Focus

La lumière sur un sujet musical particulier.

Le Wanderer du voyage à l'errance (2) : Mendelssohn et ses impressions de voyage

par

Le voyage d'agrément, autrement dit le tourisme, est un phénomène de civilisation relativement récent, vieux d'à peine deux siècles. Il a fallu attendre pour cela que le niveau de vie général augmente, et surtout que les conditions matérielles du voyage s'améliorent. Si les Anglais ont voyagé ainsi les tout premiers, c'est à la fois parce que leur pays était le plus développé de l'époque économiquement parlant et parce sortir de leur île s'imposait sans doute davantage que de franchir une simple frontière continentale. Inauguré à une échelle encore très modeste cinquante ans environ avant l'apparition des premiers chemins de fer, le tourisme devait évidemment se développer considérablement au fur et à mesure que l'Europe se couvrait de voies ferrées. Mais pendant plus d'un siècle encore, il demeura l'apanage d'une minorité de privilégiés par l'argent.

De cette minorité faisait partie un jeune homme heureux et génialement doué, qui méritait bien son prénom, Félix Mendelssohn. Son brave et généreux banquier de père lui offrit ainsi plusieurs voyages, dont certains seulement, notamment deux séjours à Paris, avaient un but strictement professionnel.

Le Wanderer du voyage à l'errance (3) : Hector Berlioz en Italie

par

Berlioz, ce "Français des montagnes", était presque un Français du Midi: son Dauphiné natal jouxte le Piémont, il suffit de franchir les Alpes. 

Or, la présence de l'Italie dans son oeuvre, tant par les sujets choisis que par le langage même de cette musique, est tout à fait extraordinaire, et n'a peut-être pas été assez soulignée jusqu'ici. Certes, son orchestration éblouissante et transparente ruisselle de soleil méridional, mais surtout son langage harmonique, tout imprégné de modalité, frappe par sa latinité profonde face à celui de ses contemporains les Romantiques allemands et son melos la confirme. Avant même son unique grand voyage en Italie, son véritable culte pour Virgile, remontant à son enfance, et qu'il lisait évidemment dans le texte, comme tous les hommes cultivés de son siècle, le prédisposait à aimer ce pays. Et pourtant il n'y séjourna qu'une seule fois, à la faveur de son Prix de Rome, durant une quinzaine de mois.

Quittant Paris en février 1831, il s'embarqua à Marseille pour Livourne, et arriva à Rome le 10 mars environ. Son séjour à la Villa Médicis fut interrompu une première fois en avril-mai par sa folle équipée suscitée par l'annonce de la "trahison" de la belle Camille Moke, qu'il avait laissée à Paris en quasi-fiancée. Parti pour la tuer, et se tuer après, il recouvra ses esprits à Nice seulement (qui n'était pas encore française à l'époque) et rebroussa chemin, visitant Gênes et Florence au passage. L'été fut consacré à d'extraordinaires randonnées à pied au coeur des montagnes sauvages des Abruzzes, peuplées de brigands, puis à Naples. Le 2 mai 1832, il quitta définitivement Rome et regagna le Dauphiné en passant par Pérouse, Florence, Arcole, Milan et Turin. Il ne devait jamais plus mettre le pied en Italie.

Franz Berwald, un symphoniste singulier

par

La Finlande a Sibelius, la Norvège, Grieg, le Danemark, Nielsen. Et la Suède, le plus important et le plus central des pays nordiques ? Elle a Franz Berwald (1796-1868), qui les précède tous mais qui, amèrement méconnu de son vivant, n'a pris la place qui lui revient qu'en notre siècle, un siècle qu'il annonce souvent dans sa musique.

Certes, la Suède a produit de nombreux autres compositeurs de talent, et parmi les contemporains de Sibelius et de Nielsen, on citera au moins Wilhelm Stenhammar, qui fut leur ami et interprète, et dont l'ensemble des six Quatuors est le plus important de toute la musique nordique. Mais aucun n'atteint à la saisissante originalité de Berwald. 

Nommer Singulière la plus belle de ses Symphonies, certes l'occasion était trop belle pour priver cet hommage d'un si beau titre ! Mais le personnage mérite au moins autant cette épithète. 

