Focus

La lumière sur un sujet musical particulier.

Henry Purcell, l'orpheus britannicus

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Londres, le 22 novembre 1695. La Sainte-Cécile, pourtant dignement fêtée chaque année dans la capitale anglaise, aura cette fois un goût amer. C'est que Henry Purcell, l'orgueil musical de la nation, l'Orpheus Britannicus, est décédé la veille dans sa trente-septième année. Les contemporains du compositeur ne seront pas longs à mesurer l'étendue de la perte irrémédiable que la musique anglaise vient de subir. La suite des événements confirmera cette analyse pessimiste : l'Angleterre devra attendre deux siècles avant de pouvoir à nouveau s'enorgueillir de ses créateurs.

Peu de documents nous sont parvenus qui décrivent l'existence et la vie quotidienne de Purcell. En effet, même si sa musique s'est rapidement et durablement imposée au faîte de la création musicale de son époque, l'homme, par contre, s'est fait remarquablement discret. Ainsi, les origines de la famille de Purcell n'ont jamais pu être clairement établies. Certaines pistes remontent en Angleterre au Moyen-Age, d'autres en Irlande dès le XIIe siècle, d'autres encore en France au temps de Guillaume le Conquérant, mais aucune preuve n'a pu être apportée à l'une ou l'autre de ces assertions. Nous ne connaissons pas davantage la date exacte de la naissance du jeune Purcell, et il subsiste également une incertitude quant au nom du père de notre héros. Il est généralement admis qu'il s'agit d'Henry Purcell l'aîné, gentleman de la Chapelle Royale et de l'Abbaye de Westminster, compositeur pour les Violons du Roi et "musicien pour le luth et la voix", décédé en 1664 et inhumé dans le cloître de l'Abbaye. Mais peut-être est-ce davantage son frère Thomas qui a assuré l'éducation des enfants et les a initiés à la musique, car il était également gentilhomme de la Chapelle Royale et compositeur ordinaire des Violons de Sa Majesté, titre qu'il partageait avec Pelham Humfrey. Quoi qu'il en soit, le jeune Henry a pu bénéficier avec ses frères et soeurs des brillants états de service musicaux de la famille, lesquels n'ont pas manqué de favoriser le développement de ses dons remarquablement précoces. Exceptionnellement talentueux et intelligemment conseillé dès ses débuts, le musicien en herbe n'a donc pas tardé à faire son chemin au sein des plus prestigieuses institutions musicales londoniennes. C'est de bonne heure qu'il a rejoint la maîtrise de la Chapelle Royale, alors dirigée par Henry Cooke, dit Captain Cooke en hommage au grade qu'il avait obtenu dans l'armée royaliste lors de la guerre civile. A l'instar de ses onze petits collègues, Purcell y a reçu une excellente éducation générale et surtout musicale : apprentissage du chant, de l'écriture, du latin, des principaux instruments (viole, luth, orgue...) et de la composition. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'y a pas perdu son temps, puisque dès l'âge de huit ans il voit sa première oeuvre publiée à Londres chez Playford dans le recueil Catch that Catch can (1667). Six ans plus tard, peu après la nomination de Pelham Humfrey à la tête de la Chapelle, Purcell doit quitter la maîtrise car sa voix a mué.

Londres et sa vie musicale au XVIIIe siècle : tradition et mutation

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La capitale anglaise, à l'image de tout le pays, a beaucoup souffert des soubresauts de l'histoire, particulièrement nombreux en ce XVIIe siècle. Cette époque troublée a été marquée par les dernières luttes du pouvoir royal pour imposer une monarchie absolue face au Parlement dominé par une bourgeoisie riche et florissante, éprise de liberté. Commencée avec le début du siècle, cette lutte ne s'est définitivement apaisée qu'avec la chute des Stuarts et l'avènement de Guillaume III en 1689, et ce après avoir connu un épisode particulièrement tragique: une guerre civile qui avait abouti à la décollation de Charles Ier et à l'instauration d'une république (ou Commonwealth) dirigée par Olivier Cromwell. Cette grande fracture dans l'histoire d'Angleterre (de 1642 à 1660) a eu de graves répercussions sur la vie culturelle du pays. Maîtres de la capitale dès le début des événements, les Puritains décidèrent en effet de réagir à la fois contre les dissolus et dispendieux spectacles de cour (les Masques) qui avaient fait l'orgueil des premiers Stuarts, et contre l'excès d'apparat qui, selon eux, "alourdissait" la musique religieuse. Comme souvent en pareil cas, la réaction fut excessive et profita aux plus extrémistes. Ainsi l'orgue en particulier subit nombre de persécutions, tant certains le considéraient comme une "invention du Diable" ! De nombreux instruments furent détruits à coups de hache (à Chichester, à Canterbury, à Norwich...) ; d'autres furent pillés, tel celui de l'Abbaye de Westminster, dont la soldatesque donna les tuyaux en gage dans les tavernes pour qu'on en fît des pots à bière. Même certaines cathédrales (Winchester, Ely...) furent à deux doigts d'être purement et simplement rasées. Dans la foulée, les Puritains supprimèrent les maîtrises et chapelles musicales des cathédrales ainsi que, bien entendu, la Chapelle Royale.

