Focus

La lumière sur un sujet musical particulier.

Dossier Mendelssohn (V) : la musique pour piano

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Il est habituel de considérer Mendelssohn avec un léger mépris et de lui reprocher de n’être ni Chopin ni Schumann. C’est oublier que bon nombre de grands compositeurs (Schumann justement ou Busoni, pour ne citer qu’eux) lui ont voué une admiration sans borne et que sa musique est, en définitive, très personnelle. Musicien de la dualité, il est constructeur mais passionné, rêveur parfois ; féru de contrepoint, il est aussi mélodiste. Homme, enfin, de méditation, il est l’auteur de certains des scherzi les plus réussis, les plus légers de la musique. 

Parallèlement à la sonate pour piano et aux oeuvres virtuoses s’est développé, à l’époque de Beethoven et de Schubert, un troisième type d’écriture pour piano : la pièce lyrique. Sans aucun doute, le professeur du jeune compositeur, Ludwig Berger, ou son ami Ignaz Moscheles, le brillant virtuose, ont-ils eu sur Mendelssohn une influence déterminante. Ils l’ont en effet amené à considérer la possibilité de composer des pièces pour piano qui sonnent comme des lieder sans voix, comme des lieder "instrumentalisés". Certes d’autres compositeurs comme John Field l’avaient précédé sur cette voie, mais l’originalité du jeune Félix fut de parvenir à concilier dans une même formule instrumentale le lyrisme romantique avec la technique de clavier de Mozart alliée à une virtuosité héritée de Hummel, parfois pimentée de trouvailles empruntées à Weber.

C’est dans ce contexte qu’est née une majeure partie de l’œuvre pour piano de Mendelssohn dont les autres caractéristiques sont la clarté de la structure -reprenant souvent la forme lied en trois parties- et l’expression mélodique. En l’absence de signification poétique du texte, comme dans un lied, c’est l’atmosphère de la pièce pour piano qui sera "poétisée" et mobilisera toutes les ressources instrumentales du clavier.

Dossier Mendelssohn (IV) : le chambriste méconnu,  trop heureux pour être génial ?

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Mendelssohn Bartholdy. Qu’évoque ce nom ? La Marche Nuptiale, la Symphonie Ecossaise, l’Italienne... Mais, la musique de chambre ? On connaît les Romances sans paroles (parce que le titre est curieux) et puis l’Octuor, le célèbre Octuor dont on oublie qu’il fut composé par un gamin de seize ans. 

Quelle est la place de la musique de chambre dans l’oeuvre de Félix Mendelssohn ?

Dès sa jeunesse, Mendelssohn s’essaie au contrepoint, pas tant à travers les exercices d’écriture classique que dans la contemplation et l’imitation de Jean-Sébastien Bach. Six Préludes et Fugues (op.35) affirment une technique parfaite mais aussi un sens de la musicalité non dénué de dramatisation. Schumann, l’ami et l’admirateur, écrivait dès 1837 : "Ce ne sont pas seulement des fugues travaillées avec la tête et d’après la recette, mais des morceaux de musique tout jaillis de l’esprit et développés suivant le mode poétique". Le Premier Prélude affirme un chant dans le médium, une ligne mélodique pure comme un lied, revenant incessamment. C’est une caractéristique de Mendelssohn ; sa musique chante. Pléonasme si difficile à une époque où le piano devient le laboratoire où se créent les formes nouvelles et les sons déjà insolites.

Dossier Mendelssohn (I) : le Mozart du romantisme ?

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Curieux destin que celui de Mendelssohn. Adulé par les uns comme Schumann qui en disait : Mendelssohn est le premier musicien qui ait fait une place aux grâces dans la maison de Dieu ; dénigré par les autres comme le féroce Monsieur Croche, alias Claude Debussy, qui l'appelait ce notaire élégant et facile. Dans son ouvrage sur La génération romantique, Charles Rosen intitule le chapitre qu'il lui consacre Mendelssohn ou l'invention du kitch religieux. On le voit : Mendelssohn ne partage pas la même place que ses augustes prédécesseurs Bach, Mozart, Beethoven ou Haydn ni que ses contemporains Chopin, Liszt, Schumann ou son jeune cadet Wagner au Panthéon des musiciens. Car, Mendelssohn est bien le contemporain de Chopin, de Liszt, de Schumann et de Wagner qui, comme lui, vont accorder leur langage musical au romantisme allemand en pleine expansion. Comme Chopin et Schumann, il ne connaîtra pas la vieillesse. Il meurt prématurément en 1847, à 38 ans ; Chopin le suivra en 1849 à 39 ans et Schumann en 1856 à 46 ans. Peut-être était-il prédestiné par son prénom Felix ? En effet, cette existence trop courte aura été remplie, efficace et surtout heureuse, une qualité que le romantisme naissant n'aime guère, lui préférant le tragique de la vie. Enfant prodige comme Mozart, il a comme lui une sœur plus âgée, Fanny, douée pour la musique. Ce n'est pas sans raison qu'on l'appellera parfois le Mozart du romantisme. Car c'est vrai que, comme Mozart ou Haydn, il a le goût de la forme musicale nette et bien organisée dans la grande tradition classique.

