Compositrices du XIXe siècle : Pauline Viardot

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Après Maria Malibran, la série consacrée aux compositrices du XIXe siècle se poursuit avec un portrait de Pauline Viardot.

Michelle Ferdinande Pauline García, connue sous le nom de Pauline Viardot (Paris 18 juillet 1821 – Paris 18 mai 1910)

Bien après sa naissance, son professeur de piano, Franz Liszt, écrit : Elle naquit dans une famille où le génie semblait héréditaire . Pour que le génie fasse éclore ses talents, il doit être cultivé sur un terreau fertile et c’est le cas de Pauline Viardot-García. 

Elle est bien entourée pour sa première apparition publique, son baptême, lorsqu’elle a 6 semaines. Comme parrain, ses parents ont choisi le compositeur italien Ferdinando Paër, directeur du Théâtre-Italien de Paris et de la musique du roi et, comme marraine, la Princesse Praskovia Galitzina (ou Golitsyna), une aristocrate d’origine russe, figure majeure de la haute société parisienne, qui tient salon et encourage les artistes. Pauline, comme on l’appelle désormais, baigne déjà dans un monde cosmopolite.

Quand elle naît, son frère Manuel a 16 ans et sa sœur Maria 13. « Paulita » amuse la famille avec ses mots d’enfants, sa douceur et son caractère facile. Pour son père, elle est un petit miracle et il la traite avec bien plus de tendresse et de délicatesse que les deux aînés. Elle est de tous les déplacements et spectatrice des prouesses des membres de la famille. Toute petite, elle assiste aux débuts de sa sœur, d’abord en cercle fermé à Paris, puis sur scène, à Londres. 

A 4 ans, elle est témoin du premier opéra chanté en italien à New York, sur la plus grande scène du continent, le Park Theatre. Il s’agit de Il barbiere di Siviglia, ossia L’inutile precauzione de Gioachino Rossini avec, dans le rôle du comte Almaviva écrit pour lui, son père (le ténor Manuel García) et dans celui du barbier Figaro, son frère Manuel. Sa mère joue le rôle de Berta, une vieille gouvernante, et Maria, sa sœur de 17 ans, celui de Rosine, une jeune et riche élève. Les autres membres de la troupe sont des Italiens. Les opéras de l’époque se terminant très souvent par la mort violente d’un héros, la petite ne peut s’empêcher de pousser des cris de terreur. Toutes les représentations auxquelles j’ai assisté dans ma prime enfance se sont terminées de la même façon dramatique pour moi, écrit-elle.

L’enfant, calme et réfléchie, grandit entourée d’adultes, dans un environnement où la musique est primordiale. C’est le langage familial : baigné dedans, on le parle d’instinct. Son intelligence et ses talents musicaux se manifestent fort tôt et ses progrès sont très rapides. En 1831, Maria déclare : Il y a un enfant qui nous effacera tous : c’est ma sœur qui a 10 ans !   

Marcos Vega, organiste de la Cathédrale de Mexico lui donne ses premières leçons de piano. Elle a cinq ou six ans. En France, elle profite ensuite des leçons du pianiste Charles Meysenberg. Elle travaille le contrepoint et la composition au Conservatoire de Paris avec Anton Reicha. Son père la forme aussi : dès l’âge de 10 ans, elle accompagne, au piano, les chanteurs adultes de ses cours privés. Très attentive, elle enregistre les explications techniques que son père donne aux élèves et les conseils de sa mère, ce qui en fait une cantatrice sans qu’elle ait réellement suivi de cours. Elle est aussi très douée en dessin et parle couramment le français, l’espagnol, l’anglais et l’italien dès l’âge de 6 ans.

Le 2 juin 1832, son père adoré meurt subitement à Paris. Elle a 10 ans ½. Elle perd un soutien précieux dans des études musicales qui la passionnent et le regrettera toujours. … il m’aimait passionnément et délicatement. Lui qui a été, dit-on, si sévère et violent avec ma sœur, il a usé d’une douceur angélique avec moi, écrit-elle en 1859. 

