauréat du Discovery Award 2023 des International Classical Music Awards en collaboration avec  l'International Music Academy Liechtenstein. Âgé de 16 ans, ce  jeune homme a déjà remporté des prix au Concours international Mozart de Zhuhai ou au Grand Prix au Concours international de musique de Stockholm. Il était également Wiener Symphoniker Talent et il a fait ses débuts en tant que soliste dans le Concerto n° 5 de Vieuxtemps avec le Wiener Symphoniker au Konzerthaus de Vienne en 2022. Ses études l'ont mené aux universités de musique de Graz, Vienne et Munich. Ses principaux professeurs sont Regina Brandstätter depuis 2019 et, depuis octobre 2022, Dora Schwarzberg et Ingolf Turban. 

Qu’est-ce qui vous a orienté vers le violon ?

Quand j'avais deux ans, j'écoutais mon père pratiquer l'alto. Plusieurs fois il a posé l'instrument et j'ai essayé de faire du pizzicato et aussi de l'arco, ce que mon père n'appréciait pas vraiment. Mais quand j'ai demandé à avoir un violon, il m'en a acheté un pour mon troisième anniversaire. Puis j'ai commencé mes premiers cours de violon avec une enseignante qui se spécialisait dans les classes maternelles en suivant la méthode Szilvay. A cette époque, jouer du violon était juste pour le plaisir. Puis j'ai commencé aussi à chanter dans une chorale et toute cette implication dans la musique est devenue plus sérieuse et surtout plus excitante pour moi.

Qu'est-ce que vous aimez spécifiquement  dans la pratique du violon ?

Il y a beaucoup d'aspects que j'aime, principalement la large gamme de sons et le développement du son sur des notes simples. Le violon me permet de jouer différents types de musique. Et quand je suis sur scène, je suis entièrement concentré sur la musique, j'essaie d'être totalement absorbé par la musique. Bien sûr, je dois penser à la musique et c'est quelque chose que je fais avant et après la représentation. Ou même avant et après la pratique. Quand je joue, je me concentre totalement sur le son.

Alors quelle est votre idée du son ?

Je pense que chaque musicien est à la recherche de l'idéal et du bon son. Développer un son est quelque chose qui est influencé par beaucoup de choses, la situation momentanée, la salle, le type de musique. J'ai joué récemment en quartet et nous avions tous les mêmes cordes. C'est important aussi, donc il y a beaucoup de facteurs et la décision du son à choisir doit être adaptée à beaucoup de choses et bien sûr à la musique que vous jouez.

Vilde Frang, violoniste : l'important était de laisser la musique se faire"

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Vilde Frang est l’une des violonistes majeures de notre époque. Son récent enregistrement des concertos pour violon de Beethoven et Stravinsky (Warner) a été primé d’un International Classical Music Awards 2023 dans la catégorie “Concertos”. L'artiste répond aux questions de Gábor Mesterházi de Papageno (Budapest), membre du jury des ICMA.

Ma première impression, en écoutant votre enregistrement du Concerto de Beethoven, a été que c’était une performance très naturelle mais aussi très personnelle 

Avec le Concerto de Beethoven, j’avais en tête que je ne devais rien casser. C’était plus un processus psychologique qu’un processus d’apprentissage : l’important était de laisser la musique se produire. Sentir que je ne suis qu’une petite partie de ce processus, une partie de la partition orchestrale. C’est comme si j’apprenais toujours à voler, cette musique est très fraîche et propre à jouer.

Le chef d’orchestre de l’album est Pekka Kuusisto. Avez-vous déjà travaillé ensemble?
En tant que violoniste, je connais Pekka Kuusisto depuis longtemps. Pour moi, c’est un vrai héros, je le respecte beaucoup. La façon dont il joue est si naturelle, j’ai tellement appris de lui – et maintenant il m’a donné le même naturel dans l’accompagnement. Une fois, alors qu’il devait monter sur scène en tant que chef d’orchestre, la seule chose inhabituelle à son sujet était qu’il était en smoking. Je l’ai à peine reconnu... L’orchestre, l’Orchestre philharmonique de chambre allemand de Brême, a également joué avec beaucoup d’enthousiasme. Ce fut une expérience formidable d’enregistrer ces œuvres.

Les enregistrements ont été réalisés en 2021 et 2022, respectivement. Cela n’a pas du être une période facile ?

Et nous avions presque abandonné, le coronavirus avait rendu tous les enregistrements incertains. Le Concerto de Beethoven a été enregistré en janvier 2021, mais avec l’enregistrement du Concerto pour violon de Stravinsky, nous avons dû attendre l’été 2022. Mais je pense que cela valait la peine d’attendre que ces deux enregistrements se réunissent!