Un grand symphoniste : Arthur Honegger

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Le groupe des cinq symphonies d'Arthur Honegger forme un massif compact et homogène d'oeuvres de haute maturité. Par leur concision (elles durent toutes entre 20 et 30 minutes), par la solidité de leur architecture, la netteté de leurs profils thématiques, leur intense énergie vitale et leur extraordinaire force expressive, elles se rapprochent, peut-être plus que toutes autres écrites en ce siècle, du grand modèle que Honegger avait choisi dès sa jeunesse : Beethoven. Comme en dépit de leur parfaite unité de style, elles diffèrent toutes par leur contenu, voire par leur réalisation matérielle (les trois impaires pour grand orchestre symphonique "normal", les deux autres pour des  formations plus restreintes), elles se prêtent idéalement à une présentation sous forme de cycle. 

Très schématiquement, on peut dire que le jeune Honegger se voua en priorité à la musique de chambre, alors que la moyenne fut celle des grands oratorios et des oeuvres scéniques. Les Symphonies sont le produit de la haute maturité, postérieures, sauf la Première, aux Oratorios. La gloire d'Honegger repose à égalité sur les uns et les autres. Rien n'illustre mieux la position chronologique des Symphonies que leurs numéros dans le catalogue de 222 oeuvres établi par le signataire de ces lignes: H. 75, 153, 186, 191 et 202.

40 ans de Ricercar avec Jérôme Lejeune 

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Le label belge Ricercar célèbre ses 40 ans et à cette occasion, Jérôme Lejeune, son fondateur et directeur artistique, a été le récipiendaire d’un Prix spécial dans le cadre des International Classical Music Awards 2020. Ricercar, c’est un label d’excellence, une marque internationalement reconnue et qui nous invite toujours à de nouvelles découvertes et à sortir des sentiers battus éditoriaux. Crescendo Magazine rencontre Jérôme Lejeune que l’on retrouve en plein travail sur les oeuvres d’Andreas Hammerschmidt. 

La première question revêt un aspect purement biographique. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer, à l’orée des années 1980, un label de musique classique ? 

C’est la concordance de plusieurs éléments et des hasards de la vie qui a rendu possible la création du label. A Liège, il y avait tout un vivier d’artistes qui avaient envie d'exister par le truchement du disque : Philippe Pierlot, Bernard Foccroulle, Philippe Boesmans et Pierre Bartholomée qui venait de prendre la direction de l’Orchestre Philharmonique de Liège. De plus, mes activités étaient à l’époque l’enseignement de l’Histoire de la musique au Conservatoire Royal de Liège et j’avais également des émissions à la radio Musiq3, et j’en suis arrivé à la conclusion qu’il existait un répertoire inédit qui méritait sa place au disque. J’ai alors contacté Pierre Gorlé du label belge Alpha (qui n’a rien à voir avec le label Alpha, filiale comme Ricercar de Outhere) pour savoir s’il n’avait pas besoin d’un jeune musicologue au titre de Directeur artistique. Cependant, ce label était un peu à la fin de son existence et aucune collaboration n’a pu naître. De fil en aiguille, l’idée de lancer une nouvelle entreprise a commencé à naître dans mon esprit. Comme j’avais un petit capital, le minimum légal pour fonder une société, je me suis lancé...

Jesse Rodin à propos des chansons d’Ockeghem 

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Le musicologue américain Jesse Rodin publie, avec son ensemble Cut Circle, une intégrale des chansons de Johannes Ockeghem pour le label Musique en Wallonie pour lequel il a déjà réalisé plusieurs albums multi-récompensés. Il répond depuis la Californie aux questions de Crescendo Magazine. 

Votre nouvel album est consacré aux chansons de Johannes Ockeghem. Qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer ces oeuvres ? 

Au cours de mes années d’études à l’université, j’ai eu l’opportunité de chanter de la musique d’Ockeghem, c’était pour moi le début de la découverte de cette musique. Je connaissais très bien les Messes du compositeur mais j’avais envie de découvrir ses chansons car Ockeghem est un compositeur dont toutes les oeuvres se maintiennent à un niveau musical des plus élevés. 