Maria, alors la plus grande cantatrice de son temps, se rapproche de sa sœur qui se lance à corps perdu dans les études musicales. Elle veut devenir pianiste virtuose et, entre ses 12 et 14 ans, reçoit Franz Liszt comme professeur d’accompagnement. Le piano est le but de son existence.

A 15 ans, quelques jours avant la mort de sa sœur, elle entre en scène, comme pianiste, pour la première fois. Plus de vingt mille curieux assistaient, à Liège, aux courses de chevaux qu’a couronnées, de la manière la plus brillante, le concert donné dans la salle de spectacle de M. de Bériot, sa femme (Madame Malibran) et Mademoiselle Garcia. Les trois artistes ont excité un enthousiasme universel . C’est l’alliance familiale idéale d’une cantatrice avec un violoniste et une pianiste. Cette collaboration s’arrête brusquement par la mort de Maria.

Sa mère Joaquina, cantatrice d’opéra, décide de compléter l’éducation musicale de sa fille. Entendant un jour Pauline chanter un air de Rossini, elle est subjuguée par ce qu’elle entend d’une jeune qui n’a pas vraiment étudié le chant. Elle l’oriente alors vers le métier de cantatrice : Ferme ton piano, tu chanteras désormais. Pour une femme, le métier de cantatrice est plus facile à envisager et plus rentable que celui de pianiste. Tant que sa sœur vivait, jamais Pauline n’aurait choisi de se mesurer à elle. Pour de Bériot, son beau-frère inconsolable, elle serait un prolongement professionnel de son rêve brisé. Sera-t-elle un jour reconnue comme « la cantatrice Pauline García » ou restera-t-elle à jamais « la fille de García » et la « sœur de La Malibran » ?

Pauline Viardot, porte ouverte sur la vie culturelle européenne du XIXe siècle

 Un succès international

Dès décembre 1837, à l’âge de 16 ans, elle participe, comme cantatrice, à l’Hôtel de Ville de Bruxelles, à un concert de charité donné en compagnie de son beau-frère, Charles Auguste de Bériot. Le roi Léopold 1er, la reine Louise Marie, le prince Eugène 1er de Ligne et le corps diplomatique y assistent. Une tournée est alors proposée aux deux artistes et ils se dirigent vers Louvain, Dresde, Leipzig, Francfort et Berlin où quelques membres de la famille royale de Prusse se mêlent au public. Lors des concerts de cette époque, plusieurs artistes brillent dans des morceaux soigneusement sélectionnés. On n’attire pas le public avec une ou deux grandes œuvres. La programmation de Pauline est calquée sur celle de sa sœur. En plus d’une mélodie écrite pour La Malibran et une autre qu’elle a composée, Pauline reprend les œuvres que chantait Maria, dont le Songe de Tartini, morceau de bravoure préféré du couple Bériot-Malibran, taillé sur mesure pour la voix des deux sœurs et les prouesses du violoniste. Les voix de Pauline et de sa sœur se ressemblent en effet étrangement. Les graves ont la profondeur du violoncelle et les aigus, la brillance du violon. Pauline peut chanter indifféremment et aussi aisément en soprano élevé qu’en contralto grave.  

A Leipzig, Pauline, 17 ans, rencontre Clara Wieck, future Clara Schumann qui a 2 ans de plus qu’elle. Une longue amitié naît alors.

Le 15 décembre 1838, la foule se presse aux portes du Théâtre de la Renaissance de Paris. L’écho des succès de Pauline en Allemagne est arrivé jusque là. Au-delà de la débutante, c’est une autre présence que recherche la foule. Osera-t-elle affronter le public français encore sous le charme de la voix de la Malibran ? Comme aimait le faire sa sœur, Pauline, tout de blanc vêtue, porte un diamant noir sur le front. Il faut très peu de temps pour qu’éclate l’enthousiasme. 

Un deuil, une fête ; un regret, un espoir… Au bout de dix mesures, c’est sa sœur vivante de nouveau qu’on applaudit ! Même voix, même méthode de chant, même style, une ressemblance de talent qui vous confond, et rien qui sente l’imitation !  écrit l’écrivain, dramaturge et critique Ernest Legouvé. Camille Saint-Saëns trouve à leurs voix la saveur de l’orange amère, faite pour la tragédie ou l’épopée, surhumaine plutôt qu’humaine.