Une autre interprétation du concerto pour violon de Beethoven vient d’être publiée, interprétée par Veronika Eberle et dirigée par Simon Rattle, qui présente de nouvelles cadences du compositeur Jörg Widmann, alors que dans votre cas le compositeur n’est autre que Beethoven... Cependant, les timbales sont également incluses dans les deux enregistrements.

Ce n’est pas très connu, mais Beethoven a également écrit une version pour piano du Concerto pour violon, et comme pour tous ses concertos pour piano, il a également écrit sa propre cadence pour celui-ci – c’est lui qui a également agencé cette cadence avec les timbales. Le Concerto pour violon a longtemps été joué avec des cadences romantiques, en particulier celle de Joachim, jusqu’à ce que Wolfgang Schneiderhan dépoussière l’idée de Beethoven et la retravaille pour le violon. Cette cadence  a été popularisée par Gidon Kremer. De nos jours, la plupart des violonistes l’utilisent, bien qu’avec des coupes, car elle est particulièrement longue et lourde. Je l’ai juste fait un peu plus court. Alors que le concerto est classique, la cadence n’est pas seulement romantique, mais aussi carrément sauvage – c’est un Beethoven très différent.

Mahan Esfahani, Bach mais aussi les autres

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Le claveciniste irano-américain Mahan Esfahani (Téhéran, 1984) a remporté un ICMA 2023 dans la catégorie Baroque Instrumental avec un album intégralement dévolu à Bach (Hyperion). Mahan Esfahani ne laisse jamais personne indifférent. Ni quand il joue de la musique, ni quand il parle. Étudiant en musicologie et en histoire à l’Université de Stanford, c’est précisément là qu’il reçoit ses premières leçons de clavecin d’Elaine Thornburgh. De là, il est allé à Boston pour parfaire sa formation musicale avec Peter Watchorn. Il l’a achevée à Prague, sous les auspices de la claveciniste tchèque Zuzana Ruzickova. Il a vécu à Milan et à Londres (dans cette ville, pendant dix ans), avant de s’installer à Prague. Bien que le terme « résidence fixe » soit quelque peu relatif, puisqu’il voyage en permanence à travers le monde pour donner des concerts. Eduardo Torrico du magazine espagnol Scherzo, membre du jury de l’ICMA, a réalisé l’interview suivante avec l’artiste.

Vous avez récemment donné un concert à Trente avec l’orchestre La Scintilla, ce qui m’a étonné car vous jouez rarement avec des orchestres sur instruments d’époque.

Je joue beaucoup de Bach avec orchestre mais, comme vous le dites, ce sont des orchestres modernes. C’est un choix artistique. La Scintilla est un cas particulier, car j’ai une relation étroite avec son chef d’orchestre, Riccardo Minasi, que je considère comme un grand musicien, que cet orchestre joue ou non avec des instruments originaux. Pour moi, l’important est la musicalité et la qualité, pas les instruments. Au Barbican Center de Londres, j’ai récemment joué l’Offrande musicale de Bach. Pour ce travail, vous avez besoin d’une flûte, d’un violon et d’une basse continue. J’ai demandé Richard Boothby à la basse continue, qui est un joueur expérimenté de viole de gambe. Ensuite, j’ai demandé Adam Walker, flûte solo de l’Orchestre Symphonique de Londres, et Antje Weithaas, qui joue du violon moderne. La raison est assez simple : ce sont des interprètes avec qui j’aime jouer de la musique de chambre, et je ne fais pas attention à d’autres questions. Mon opinion est que je ne devrais pas évaluer si l’instrument est moderne ou antique, car ma vision est beaucoup plus large. C’est simplement un choix, comme quelqu’un qui choisit d’être religieux ou de ne pas être religieux.

Votre choix personnel a-t-il quelque chose à voir avec le fait que, en plus de jouer de la musique Renaissance et baroque au clavecin, vous jouez également des compositeurs modernes et contemporains tels que Ligeti, Saariaho ou Takemitsu sur cet instrument ? Ce n’est pas courant chez les clavecinistes d’aujourd’hui.

Pour être honnête, je ne prête pas beaucoup d’attention à ce qui est normal chez les clavecinistes d’aujourd’hui. Mais si vous me dites que ce n’est pas normal, je vous crois. Bien sûr, j’aime la musique baroque et de la renaissance. Je pense qu’ils sont fantastiques, mais je ne veux pas me fixer de limites. Quand j’ai enregistré pour Hyperion l’album intitulé “The Passinge Mesures”, avec des œuvres de virginalistes anglais, je me suis rendu compte que ma sœur, qui est pianiste, pouvait jouer ces œuvres sans recourir à un clavecin ou à un virginal. Je crois, d’un autre côté, que ceux qui aiment la musique ancienne sont ouverts d’esprit et ne se soucient pas tellement de l’instrument utilisé pour jouer cette musique.