Quelles sont les spécificités de ces partitions par rapport à celles de ses contemporains ? 

Elles sont absolument uniques car chacune de ces vingt-quatre chansons est différente. Le corpus des chansons d’Ockeghem est certes numériquement plus petit que ceux de ses contemporains comme Antoine Busnois, mais c’est un ensemble musicalement exceptionnel. Il ne faut pas perdre de vue que nous connaissons encore fort mal les oeuvres de cette période et on fait encore des découvertes importantes, comme le chansonnier de Louvain qui est réapparu en 2016. C’est une période de l’histoire de la musique des plus stimulantes pour un musicologue.  

Richard Strauss(III) : triomphes, troubles et contrastes

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Dernière partie de notre dossier sur Richard Strauss et l'opéra : des triomphes au crépuscule en passant par les temps troublés.

D'HÉLÈNE L'EGYPTIENNE A ARABELLA

Pour Hélène l'Egyptienne, Strauss revint vers Hofmannsthal, le pressant de lui proposer un sujet léger, propre à une opérette. Toujours hostile à ce genre qu'il jugeait en-dessous de sa dignité, le poète dénicha une pièce peu connue d'Euripide, en apparence frivole, en réalité tragique par les vérités qu'elle expose : la difficulté à rester pur et fidèle et à respecter les plus belles qualités humaines -la tolérance, la sincérité, la compréhension... Une fois encore, Hofmannsthal ne peut s'empêcher d'élaborer un livret sophistiqué sur lequel Strauss construit une musique sans doute trop brillante et qui fait peu de cas du texte. La refonte, en 1933, de la mouture originale de 1928, ne parvint pas à la sauver. Un opéra de plus, un opéra de trop pourrait-on dire...

Il n'en est pas de même d'Arabella, ébauchée en 1927, achevée en octobre 1932. 

richard Strauss (II) : à la rencontre d'Hugo von Hofmannsthal

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Paradoxalement peut-être, l'immense succès de Salomé laissa Strauss perplexe. Dans quelle voie devait-il désormais se diriger ? Comment créera-t-il à nouveau une œuvre qui puisse se hisser au niveau de ce coup de génie sans la plagier ? 

C'est alors que survint Hugo von Hofmannsthal, le poète esthète viennois. 

Strauss et lui s'étaient déjà rencontrés en 1900, à Paris, en vue d'écrire ensemble un ballet, mais le projet n'aboutit pas. Ironie de l'histoire, l'œuvre sur laquelle se porta le choix des deux créateurs ne correspondait au caractère ni de l'un ni de l'autre, et aucun des deux ne ressentit au début un quelconque intérêt pour ce sujet. 

Quel étrange couple que celui-là ! Peut-on en effet imaginer personnages et tempéraments plus différents que ceux de l'Autrichien, aristocrate élégant et subtil, cultivé et raffiné à l'extrême, et ceux du Bavarois, bon vivant, caractère sanguin, gourmand de bonne chère et de bons mots ? Quoi qu'il en soit, cette collaboration allait devenir l'une des plus brillantes et fécondes de l'histoire, aventure parfois mouvementée qui ne prit fin qu'en 1929 avec la disparition soudaine du poète. 

Richard Strauss, un bourgeois de Munich (1)

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Crescendo Magazine continue de reprendre les dossiers publiés dans ses éditions papiers. Nous mettons en ligne mais en épisodes, un dossier rédigé par Bernard Postiau.

Un des paradoxes de Richard Strauss, et non des moindres, est d'être pour célèbre pour ses poèmes symphoniques plus que pour le reste de son œuvre, en particulier les opéras. De ceux-ci, on ne retient généralement que les valses du Rosenkavalier, la "Danse des sept voiles" de Salomé et les titres de deux ou trois autres: Elektra, Capriccio... Et pourtant, si l'on passe en revue l'ensemble de la création du maître bavarois, force est de constater que l'opéra occupe une position centrale et essentielle dans son activité créatrice. Tous ses autres opus peuvent être vus, à des degrés divers, comme un travail préparatoire à ses partitions lyriques ou comme des objets satellites, périphériques, plus ou moins dérivés de celles-ci. L'attrait irrésistible de Richard Strauss pour le théâtre -et pour la voix féminine en particulier- n'a cependant rien d'inné: de nombreuses années d'apprentissage s'écouleront avant qu'il produise une œuvre lyrique présentable -ce sera Guntram- et d'autres encore avant d'acquérir un style propre, débarrassé de la majorité des "tics" wagnériens. Il créera alors Salomé. La maturité aidant, il trouvera son style définitif dans un certain retour au classicisme et Der Rosenkavalier en est l'une des premières expressions.