Alfred de Musset, fanatique de la Malibran et absent au concert, invite Pauline à reproduire le programme lors d’un concert privé. Il écrit : La ressemblance, qui consiste du reste, plutôt dans la voix que dans les traits, est tellement frappante qu’elle paraîtrait surnaturelle… C’est le même timbre clair, sonore, hardi, ce coup de gosier espagnol qui a quelque chose de si rude et de si doux à la fois, et qui produit sur nous une impression à peu près analogue à la saveur d’un fruit sauvage . La voix l’a ému, mais le programme ne l’a pas touché. 

Au début de sa carrière, tous n’ont pas été convaincus par son interprétation. Par exemple, Hector Berlioz, défenseur de la musique française, trouve les ornements peu musicaux et trop italiens dans Orphée et Eurydice de Gluck. Elle tient compte de ses remarques et triomphe dans les salons les plus en vue, puis à Londres en 1839. Berlioz reviendra sur ses premières impressions et, suite à la première de l’opéra Le Prophète de Meyerbeer où le rôle de l’héroïne a été composé pour Pauline, il écrit, dans la Revue et Gazette musicale, que Pauline García est une des plus grandes artistes qui viennent à l’esprit, dans l’histoire passée et présente … Son talent est si complet, si varié, il touche à tant de points de l’art, il réunit à tant de science une si entraînante spontanéité, qu’il produit à la fois l’étonnement et l’émotion ; il frappe et attendrit ; il impose et persuade.. Dans le « Journal des Débats » du 13 octobre 1839, Berlioz écrit encore que cette voix d’une pureté virginale, égale dans tous les registres, juste, vibrante et agile promet un avenir rayonnant à la jeune cantatrice sur laquelle reposent les plus chères espérances des amis de l’art … La voix de Melle Garcia s’élève du fa grave au contre-ut, soit deux octaves et une quinte. Elle réunit trois genres de voix qui ne se trouvent presque jamais ensemble : le contralto, le mezzo-soprano et le soprano. 

La cantatrice lit beaucoup, se documente sur le personnage qu’elle interprète, son époque, sur les costumes et la manière de les arranger. Pour elle, chaque détail compte. Toute jeune encore, elle aborde ses rôles par une démarche intellectuelle et réfléchie, au contraire de la plupart de ses consœurs. Naturellement, elle n’est pas à l’abri des jalousies.

Louis Viardot, nouveau directeur du Théâtre-Italien de Paris l’entend à Londres. Il lui propose de l’engager pour le mois suivant. Heureuse, elle accepte.

Rencontre avec George Sand

Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, baronne Dudevant (1804-1876), ayant pris « George Sand » comme pseudonyme, est un écrivain très célèbre à cette époque. Tout comme Chopin, son ami intime, elle faisait partie des inconditionnels de la Malibran. 

Au Théâtre-Italien, Pauline, forte de 6 mois de succès continus est, aux dires de Marie d’Agoult, au plus haut degré de la mode. George Sand, attirée par cette popularité soudaine, fait la connaissance de Pauline. Ce sera le point de départ d’une admiration sans borne et d’une amitié qui les uniront pour la vie. Il me semble que j’aime Pauline du même amour sacré que j’ai pour mon fils et ma fille, et à cette tendresse indulgente, illimitée, presque aveugle, je joins l’enthousiasme qu’inspire le génie. Les deux femmes, que 17 ans séparent, se ressemblent. Leur correspondance abondante le révélera. Elles aiment l’Art, la liberté de ton ; elles haïssent l’hypocrisie et se lancent à corps perdu dans leurs passions. George Sand veut le meilleur pour sa protégée. Il se fait qu’à ce moment, Alfred de Musset s’éprend de Pauline García. Il l’encense dans des journaux, lui écrit des poèmes :

Obéissez sans crainte au dieu qui vous inspire

Ignorez, s’il se peut, que nous parlons de vous.

Ces plaintes, ces accords, ces pleurs, ce doux sourire,

Tous vos trésors, donnez-les nous. 

Elle se méfie du poète. Elle refuse sa demande en mariage, conseillée par sa mère et par George Sand qui connaît bien Musset. Celui-ci le prend évidemment très mal. Bien longtemps après, il parle de l’ingrate Pauline. Ses poèmes marquent son amertume.