Issu d'une lignée juive, petit-fils de Moses Mendelssohn, le philosophe juif des Lumières allemandes, le jeune Felix naît à Hambourg le 3 février et grandit dans une Allemagne qui cherche son équilibre entre les réformes luthériennes ou calvinistes et la plus que millénaire Eglise catholique. Son père Abraham est fort soucieux de la germanisation de sa famille dans la nouvelle Allemagne toujours marquée par l'ancienne Guerre de Trente Ans et plongée dans les désastreuses guerres napoléoniennes ; forcé de quitter Hambourg en 1811 suite à l'occupation française et à l'approche russe, il devient banquier à Berlin où il fera baptiser dès 1816 ses quatre enfants, Fanny Caecilie, Jakob Ludwig Felix, Rebecca et Paul Hermann avant de se convertir lui-même en 1822. N'est-il pas indicatif à ce propos que les deux seuls oratorios que Mendelssohn ait écrits le soient, le premier, Paulus, sur les paroles du disciple le plus présent dans le Nouveau Testament chrétien, et le second, Elias, sur des thèmes pris dans l'Ancien Testament si cher aux écritures juives. C'est également par cette volonté d'intégration dans l'Allemagne chrétienne qu'Abraham Mendelssohn, devenu banquier berlinois, adjoindra à son nom de forte consonance traditionnelle judaïque -il est le petit-fils de Menahem Mendel- le patronyme de Bartholdy, son beau-frère ; une tradition à laquelle Felix rechignera beaucoup mais se pliera néanmoins comme l'attestent ses nombreuses signatures officielles.

 

Dossier Mendelssohn (II) : le concertiste et le symphoniste

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Si on évoque les symphonies de Mendelssohn, on pense à l'Ecossaise, l'Italienne, la Réformation. Si l'on parle de ses concertos, c'est le concerto pour violon en mi mineur qui sera souvent cité, beaucoup plus que les deux concertos pour piano. Mais, en fouinant, on trouve vite d'autres chefs d'oeuvre concertants ; en effet, entre 13 et 15 ans, le jeune Felix écrit pas moins de cinq concertos ainsi qu' un corpus rafraîchissant de douze symphonies pour orchestre à cordes. Car son père Abraham Mendelssohn, confortable banquier berlinois, se plie à la tradition d'organiser des concerts dominicaux gratuits où il engageait des membres de l'Orchestre de la Cour de Berlin. En plus des relations que cela permet de conforter, la présence de musiciens de qualité incite le jeune Mendelssohn non seulement à la composition mais aussi à la direction de ce petit ensemble pour cordes. Il y trouve un terrain d'exercices pratiques qui va mettre en valeur ses qualités d'enfant prodige.

Les concertos de jeunesse (1822-1824)

S'il est difficile d'établir une chronologie définitive des compositions de 1822 à 1824, on admet généralement par l'étude de style que le jeune Felix aborde le genre concertant par les deux concertos écrits pour un seul instrument soliste.

Le Concerto pour violon et cordes en ré mineur est dédié à son ami Eduard Rietz, son aîné de sept ans et son premier professeur de violon. C'est Yehudi Menuhim qui en édite la partition en 1952 à partir du manuscrit qu'il possédait. La partie soliste est déjà bien écrite pour le violon sans exiger une trop grande virtuosité. On y ressent l'influence de la technique française du violon de Viotti et de son élève Pierre Baillot qui initie les enfants Mendelssohn à la musique de chambre lors d'un séjour professionnel du père à Paris en 1816, mais on y entend aussi des réminiscences de concertos pour clavecin de Carl Philippe Emmanuel Bach. C'est assez flagrant par l'accompagnement en cordes à 4 parties, par la tonalité choisie -ré mineur- et surtout par la formulation énergique du thème d'ouverture. 

Dossier Mendelssohn (III) : la musique sacrée

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La musique sacrée, on l’oublie parfois, occupe une place privilégiée, sinon centrale, dans l’oeuvre de Felix Mendelssohn. Elle en constitue le volet le plus important en nombre, comme en témoigne toute une série d’opus, publiés ou non, qui vont de simples et brèves pièces à caractère liturgique jusqu’aux majestueux oratorios.