Rien ou presque dans les compositions du jeune Strauss ne laisse présager le rôle primordial que prendra l'opéra dans sa vie. Ses premiers essais relèvent du piano et de la musique de chambre, davantage des exercices "à la manière de". Même s'il écrit relativement tôt pour l'orchestre, il faudra attendre 1886, quinze ans après ses débuts, pour voir naître une création vraiment personnelle: Aus Italien. *

Anton Bruckner, les symphonies (n°7 à n°9) : analyse et orientations discographiques 

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Suite et fin de la publication de l’article rédigé par Harry Halbreich en 1996 sur les Symphonies de Bruckner (lire ici et ici les deux précédents textes). Cette dernière étape est consacrée aux Symphonies n°7 à n°9. Si le texte d’analyse est publié tel quel, la discographie des symphonies de Bruckner, qui s’est particulièrement développée au cours des 30 dernières années, a été actualisée par Bertrand Balmitgere et Christophe Steyne sous la coordination de Pierre-Jean Tribot.

Symphonie n°7 en mi majeur

Ce fut la Septième Symphonie qui apporta enfin la consécration internationale au compositeur sexagénaire à la suite de sa sensationnelle création à Leipzig sous la direction d'Artur Nikisch, suivie de celle de Hermann Levi à Munich. La Septième demeure avec la Quatrième la plus populaire de la série. D'une inspiration sereine, rayonnante et lumineuse, elle conquiert l'auditeur dès l'envolée prodigieuse de son thème initial, et ne cessera de le captiver grâce à une forme particulièrement claire et à des profils mélodiques mémorables. Le grandiose et émouvant Adagio culmine en une bouleversante musique funèbre des cuivres graves, à la mémoire de Wagner qui venait de mourir. Succédant à un Scherzo dont le thème très original est un cri de coq stylisé, le Finale est plus bref et moins monumental que ceux des autres Symphonies, ce qui facilite peut-être l'accès de l'oeuvre en général, mais crée un certain déséquilibre entre les deux premiers mouvements et les deux derniers. Bruckner avait primitivement prévu le Scherzo en deuxième position, et cette succession créerait certes un équilibre meilleur. Composée de 1881 à 1883, la Septième ne fut jamais remaniée, et la seule controverse textuelle qu'elle présente est le fameux coup de cymbales au sommet de l'Adagio, rajouté après coup, puis supprimé, puis remis... La très grande majorité des chefs l'adoptent, à juste titre à mon avis. Discographie pléthorique, avec maintes versions sublimes : Wilhelm Furtwängler (DGG), Karl Böhm (DGG) , Eugen Jochum à Dresde (Warner), Herbert von Karajan à Vienne (DGG), Daniel Barenboim à Berlin (Teldec), Giuseppe Sinopoli à Dresde (DGG), Carlo Maria Giulini à Vienne (DGG).

Orgues du Soleil, volet 4 : bouquet final, cinq indispensables !

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Alors que la chaleur échauffe les derniers jours de la saison, voici le dernier des quatre volets de notre série estivale. Nous avons distingué cinq albums que l’on qualifierait d’indispensables. Non que les quinze précédents ne le soient (ils ont tous été sélectionnés parmi une discographie qui est heureusement riche), mais ces cinq-là constituent autant d’absolus ou de coups de cœur personnels (assumons la subjectivité). À les entendre, gageons que vous ne désavouerez pas ce choix. Nous admirerons les leçons de phrasé d’Andrea Marcon dans un récital post-frescobaldien qui brille de mille feux et brûle de mille saveurs. Suivra une excursion animée par Viviane Loriaut sur un pulpeux orgue corse, incluant une époustouflante Sinfonia du Padre Davide qui vaut toutes les cures de vitamines. Nous poursuivrons sous les auspices oniriques de l’exotisme africain de Jean-Louis Florentz, servi par un de ses interprètes de prédilection qui nous a accordé une éclairante interview sur le compositeur. Un périple au-delà des mers nous embarquera à la découverte d’un petit orgue mexicain à couper le souffle, et que nous racontera Dominique Ferran lui-même. Sur le même continent, en Uruguay, une jeune organiste (promise à l’admirable carrière que l’on sait) traversait l’océan en 1991 pour venir embraser les pyrotechnies de Cabanilles sur un orgue des Baléares. Nous remercions chaleureusement les organistes que nous avons contactés pour mettre leur disque (quatre datent d’il y a plus de vingt ans déjà) dans la perspective du souvenir qu’ils en gardent, et dont les mots ont alimenté ces articles.