Oui, femmes, quoi qu’on puisse dire,

Vous avez le fatal pouvoir

De nous jeter par un sourire

Dans l’ivresse ou le désespoir

J’aime encore mieux notre torture

Que votre métier de bourreau.

Guidée par George Sand, Pauline accepte la demande en mariage de Louis Viardot, le directeur qui l’a engagée. Ils se marient en 1840. Elle a 19 ans et lui 40.

George Sand prend Pauline comme modèle pour l’héroïne de sa nouvelle Consuelo (1843). 

Pauline n’a pas la beauté romantique de sa sœur au point que le peintre Ary Scheffer osera dire au futur époux : Elle est terriblement laide, mais si je la revoyais de nouveau, je tomberais follement amoureux d’elle !!! Elle n’a pas la beauté idéale de l’époque mais plutôt le type espagnol et la peau mate. Elle est cependant fascinante, pétille d’intelligence et son jeu de scène est sublime. En fait, elle a le même genre de physique que George Sand.

Madame Viardot

Louis Viardot (1800-1883) est un grand intellectuel calme et passionné par la musique, la peinture, la littérature. Il a fait des études de droit à Paris puis s’est lancé dans le journalisme. Critique d’art très compétent, il participe à plusieurs revues. A 23 ans, il rejoint l’armée française déployée en Espagne. Il y apprend l’espagnol. Pris de passion pour ce pays et sa culture, il traduit en français des ouvrages prestigieux comme le Don Quichotte de Cervantès. Intéressé également par la culture russe, il collabore longtemps avec Ivan Tourguéniev qui traduit de grands auteurs russes en un français que Viardot peaufine avec adresse. Il est lié d’une grande amitié avec le peintre hollandais Ary Scheffer avec lequel il a défendu les intérêts de Maria Malibran, spécialement lors de sa séparation d’avec Eugène Malibran. 

C’est un républicain et un athée convaincu. En 1841, il fonde avec Pierre Leroux et George Sand la Revue Indépendante, un mensuel littéraire et politique qui aura une existence éphémère. La trouvant trop peu politique, ils fondent ensuite la Revue sociale.
Portrait par Emile Lassale : Louis est passionné par la chasse et les chiens de chasse. Où qu’il aille, il profite de chaque occasion de satisfaire sa passion. Il écrit plusieurs livres sur la chasse dont Souvenirs de chasse dans toute l’Europe. La rédaction en est poétique. Un exemple : Un Lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe ?) Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait : cet animal est triste, et la crainte le ronge.‬‎‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬‬

Après son mariage avec Pauline qu’il aimera jusqu’à la fin, il abandonne son poste de directeur du Théâtre-Italien de Paris afin de se consacrer pleinement à la carrière de son épouse et de la suivre dans ses tournées.  

Répertoire

Pauline reprend, au début, le répertoire de sa sœur Maria Malibran. Elle est Desdemone dans l’Otello de Bellini. Dans Norma, autre opéra de Bellini où triomphait sa sœur, elle est la grande prêtresse Norma, à la fois orgueilleuse, vindicative et passionnée, d’une impressionnante agilité vocale et exigeant un jeu de scène varié, s’adaptant aux états d’âme. C’est un des rôles les plus difficiles du répertoire dans les parties pour voix soprano. Les graves sont également sollicitées dans les parties sombres du récit. Pauline réussit ce pari haut la main ! Elle a une présence dramatique remarquable.  

Elle chante du Mozart, du Rossini, du Donizetti, du Scarlatti, du Brahms, des études de Jean-Sébastien Bach… . Il lui est arrivé d’être accompagnée au piano par Clara Schumann. Elle chante même du Wagner, accompagnée au piano par le compositeur ! 

Elle apparaît 150 fois en Orphée dans Orfeo et Euridice de Gluck où elle atteint des hauteurs tragiques semblant inaccessibles. Charles Dickens la trouve extraordinaire et sublime dans son jeu d’actrice. 

Elle s’amuse à chanter des concertos pour violon de son beau-frère Charles de Bériot et même des Etudes et autres œuvres de Chopin qui admire également sa maîtrise du piano et partage avec elle de beaux moments pianistiques.