 

Mozart à cinq avec le quatuor Ebène 

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Le Quatuor  Ebène fait paraître un album consacré aux Quinettes à cordes K.515 et 516 de Mozart. Les éminents musiciens français sont renforcés par leur compatriote Antoine Tamestit. A l’occasion de cette parution qui fera date,  le violoncelliste Raphaël Merlin,  répond à nos questions au nom du Quatuor Ebène.  

Le livret de votre nouvel album consacré aux Quintettes avec alto de Mozart commence avec une évocation munichoise du concours ARD et des rencontres amicales qui s’y sont déroulées. Pouvez-vous revenir un peu sur ces événements ? 

 Le Concours de Munich en 2004, que nous avons préparé très intensément pendant toute l’année précédente, nous a véritablement jetés dans le grand bain : à la fois de la vie professionnelle en tant que quatuor à cordes (les engagements de concerts le soir même des résultats ont rempli notre calendrier plus que tous nos efforts réunis jusque-là), et en tant que musiciens « sociaux » (c’est-à-dire destinés à travailler aussi en dehors de cet étrange vase clos qu’est le quatuor à cordes), puisque les lauréats des autres disciplines, devenus des partenaires au cours de la tournées des lauréats, nous ont permis, à travers Ravel, Caplet, et Mozart, d’explorer le répertoire plus vaste de la musique de chambre en général, et de rencontrer des amis. C’est le cas d’Antoine.

 Vous déclarez ensuite, à propos du Quintette K. 516 de Mozart, que cette partition demeure “une œuvre-repère, un baromètre, un rendez-vous, un lieu de pèlerinage”. En quoi cette partition jalonne-t-elle la carrière du Quatuor Ebène ? 

 Nous l’avons jouée régulièrement, avec un certain nombre d’altistes rencontrés au gré des festivals et/ou des voyages. C’est une œuvre extraordinairement dense, qui recèle tant de gravité et d’euphorie cumulées, qu’elle offre à chaque exécution une expérience tout à fait particulière, peut-être transcendantale.

Pourquoi enregistrer ces deux œuvres, avec votre complice Antoine Tamestit, à ce moment de votre carrière ? 

 L’interprétation a mûri, l’opportunité s’est enfin présentée : alors que nos calendriers étaient si souvent incompatibles, le confinement de juin 2020 nous a offert plusieurs jours consécutifs tous ensemble, à Paris !  

Yeol Eum Son, Mozart en intégrale 

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La pianiste Yeol Eum Son fait l’évènement avec une intégrale des sonates pour piano de Mozart (Naïve). Enregistrée en studio, cette intégrale, qui est amenée à faire référence, marque les débuts de la musicienne coréenne pour le label Naïve avec qui elle entame une collaboration. Crescendo Magazine est très heureux de s’entretenir avec cette artiste d’exception. 

Vous faites paraître  une intégrale des sonates pour piano de Mozart. Qu'est-ce qui vous a motivé à enregistrer ce cycle complet ? 

Cela a toujours été mon rêve, ou mon "plan". Mais je ne savais pas que le moment viendrait si vite. Mais je suis heureuse de l'avoir fait à mon jeune âge;  afin d'avoir une autre chance à un stade ultérieur de ma vie ?

Que représentent pour vous le style et l'écriture pianistiques de Mozart ?

C'est en jouant du Mozart que je me sens le plus à l'aise. Il est difficile d'expliquer pourquoi avec des mots, mais... Je me sens en quelque sorte "déchargée" lorsque je les joue. C'est comme si je ne me sentais pas sous pression pour "produire" ou "exécuter" quoi que ce soit. En général, je me contente de jouer et la forme de la musique suit... bien que, la plupart du temps, j'aie une forte imagination, qui est principalement liée à ses opéras - les personnages, certaines scènes ou événements particuliers, etc. etc. En tout cas, pour moi, Mozart n'est peut-être pas un compositeur de "musique absolue". Je traite presque toujours sa musique comme... du théâtre, ou des arias.

Vous avez enregistré ce cycle complet sur une période de 6 mois. Quels sont les défis physiques et intellectuels que vous avez dû relever pour réaliser cette intégrale dans un studio d'enregistrement ? Avez-vous enregistré les sonates dans l'ordre chronologique de leur composition ?