Né le 23 juillet 1796 à Stockholm d'une famille de musiciens d'ascendance allemande, il est donc de quelques mois l'aîné de Schubert. Disparu le 3 avril 1868, il a précédé de moins d'un an Berlioz dans la tombe. Or, ses meilleures oeuvres semblent appartenir à une époque bien plus proche de la nôtre, et furent d'ailleurs pour la plupart jouées après sa mort, souvent au vingtième siècle seulement. A la fin de sa vie, Liszt, le soutien de toutes les avant-gardes, comme on le sait, lui rendait un vibrant hommage, tout en lui prédisant qu'il ne serait pas reconnu de son vivant... 

Dossier Faust (IV) : Faust par Schumann, le triomphe de l'Amour

par

Poète autant que musicien, Robert Schumann fut le premier compositeur à s'attacher au Faust II qui occupe les trois quarts de la partition de son grand Faust dont il garda mot pour mot le texte, le mot qui, chez ce génie du lied, prend toute sa résonance. A Franz Brendel, il écrit à propos de la scène finale qu'il composa en premier lieu : "Qu'apporterait la musique à une œuvre lyrique aussi achevée ? Mais depuis que je connaissais cette scène, je sentais que la musique précisément pourrait en amplifier l'effet". Aussi Schumann s'écartera-t-il des formes musicales conventionnelles et préférera mouler la musique au poème pour mieux éclairer la magie kaléidoscopique du mot dont il a retenu les scènes de l'Amour et la Rédemption par l'Amour : "Le Jardin de Marthe", "Une bastille", "Cathédrale" pour le Faust I, "Paysage agréable" (acte I, scène 1), "Minuit" (acte V scène 4), "Grand péristyle du Palais" (acte V scène 5), "Ravins dans la montagne" (acte V scène 7) pour le Faust II.  

Dossier Faust (III) : Faust par Hector Berlioz ou le mépris cinglant des conventions

par

Chef-d’oeuvre absolu et emblématique du romantisme allemand, la légende de Faust vue par Goethe ne pouvait qu’enflammer l’esprit exalté du plus romantique des compositeurs français. Le drame le plus célèbre de la littérature allemande est pour Berlioz l’histoire de toute une vie et le théâtre de bien des expériences... Dès ses premières années de composition, en 1828 très exactement, Goethe est au centre de ses préoccupations : il compose Huit scènes de Faust qu’il s’empresse d’estampiller fièrement “Opus 1”... et qui serviront de base de départ pour sa future Damnation ! Bien des années plus tard en effet, au cours d’un voyage en Europe Centrale en 1845, il entreprend une composition de bien plus grande envergure. L’inspiration lui vient sans difficulté, les vers comme la musique semblant naître spontanément. Il réécrit le texte, le simplifie, le rend plus direct, moins fouillé : “une fois lancé, je fis les vers au fur et à mesure que me venaient les idées musicales, et je composais ma partition avec une facilité que j’ai bien rarement éprouvée pour mes autres ouvrages”. Rien ne l’arrête dans sa force créatrice et tout son voyage semble ponctué par la mise au point des airs les plus sublimes de la partition. “Je regarde cet ouvrage comme l’un des meilleurs que j’aie produits”, écrit-il encore dans ses Mémoires. L’oeuvre tombera pourtant à sa deuxième représentation devant une salle à moitié vide et entraînera l’infortuné compositeur dans un désastre financier dont il ne sortira qu’à grand-peine. 

Une Lakmé pour l’éternité, Mady Mesplé 

par

En l’espace de dix-sept jours disparaissent deux des figures emblématiques du chant français, Gabriel Bacquier le 13 mai, Mady Mesplé, le 30. Comment oublier cette voix de soprano léger qui vous envoûtait par une seule phrase, Où va la jeune Hindoue, fille des parias ? ouvrant l’Air des clochettes de ‘Lakmé’, avec cette fraîcheur affectueuse et ce charme subtil et souriant qui s’ajoutaient à la pureté du timbre, à la justesse de l’intonation et à la facilité de l’aigu ? Et dire que trois ou quatre carrières se sont succédé dans un parcours artistique témoignant de l’indomptable énergie d’une chanteuse qui a osé défendre autant la création contemporaine que le récital ou les apparitions à la télévision destinées à rapprocher le spectateur lambda d’un répertoire lyrique jugé hermétique .