Des musiciens de renom écrivent des œuvres à son intention. Giacomo Meyerbeer lui offre le rôle de Fidès dans Le Prophète. Hector Berlioz crée pour elle une version française de l’Orphée de Gluck. Charles Gounod compose à son intention son premier ouvrage lyrique, Sapho, sur un livret d’Emile Augier. Robert Schumann lui dédicace les 9 chants de l’Opus 24 composé sur des paroles de Heinrich Heine. Pour Jules Massenet, elle est Meryem, la Magdaléenne dans Marie-Magdeleine, drame sacré composé sur un livret de Louis Gallet. Camille Saint-Saëns lui réserve le rôle de Dalila dans la version française de Samson et Dalila, œuvre basée sur un livret de Ferdinand Lemaire. 

Elle a pu découvrir et soutenir des jeunes qui ont laissé leur musique et leur nom dans l’histoire : Charles Gounod (que la famille a hébergé un temps), Gabriel Fauré, Jules Massenet, Camille Saint-Saëns,… Elle accueille tous ces musiciens dans son salon et à Courtavenel. Elle est une pionnière dans la résurrection et l’interprétation de chefs-d’œuvre oubliés de la musique ancienne, dont Haendel.

En 1855, elle paie bien cher la partition autographe Don Giovanni de Mozart. Elle fait relier les huit fascicules de façon splendide et les fait insérer dans un véritable reliquaire à l’effigie de Mozart. On vient l’admirer chez elle, ce qui élargit le cercle de ses connaissances. La France peut actuellement s’enorgueillir de posséder l’un des manuscrits les plus légendaires de l’histoire, car Pauline Viardot en a fait solennellement don à la bibliothèque de Conservatoire de Paris (1892). 

Quand elle interprète cette œuvre, elle joue le rôle de Zerline. 

Les grands voyages

Le premier déplacement des jeunes mariés hors de France est le voyage de noce en Italie. Ils se découvrent la même passion pour l’histoire et les arts. Leur approche des pays est intellectuelle. Ils essaieront toujours de comprendre la mentalité des peuples. Louis classe les pays selon la qualité de la chasse, activité à portée philosophique : La chasse ressemble à la mort, elle rapproche les distances, elle nivelle les conditions. Les hommes y sont égaux, comme au cimetière.  Dans les années 1840, le couple découvre un grand nombre de pays, parcourt des milliers de kilomètres par les moyens de locomotion peu confortables de l’époque. La carrière de Pauline est à ce prix. Il est difficile dans ces conditions de s’occuper des enfants. Ils en auront quatre en 16 ans : Louise en 1841, Claudie en 1852, Maria-Anne, dite Marianne, en 1854 et Paul en 1857. Leur fille Louise en restera amère, d’autant plus qu’elle n’était … qu’une fille ! Quand c’est possible, elle assiste aux spectacles et devient aussi « folle de musique ». Elle est souvent gardée par sa grand-mère Garcia, par les sœurs de Louis, par George Sand, puis, de 6 à 12 ans, est mise en pension à Paris, n’en sortant pour aller chez une tante que tous les 3 ou 4 mois. Son voyage hivernal à Saint-Pétersbourg, avec ses parents quand elle a 5 ans, tourne à la catastrophe : elle attrape la coqueluche qu’elle transmet à sa mère, mettant fin à ses prestations. Son père réchappe de justesse du choléra.

Puis viennent de nombreuses prestations à Londres et Gloucester, à Madrid et Grenade, à Vienne, Prague, Dresde, Berlin, Leipzig, Bade, Saint-Pétersbourg, …, le tout entrecoupé de prestations dans des salles de spectacle parisiennes. Dans ce métier, les mondanités ne sont jamais loin. Rois, reines (dont la reine Victoria), princes, princesses et autres aristocrates lui sont présentés. A l’Alhambra, chantant le soir dans la salle des Ambassadeurs, Pauline, bouleversée, se rend compte que les paysans des alentours se sont installés au-dehors pour l’écouter.