Si la musique d’essence spirituelle a tellement préoccupé le compositeur, ce n’est pas vraiment en tant que musicien d’église au sens strict, bien qu’il ait occupé l’un ou l’autre poste officiel dans ce domaine (chef de choeur d’église à Düsseldorf, organiste de la Cathédrale de Berlin). C’est d’abord en tant que croyant sincère, en effet, que Mendelssohn a fait preuve d’une inspiration particulière pour traduire le sens du sacré en musique. A l’image de Jean-Sébastien Bach, puissante figure tutélaire et modèle incontournable, Mendelssohn a dédié ses oeuvres sacrées au Créateur, en inscrivant en exergue l’une ou l’autre formule par laquelle il invoque Son aide au moment de coucher sur le papier le fruit de son travail. Les oeuvres qu’il écrit suite à une commande sont très rares. C’est donc mû par un réel besoin intérieur qu’il entreprend l’édification de ce gigantesque corpus, comme l’atteste cet extrait de l’une de ses lettres : "J’ai composé récemment plusieurs oeuvres sacrées, poussé par une impérieuse nécessité, tout comme il arrive que le besoin de lire tel ou tel livre en particulier, la Bible ou autre, se fasse expressément sentir et que seule la lecture de l’ouvrage puisse nous apaiser". 

Les improbables du classique : Luciano Berio et les Beatles 

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La musique est parfois le témoin de rencontres improbables entre deux univers à la base complètement différents. On peine ainsi à imaginer Jay Z se rendre à un concert de Mason Bates ou Adèle se passionner pour la musique Pierre Slinckx. Mais dans les années 1960, une avant-garde musicale des plus radicales, portée par Pierre Boulez, Karlheinz Stockhausen, Luciano Berio ou Henri Pousseur, jeunes enragés de la composition qui veulent faire table rase du passé et des stars de la pop en recherche de nouvelles sonorités s'attirent mutuellement.

Nous évoquerons ici la rencontre bien réelle de Luciano Berio avec Paul McCartney et les Beatles qui déboucha sur l’arrangement par le compositeur de trois chansons du célèbre groupe anglais. 

Coup de chapeau à un artiste hors du commun, Gabriel Bacquier 

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Quatre jours avant son 96e anniversaire, Gabriel Bacquier tire sa révérence avec une ultime pirouette qui sied si bien à ce personnage haut en couleurs qui pouvait jouer sur les registres les plus variés en passant des emplois légers de l’opérette et de l’opéra-bouffe aux rôles nobles de l’opéra. Sa voix de baryton ample, chaude et souple s’adaptait aisément aux personnages majeurs des répertoires français, mozartien et verdien ; et son jeu d’acteur savait les rendre intelligents et sensibles, modifiant souvent les concepts standards établis par la tradition.

Mais qui aurait imaginé que le rejeton né à Béziers le 17 mai 1924 dans une famille modeste entreprendrait une importante carrière lyrique de près d’un demi-siècle ? Passant d’une formation de graphiste chez son oncle imprimeur à un emploi de journalier aux Chemins de fer locaux, il est fasciné par le chant dont une certaine Mme Bastard lui inculque les rudiments, avant de le présenter, en octobre 1945, au Conservatoire de Paris où il aura notamment pour professeurs Yvonne Gall et Paul Cabanel. Durant l’été de 1945, avec une troupe d’amateurs, il campe… le Grand-Prêtre de Samson et Dalila aux Arènes de Béziers puis, au Théâtre Municipal, l’Ourrias de Mireille. Pour la saison 1949-50, il joue les seconds plans à l’Opéra de Nice ; mais en juin, il sort du Conservatoire avec un premier prix de chant et d’opéra-comique, un second prix d’opéra. Refusé à l’Opéra de Paris comme sa consoeur Régine Crespin, il doit courir le cachet, pousser la chansonnette dans les cabarets, les cinémas, en cultivant la muse légère à la Gaîté-Lyrique. L’été à Valenciennes, il ébauche Escamillo ou Scarpia. Puis avec la Compagnie Lyrique Française fondée par le baryton José Beckmans, il part en tournée au Maroc. En 1953, il auditionne devant Joseph Rogatchewsky qui l’engage pour trois ans dans la troupe du Théâtre de la Monnaie à Bruxelles où il se forge son répertoire. En octobre 1956, il est accepté par l’Opéra-Comique où il débute avec Marcello de La Bohème, Sharpless de Madama Butterfly et Albert de Werther ; et il finit par apparaître à l’Opéra durant la saison 1958-9 en incarnant Giorgio Germont, Rigoletto, Valentin et Alvar dans Les Indes galantes. Le 19 mars 1959, à la Salle Favart, il prend part à la création de La Véridique Histoire du Docteur de Maurice Thiriet, tandis que le 31 décembre, il est affiché au Teatro La Fenice de Venise dans le rôle du muletier Ramiro de L’Heure espagnole. Au Palais Garnier, le 10 juin 1960, il incarne le Baron Scarpia face à la Tosca de Renata Tebaldi ; et à ce propos, il me narrera avec humour : « Elle ouvrait la bouche et la voix était de l’or pur ! Elle m’avait dit : « Gabriel, si Scarpia doit mourir, venez vers moi, car je ne peux pas courir vers vous ! ». Je le faisais galamment, elle plantait le couteau, je tombais…et l’effet était réussi ! ». Et en juillet 1960, il paraît pour la première fois au Festival d’Aix-en-Provence où il remporte un triomphe sous les traits de Don Juan.