Née à Toulouse le 7 mars 1931, fille de parents d’un milieu modeste qui s’étaient rencontrés dans une chorale, la petite Magdeleine prend des cours de solfège dès sa plus tendre enfance, chante à longueur de journée depuis qu’elle a entendu une représentation de Faust au Capitole et, par une dérogation au règlement, réussit à entrer au Conservatoire de Toulouse à l’âge de… sept ans et demi dans les classes de piano et d’accompagnement, ce qui lui vaudra rapidement un premier prix. Mais comme la famille n’a pas les moyens de l’envoyer à Paris afin de poursuivre ses études au Conservatoire National Supérieur, elle joue du piano dans les bals populaires, les cabarets, tout en servant régulièrement d’accompagnatrice à un jeune violoniste, Christian Ferras. A dix-huit ans, elle réintègre l’école de musique toulousaine pour se glisser dans la classe de chant de Madame Izar Lasson, l’épouse de Louis Izar, le directeur du Capitole qui, rapidement, l’envoie auditionner à Liège avec l’Air des clochettes. Aussitôt engagée pour la saison 1952-53, elle travaille le rôle de Lakmé avec Georges Prêtre, en poste à Toulouse, débute à l’Opéra Royal de Wallonie au début 1953 dans cette incarnation qui remporte un succès considérable et qui lui permet, durant trois saisons, d’aborder Gilda, Rosina, Philine de Mignon et la rare Dinorah de Meyerbeer. Sous contrat en tant qu’invitée par La Monnaie de Bruxelles pour la saison 1955-56, elle y ébauche une première Lucia di Lammermoor, une première Reine de la Nuit. Mais son collègue de troupe, Gabriel Bacquier, lui conseille de se faire entendre en France.

Le mythe de Faust, de la littérature à la musique

par

FAUST 

"Car de mes jours mortels au grand jamais la trace
Ne pourra sombrer au tombeau" 

Faust II - Acte V 

 Depuis quatre siècles, un homme habite l'imaginaire collectif. Durant plus de soixante années, il a habité l'imaginaire de Goethe qui l'a traduit en mythe universel et dans l'ouvrage duquel Baudelaire voyait "le plus beau témoignage que nous puissions donner de notre dignité". Une œuvre et un personnage sur lesquels fleurit une littérature des plus abondantes, tant littéraire que musicale, théâtrale ou cinématographique et qui, presqu'à chaque fois, a exigé beaucoup du temps de son auteur, de remises en œuvre du chantier ; un personnage qui ensuite s'est constitué des sosies tels Manfred ou Frankenstein. 

Le Faust de Charles Gounod

par

Il n'est pas de mythe -même celui de Manfred- qui, au XVIe siècle, n'ait été plus "porteur d'idées" que celui de Faust. Née au XVIe siècle, la légende du vieux savant pactisant avec le Diable pour assouvir sa soif de connaissances, de voluptés, d'actions, trouve à l'époque romantique son expression la plus éclatante. Et à travers tous les arts. Car, quoi de plus fascinant que cet homme mi-médecin, mi-magicien qui, au-delà de sa ville natale de Knittingen, laisse planer autour de lui une odeur de soufre -cette odeur que semble lui avoir communiqué Méphistopheles, exigeant de lui une signature en échange d'une jeunesse ressuscitée et de plaisirs retrouvés ? Melanchton -dès 1550- puis le libraire de Franckfort Johann Spies, n'ont pas peu contribué à répandre son image démoniaque. Aucun littérateur cependant, en redisant son histoire, ne fit autant pour lui que cet autre franckfortois, Johann-Wolfgang Goethe (1749-1832) qui, dès 1773, commence à s'intéresser au mythe de Faust, publie à Tübingen dix-sept ans plus tard (1790) des Fragments composant la moitié environ de ce qui, en 1808, allait devenir, avec la Dédicace, le Prélude sur le Théâtre et le Prologue dans le ciel, la "Première Partie" de cet immense chef-d'œuvre aux résonances infinies. 

Le succès de ce premier Faust, doté juste avant la mort de l'écrivain d'une Seconde Partie qui fait rencontrer notre héros avec Hélène-la-Grecque, vient sans doute de cette part autobiographique que Goethe y a mise. Mais il tient, bien davantage, à la richesse de l'action imaginée, résumé de toutes les aspirations humaines : savoir, jouir, agir. 