L'ordre d'enregistrement était complètement aléatoire ! J'ai commencé par celles que je connaissais, puis je les ai progressivement mélangées avec certaines sonates jamais jouées... Il y a bien sûr eu quelques difficultés mais, dans l'ensemble, je dois dire que ce fut l'expérience d'enregistrement la plus relaxante de ma vie. Pour être honnête, il y avait quelques raisons pratiques à cela. Par exemple, le fait que je n'étais pas soumise à une dynamique de travail extrême, ce qui peut facilement épuiser quelqu'un dans un studio d'enregistrement parce que nous sommes parfois amenés à répéter quelques phrases encore et encore. En parlant de répéter : lors de cette session d'enregistrement, j'ai essayé de ne pas les diviser en morceaux et d'enregistrer les choses mesure par mesure. Au lieu de cela, je les ai écoutés plusieurs fois.

Les difficultés intellectuelles concernaient surtout les premières sonates, car le compositeur y était beaucoup plus... particulier, détaillé et presque affirmé. Je me sentais certainement moins "libre" avec elles au début, en comparaison des sonates tardives. Il m'a fallu un certain temps pour les digérer et les jouer "aussi librement".

Sondra Radvanovsky, à propos de Turandot

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La soprano Sondra Radvanovsky incarne la Princesse de Chine Turandot dans la nouvelle intégrale événement sous la direction d’Antonio Pappano. Alors que cette parution marque ses débuts dans ce rôle, la musicienne répond à nos questions.  

Cet enregistrement de Turandot et les concerts qui ont suivi ont marqué vos débuts dans le rôle-titre de Turandot. Qu'est-ce qui vous a motivée à accepter ce rôle ?

J'ai toujours pensé qu'il y a une progression naturelle de la voix en vieillissant... ainsi qu'un ordre naturel dans lequel un chanteur aborde des rôles de Puccini, ou d'autres rôles de différents compositeurs.  Mon premier rôle de Puccini a été Mimi de la Bohème alors que je n'avais que 21 ans. Le choix naturel du rôle suivant aurait été quelque chose comme Liu ou Suor Angelica après cela, suivi de Tosca, par exemple.  Maintenant que j'ai 53 ans et que j'ai chanté toutes les héroïnes de Puccini jusqu'à Turandot, j'ai senti que j'étais prête et que je comprenais le "langage" musical de Puccini pour prendre ce rôle plus lourd et plus dramatique. De plus, qui n'a pas envie de chanter Turandot ? 

Cela dit, Maria Callas et Joan Sutherland ont toujours été mes sopranos préférées dans ce rôle et je les ai également utilisées comme référence pour apprendre ce rôle emblématique. Quelque part, le rôle de Turandot est devenu ce que j'appelle "une fête du cri" ; un rôle que seules les sopranos lourdes, dramatiques et wagnériennes pouvaient chanter.  Avec cette tradition, je crains que la sensualité et la fragilité de la musique de Puccini ne se soient perdues.  J'ai donc abordé ce rôle plutôt dans la veine de Callas et Sutherland, qui ont toutes deux trouvé des couleurs vocales et des dynamiques étonnantes pour le rôle-titre.

Dans le livret, Antonio Pappano parle de cet opéra comme d'un défi. Quels sont les défis musicaux du rôle de Turandot ? 

Je dois dire que le rôle de Turandot peut être assez intimidant quand on le regarde pour la première fois.  Elle entre sur scène et commence tout de suite par son grand air dramatique “In Questa Reggia”.  Il faut être extrêmement sûre de sa hauteur de chant au début, car l'orchestre est très transparent pour les premières lignes que vous chantez.  De plus, pour moi, le plus grand défi du chant de Turandot est la tessiture.  Il faut adorer évoluer dans la partie supérieure de sa voix pour chanter ce rôle, que j'aime et que je considère comme la partie la plus forte de ma voix également.  Mais il y a pas mal de lignes dramatiques et déclamatoires dans la partie inférieure de la voix, ce qui peut être dangereux si vous ne savez pas comment gérer la voix de poitrine.  Si vous creusez trop dans votre voix de poitrine, vous risquez de faire descendre le haut de la voix.

Tout cela dit ?  La partie la plus difficile de ce rôle est de montrer son côté humain et aimant avec la musique limitée qui lui est donnée dans l'opéra.  Il n'y a pas vraiment de grand duo d'amour... on voit juste Turandot dire à Calaf, "Je te déteste, tu vas mourir !" pour dire très rapidement, "Comment s'appelle l'amour !"  Mais Maestro Pappano a étonnamment voulu enregistrer la fin prolongée d'Alfano, qui permet aux personnages de Turandot et de Calaf d'avoir une conversation sur l'amour... une scène vraiment étonnante et une qui, je l'espère, deviendra permanente dans toutes les productions de cet opéra.