En France

Le cercle autour d’elle et de son mari est des plus distingués à Paris. Ils possèdent un hôtel particulier rue de Douai et le salon des Viardot compte parmi les lieux essentiels du monde artistique parisien. On y reçoit le jeudi. Des artistes et des écrivains de renom participent au salon. Parmi ceux-ci Ary Scheffer, Jean-Baptiste-Camille Corot, Charles Gounod, Hector Berlioz, Henri Vieuxtemps, Charles de Bériot, Jules Massenet, César Franck, Franz Liszt, Ivan Tourgueniev, Eugène Delacroix, Gustave Doré, Clara Schumann, Emile Zola, Ernest Renan, Edgar Fauré, Piotr Ilitch Tchaïkovski, Camille Saint-Saëns, Gustave Flaubert, Emile Zola, Charles Dickens, et bien d’autres, tous amis de la famille.

Salons de compagnies

Le phénomène apparaît à la fin du XVIIe siècle. Les Salons de compagnies sont les pièces dédiées au divertissement (conversations, théâtre, musique, …). On y reçoit ses amis, des hommes et des femmes lettrés. Ce qui compte, c’est la bonne compagnie, les récits amusants, il ne faut pas que le débat soit trop sérieux car le risque est alors de passer pour quelqu’un d’ennuyeux. 

Pauline participe à une cérémonie très émouvante. Le mardi 15 décembre 1840, elle fait partie des meilleurs chanteurs de l’Opéra qui interprètent le Requiem de Mozart aux Invalides à l’occasion du retour des cendres de Napoléon 1er.  

En 1844, Louis achète le château et la propriété de Courtavenel qui devient la résidence de campagne de la famille. Ils y accueillent et hébergent proches et amis. 

Lors d’un déplacement en Russie, Pauline donne une représentation en présence du tsar Nicolas Ier et de toute sa Cour. Quand elle intercale au deuxième acte du Barbier de Séville un air populaire russe, prononçant les voyelles comme une véritable Moscovite, la frénésie de l’auditoire est à son comble. Sous les vivats et rappels sans fin, elle reçoit une pluie de fleurs et de couronnes. Les chapeaux et mouchoirs s’envolent. De partout affluent des cadeaux prestigieux. Le tsar lui fait envoyer une somptueuse paire de boucles d’oreilles. Elle parle à ce moment six langues : l’espagnol, le français, l’italien, l’anglais, l’allemand et le russe.

Suite aux idées révolutionnaires de Louis osant critiquer Napoléon III, Pauline n’est plus guère engagée au pays. Les Viardot s’exilent et s’installent à Baden-Baden, à la villa Montebello, de 1863 jusqu’à la guerre de 1870. Tourgueniev se fait construire une villa dans leur quartier. 

Ivan Tourgueniev (1818-1883).

Ivan Tourgueniev découvre Pauline en Russie en 1843. Il l’adore ! En 1836, il a terminé ses études de littérature et de philosophie. A 27 ans, souffrant des yeux, il abandonne son emploi et vit aux dépens de sa mère. Elle lui coupe les vivres après quelque temps, trouvant que cette vie est un gâchis monumental. A lui d’acquérir un statut d’écrivain. C’est ce qu’il deviendra. Ses idées progressistes et sociales ne plaisent pas au pouvoir tsariste. Il voyage en Europe. Auparavant, il a eu une petite fille d’une lingère. En 1850, il vit chez les Viardot au château de Courtavenel où demeure aussi Charles Gounod. Après un retour en Russie et bien des péripéties, il revient en France chez les Viardot dans les années 1870. A la fin de cette décennie, il se fait construire une datcha à Bougival, dans les environs de Paris, sur le même terrain que celui acquis par les Viardot. Il y fait venir sa fille. En France, il collabore avec des écrivains célèbres parmi lesquels Emile Zola, Alphonse Daudet, Edmond de Goncourt, Jules Verne. Il rencontre George Sand, Victor Hugo, Gustave Flaubert, …    

Louise, fille aînée de Louis et Pauline, réfute une interprétation de leur amitié. 