Six, ils sont six !

par

Le 8 janvier 1920, à 16 heures 30, un jeune compositeur français déjà bien en vue, Darius Milhaud, récemment rentré du Brésil où il a été le secrétaire particulier de l'Ambassadeur Paul Claudel, reçoit chez lui, rue Gaillard à Paris, quelques critiques musicaux en vue de leur faire connaître quelques-uns de ses jeunes collègues les plus talentueux. Cinq répondent à l'appel : Arthur Honegger, Francis Poulenc, Georges Auric, Louis Durey et Germaine Tailleferre. On fait connaissance, on bavarde, on fait de la musique. L'un de ces critiques, Henri Collet, également compositeur et grand expert en musique espagnole, est particulièrement impressionné. Une semaine plus tard, le 16 janvier, il fait paraître dans la revue Comoedia un article retentissant intitulé "Un ouvrage de Rimski et un ouvrage de...Cocteau : les Cinq Russes, les Six Français". Et il récidive la semaine suivante. Le Groupe des Six est né. 

Il aurait pu être de composition différente, voire comprendre un ou deux membres de plus : Jacques Ibert, Roland-Manuel... Le hasard a fait que ceux-là purent répondre à l'invitation de Milhaud ce jour-là. Mais à la vérité, leurs noms avaient déjà voisiné dans nombre de concerts depuis deux ans, une ou deux fois même au complet. D'emblée, Henri Collet a associé leurs noms à celui de Jean Cocteau, leur flamboyant porte-parole. Ce brillant poète et protagoniste de la vie mondaine de l'avant-garde parisienne ("Un cocktail, des Cocteaux", dira une bien méchante langue !) accumule depuis des années articles et manifestes, activité culminant en 1918 dans la célèbre brochure Le Coq et l'Arlequin, auxquels succèderont, mais après la naissance du Groupe des Six, les quatre numéros de l'éphémère revue Le Coq (mai à novembre 1920). Mais Collet aurait dû évoquer un autre parrainage encore, d'ailleurs sans cesse invoqué par Cocteau, celui du malicieux Erik Satie, compositeur énigmatique et rare, et écrivain-conférencier tout proche de Dada, en fait véritable père spirituel de notre Groupe.

Hermann Scherchen, l’Allemand qui ne dirigeait pas comme un Allemand 

par

La réédition par DGG d’enregistrements beethovéniens, dont les symphonies, sous la baguette du chef d’orchestre Hermann Scherchen, est une bonne opportunité d’évoquer la carrière de ce musicien exceptionnel. Chef d’orchestre virtuose, pilier de la création contemporaine et même de la musique électronique, il marqua de son empreinte l’art de la direction en dépit d’une notoriété relativement trop confidentielle par rapport aux stars de son époque. 

Hermann Scherchen naît à Berlin en 1891. Altiste, il joue dans l’orchestre Blüthner de Berlin tout en étant musicien supplémentaire lors des concerts du Philharmonique. En 1911, il rencontre Arnold Schönberg dont il est l'assistant pour la création du Pierrot lunaire. Le jeune musicien est fasciné par la modernité et les pistes offertes par cette musique qui dépasse les frontières connues. Schönberg part en tournée à travers l’Allemagne avec son Pierrot Lunaire et Scherchen, encouragé par le compositeur, assure quelques performances de cette oeuvre révolutionnaire. En 1914, il est chef d’orchestre à Riga mais la Première Guerre Mondiale éclate et le musicien est retenu prisonnier par les Russes, il se découvre une sympathie pour la Révolution d’octobre et les idées communistes. De retour à Berlin, en 1918, il se fait un propagateur de la musique de son temps. S’il fonde un quatuor à cordes qui porte son nom, il est aussi l’initiateur de la Neue Musikgesellschaft (Société pour la nouvelle musique) et de la revue Melos (1919) qui oeuvrent pour la défense de la musique contemporaine. Ses activités se complètent par un poste à la Musikhochschule de Berlin et la direction d’une chorale d’ouvriers. En 1921, il est désigné à la tête des concerts du Konzertverein de Leipzig puis au pupitre des Museumkonzerten de Francfort sur le Main où il succède à Wilhelm Furtwangler.