Dossier Espagne (V) : le compositeur Roberto Gerhard

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Né à Valls, en Catalogne, d'un père suisse et d'une mère alsacienne, Roberto Gerhard qui n'avait donc pas une goutte de sang ibérique dans les veines n'en devint pas moins le compositeur espagnol de loin le plus considérable entre Manuel de Falla et les grands aînés de la musique actuelle d'outre-Pyrénées, Cristobal Halffter et Luis de Pablo. Et c'est peut-être le plus obscur, le plus méconnu des très grands compositeurs de sa génération dans le monde, pour des raisons d'ailleurs explicables. 

Dossier Espagne (IV) : Manuel de Falla à la conquête de l'Absolu

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Don Manuel Maria de Falla y Matheu, pour citer son patronyme complet, est sans conteste le compositeur espagnol le plus connu depuis l'Âge d'Or de ce pays au XVIe siècle, celui de Victoria et de Morales. Malgré les foudroyantes pages pianistiques d'Albeniz et de Granados, la belle musique de chambre de Turina, les confidences intimes de Mompou, ou les concertos de Rodrigo, l'oeuvre de Manuel de Falla continue à dominer fièrement la musique de la Péninsule. Et ce malgré un nombre très restreint d'ouvrages significatifs, soit dix au total, dont cinq seulement sont régulièrement joués. Quatre autres, plus secrets, puis l'ultime et inachevée Atlàntida, complètent un corpus de haute tenue. On est donc loin de la prolixité d'autres maîtres de notre siècle, tels Milhaud, Martinu ou Hindemith. Cette austérité quantitative a comme corollaire un resserrement de l'écriture, qui peut évoquer la figure de Paul Dukas, le grand ami de Falla lors de son séjour parisien (1907-1914). Comme lui, il ne se résignait qu'au chef-d'oeuvre. 

Dossier Espagne (I) : le flamenco au confluent des sources orales et écrites

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Pour qui s'intéresse à la gestation des musiques de demain, le Flamenco apparaît comme un ferment particulièrement actif des métamorphoses musicales en cours. Au-delà des stéréotypes qui le représentent à l'extérieur depuis le Romantisme, son identité est assise sur un socle de valeurs musicales et philosophiques liées à l'Andalousie, d'une grande cohérence et d'une grande constance à travers les générations. La capacité du Flamenco à tendre et à détendre l'énergie sonore, son rôle d'interface entre Orient et Occident, sa position actuelle au confluent de l'oralité et de la mentalité urbaine sont autant de facteurs qui dessinent depuis vingt-cinq ans une évolution qui rappelle celle du Jazz, tout en demeurant spécifique, et qui permettent de mieux comprendre l'attraction puissante que le Flamenco exerce aujourd'hui sur des compositeurs et des musiciens venus d'autres univers musicaux.

La querelle des origines

Il est clair que l'Andalousie, avec l'empreinte des cultures qui s'y sont succédées, reste essentielle pour appréhender les ressorts profonds de l'esthétique du Flamenco, car c'est en Andalousie que le Flamenco continue de se vivre au quotidien.

C'est là, et pas ailleurs en Espagne ni a fortiori en Europe, qu'il s'est élaboré. Mais, parce que sa transmission est orale, les sources historiques directes du Flamenco comme art musical et phénomène social ne remontent pas au-delà du XVIIIe siècle. C'est de 1881 que date le premier ouvrage qui se penche sur la question, Cantes Flamencos du grand folkloriste Antonio Machado y Alvarez "Demófilo".