Ils travaillaient beaucoup ensemble. Le plus grand nombre des ouvrages de Tourgueniev écrits en français ont été mis au point par Louis Viardot, bien qu’ils ne portent pas sa signature. Les deux amis avaient une remarquable communion d’idées et de goûts. … L’intimité des deux amis devait forcément faire naître la médisance, car le monde est ainsi fait que, à priori, il se refuse à croire que la femme et l’ami du mari puissent se comporter honnêtement à l’égard de celui-ci. Ils l’ont toujours fait cependant dans le cas qui nous occupe et tout ce qui a pu être dit ou insinué, dans le sens contraire, n’a été inspiré que par l’envie et la méchanceté. Certes, il n’y a aucun doute que Tourgueniev admirait beaucoup ma mère. Il devait en être ainsi, car il était impossible de fréquenter sans l’admirer une artiste aussi divinement douée, une femme aussi distinguée et aimable. Mais jamais, entre eux, il n’a été, à aucun moment, question d’amour.

En 2015, lors de la 20e édition du Festival de la correspondance de Grignan, Lambert Wilson lit publiquement des lettres entre Pauline Viardot et Ivan Tourgeniev. En réponse à une question, il précise : Leur correspondance est passionnante parce qu’elle est nourrie par un amour platonique, pétri d’admiration, et qui dura toute leur vie … Leurs lettres révèlent l’intimité de tempéraments uniques .

Pauline professeur et compositrice

Dans la famile Garcia, on compose en jouant. Pauline a commencé toute jeune. Elle a surtout écrit pour ses élèves, des jeunes filles, pour qu’elles puissent développer leurs capacités vocales. Par la suite, à Baden-Baden, elle compose des œuvres d’une telle qualité que Franz Liszt a même déclaré : avec Pauline Viardot, le monde avait finalement découvert une femme compositeur de génie. Petite, elle reçoit une formation du théoricien Anton Reicha et du pianiste Franz Liszt, si bien qu’elle est une artiste complète, compositrice et pianiste. Entre 1864 et 1874, elle écrit 3 opéras de haut niveau pour salon, Trop de Femmes, L’ogre et Le Dernier Sorcier sur des livrets d’Ivan Tourguéniev, et plus de 50 Lieder. Deux autres opéras pour salon, Le Conte de Fée et Cendrillon (composé quand elle a 83 ans), sont basés sur ses propres livrets. On lui doit aussi de nombreuses compositions instrumentales, souvent pour violon et piano. 

Elle produit des arrangements vocaux pour des œuvres de Brahms, Haydn et Schubert. Elle compose un cycle de Chansons espagnoles que Chopin accompagne et trouve fort belles. Elle-même arrangera 15 Mazurkas de Chopin pour voix et piano. 

En 1863, Pauline, 42 ans, se retire de la scène. Elle se consacre alors davantage à la composition, au dessin et enseigne. Ses mélodies, dont 200 chansons et des opérettes créées en diverses langues pour ses élèves, uniquement des filles, ont beaucoup de succès. 

En 1883, elle a du mal à se remettre du décès de son époux diminué depuis 9 ans par une attaque d’apoplexie. Celui-ci est rapidement suivi par Tourgueniev qu’elle héberge, malade, dans sa villa de Bougival. Elle-même s’éteint à Paris à l’âge de 89 ans. 

L’enregistrement n’existait pas au temps de sa gloire, mais, à la lecture des nombreux éloges, certains l’ont appelée « La Callas du XIXe siècle ».

Ses quatre enfants sont également artistes. Louise est cantatrice, compositrice et pianiste, Claudie peintre, Maria-Anne dite Marianne, musicienne et peintre, et Paul, violoniste et musicologue.

Berlioz disait dePauline Viardot qu’elle était l’une des plus grandes artistes qui venaient à l’esprit dans l’histoire passée et présente. Pourtant, comme beaucoup de femmes qui ont eu de l’influence à son époque, sa renommée a été éclipsée par celle des hommes qui l’entouraient. Il reste toutefois un musée, « La Villa Viardot », leur habitation de Bougival. Elle a servi de salle de spectacle, de concert, pour des masterclasses. Elle est actuellement dans un état de délabrement préoccupant . La datcha voisine est devenue le musée Tourguéniev.

Anne-Marie Polome

Crédits photographiques : Ary Scheffer, Disderi& Co, Bodin-Paris, Musée de la Vie Romantique, Musée Carnavalet

 

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