Het Collectief, transfigurations viennoises

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Nos compatriotes de l'excellent ensemble Het Collectief font paraître chez Alpha un nouvel album intitulé Transfigurations. Cette parution propose des transcriptions pour 5 musiciens d'œuvres d’Arnold Schönberg et Alban Berg. A cette occasion, Thomas Dieltjens, le pianiste de l’ensemble Het Collectief répond aux questions de Crescendo-Magazine.  

Votre nouvel album se nomme “Transfigurations”, pourquoi ce titre ? 

Le titre a deux sens ! D'une part, il fait référence à l'une des œuvres de cet album : La Nuit Transfigurée. D'autre part, le titre insinue que toutes les œuvres du disque sont jouées dans une version arrangée. Elles ont en quelque sorte subi une transformation, une transcription, une transfiguration. Le titre peut être lu en français et en anglais, ce qui le rend très adapté à un large public.

L’album propose des transcriptions d'œuvres de Schönberg, Webern et Berg. Pourquoi avoir choisi des transcriptions ? 

Het Collectief est avant tout un groupe de musique de chambre. Lorsque nous avons fondé le groupe en 1998, notre premier souhait était de jouer la  Symphonie de chambre n°1, opus 9 de Schönberg dans la version de Webern. Le groupe aime l'énergie du dialogue et de la confrontation directe dans ces petits effectifs non dirigés. Avant tout, nous avons dû constater la très haute qualité de la transcription. De plus, les différentes couleurs instrumentales et la petite échelle font ressortir certains aspects des compositions plus fortement que dans les versions originales. En conséquence, ces versions ont acquis de plus en plus de poids dans le répertoire. 

NFT et musique classique : l’innovation avec Indésens & Calliope Records

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Dans notre récent éditorial, nous parlions des opportunités ouvertes par les NFT dans un marché du disque et de l’enregistrement en profondes mutations. Le label français Indésens & Calliope Records innove en développant une proposition de NFT, une première pour un label de musique classique. Crescendo-Magazine s’entretient avec Benoît d’Hau et Mael Perrigault, les  initiateurs de cette aventure qui combine musique et numérique.    

Qu’est-ce qui vous a poussés à vous avancer vers l’usage des NFT dans le cadre de vos parutions ? 

Indésens Calliope Records est devenu au fil des années un acteur indépendant majeur de la musique classique, mais l’avenir de l’économie de la musique enregistrée est incertain. Le streaming ne rapporte que très peu de revenus et ne contrebalance pas la chute des ventes physiques. La musique classique et l’ensemble des musiques dites “de niche” ont un modèle économique qui n’est plus viable et les artistes ne perçoivent quasiment plus de royalties. Pourtant, la musique n’a jamais été autant écoutée et les artistes jamais autant scrutés au travers de leurs différents réseaux sociaux. La question qui se pose est donc la suivante : comment monétiser cette présence en ligne ? Comment redonner une valeur à la musique perçue aujourd’hui comme gratuite ? Notre but au travers de la création de NFT, c’est de permettre aux fans les plus dévoués de faire partie d’un club privé leur donnant accès à du contenu supplémentaire et à une relation plus forte avec l’artiste. Imaginez pouvoir discuter avec Rostropovitch ou recevoir une improvisation unique de Glenn Gould !

Je présume que vous ne vous lancez pas seuls, mais que vous avez la collaboration technique d’une firme spécialisée dans le domaine ? 

Effectivement nous avons fait appel à Speak’r, une toute nouvelle entreprise innovante créée par Mickael Kalifa et Emeric Saussois. Nous nous sommes retrouvés sur des valeurs communes et la volonté de faire de la création de NFT une valeur ajoutée à la sortie d’un album sans pour autant tomber dans la vente spéculative d’œuvres numériques.

Comment va se passer cette introduction des NFT dans votre catalogue ? Comment un mélomane va-t-il pouvoir en acquérir ? 

L’acquisition peut se faire très simplement via la plateforme Speak’r. Lorsque vous créez un compte, un portefeuille numérique est automatiquement généré sur lequel vous pouvez collectionner vos NFT. La particularité de cette plateforme est la possibilité d’acheter vos NFT en monnaie virtuelle ou simplement avec une carte bleue via un terminal sécurisé. Tout le monde peut ainsi en acquérir facilement !