Conférences et masterclass, un DVD de quatre heures avec Alfred Brendel

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Alfred Brendel. My musical life. Trois conférences : Ma vie musicale ; Dernières Sonates et dernier style de Beethoven ; En jouant Mozart. Une masterclass : Trio à clavier n° 1 de Schubert. Alfred Brendel, conférencier et pédagogue ; Jan Bartoš, piano ; Trio Incendio. 2019-2020. Notice en anglais, en allemand et en tchèque. Sous-titres en anglais, en allemand et en tchèque. 253.45. Un DVD Supraphon SU 7141-3. Disponible aussi en Blu Ray.

Né en Moravie il y a 90 ans, Alfred Brendel a toujours entretenu d’excellents rapports avec la Tchéquie. Il aime se ressourcer à Prague où il a donné maints concerts. Au cours des dernières années, il a été invité à plusieurs reprises par le dernier élève d’Ivan Moravec, Jan Bartoš, qui s’est aussi perfectionné auprès de Leon Fleisher et d’Alfred Brendel lui-même, avec lequel il s’est lié d’amitié. Ce pianiste est aussi directeur artistique du projet musical international Prague Musical Performance. Le présent DVD est le reflet de soirées publiques organisées autour d’Alfred Brendel dans la salle Suk du Rudolfinum de la capitale tchèque. Du 17 au 19 mars 2019, ce dernier donnait une conférence sur Mozart, ses sonates et ses concertos, puis une masterclass autour du Trio à clavier n° 1 de Schubert. Un an plus tard, les 8 et 9 février 2020, il traitait de « Ma vie musicale » puis de Beethoven et de son dernier style. Cela nous vaut un copieux ensemble de documents d’une durée de plus de quatre heures qui enchanteront les admirateurs de cette belle personnalité artistique.

On commencera par la conférence intitulée « Ma vie musicale », en anglais avec un tableau à côté de l’orateur pour la traduction simultanée en tchèque, et les sous-titres du DVD sont en trois langues. Les francophones sont réduits à choisir l’idiome qui leur convient mais l’anglais est aisé à suivre. Cette causerie en forme de confidences, d’une durée de près de 90 minutes, n’est pas une autobiographie de Brendel ; celui-ci rappelle d’ailleurs en introduction qu’il n’a jamais voulu céder à la tentation d’écrire sur lui-même, estimant que sa discographie et les essais ou recueils de poèmes qu’il a rédigés en disaient assez. Le pianiste passe brièvement sur son enfance, la période difficile de la Seconde Guerre mondiale, ses débuts pianistiques précoces et sa formation, en grande partie autodidacte, qui s’est construite notamment à travers l’écoute de nombreux vinyles. Brendel rappelle, sans insister, le prix obtenu à Bolzano en 1949. Au début des années cinquante, il a l’occasion d’assister à des cours magistraux donnés à Lucerne par Edwin Fischer, pour lequel il éprouve une immense admiration qu’il concrétise en faisant écouter au disque un extrait d’un concerto de Bach par le maître suisse. 

Dans la foulée, Brendel avoue son engouement pour deux autres légendes du piano : Alfred Cortot et Wilhelm Kempff. Il évoque les difficultés du début de sa carrière, pas à pas à partir de son premier récital à Graz en 1948. Brendel n’est sans doute pas un orateur charismatique aux grandes envolées, mais on est séduit par la modestie et l’humilité dévoilées par ce pianiste prestigieux qui précise que, pour évoluer, il faut une large indépendance de pensée, la capacité de critique personnelle, de la concentration et la joie de vouloir transmettre. Sans négliger la charge de travail au jour le jour, ni la nécessité de ne pas se prendre au sérieux en maintenant un équilibre entre gravité et légèreté. 

Brendel est conforme à son intention de ne pas raconter sa vie : il esquisse une série de thèmes qui lui tiennent à cœur, rappelant que depuis l’enfance, l’écriture fait partie de sa vie tout autant que la musique. Il évoque les grandes voix masculines qui l’ont toujours fasciné : Julius Patzak, Hermann Prey ou Matthias Goerne ; il s’attarde sur sa collaboration avec Dietrich Fischer-Dieskau, le temps de faire écouter au public un lied de Schubert par le baryton. Il confirme son attrait pour le chant, cite ses souvenirs d’opéras, notamment à Vienne où il a vu diriger Josef Krips, Herbert von Karajan ou Karl Böhm, mais a aussi entendu Elizabeth Schwarzkopf, Sena Jurinac, Irmgard Seefried, Christa Ludwig et quelques autres. Il place au sommet vocal Lotte Lehmann et Maria Callas dont il a souvent écouté les enregistrements. Brendel s’étend relativement peu sur son propre répertoire qu’il ne fait que survoler, même s’il évoque Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert ou Liszt. Il n’oublie pas de rappeler qu’il a interprété le Concerto de Schoenberg plusieurs dizaines de fois. 

Il rappelle encore l’un ou l’autre souvenir de tournées en Amérique latine, en Australie ou au Japon, souligne les avantages respectifs des prises de son en studio ou en salle, parle un peu de ses livres, notamment de ses poèmes, qui sont pour lui comme un alter ego. En fin de parcours, il plaisante sur le fait que des critiques lui ont attribué le titre de « philosophe sauvage ». Pour terminer, il propose l’écoute au disque de l’une de ses interprétations d’un Impromptu de Schubert dont la fine poésie et la force de concentration valent toutes les paroles. 

Cette conférence révèle une personnalité généreuse et sans forfanterie. Brendel donne une profonde impression de sagesse et d’une sereine volonté de partage qui se prolonge dans les deux conférences consacrées aux sonates et aux concertos de Mozart, puis aux dernières sonates de Beethoven, agrémentées d’écoutes de disques et de la participation de Jan Bartoš, l’initiateur des soirées, pour éclairer l’une ou l’autre idée. On ressent au fil de ces causeries le respect profond que Brendel développe pour les compositeurs et le message qu’il veut apporter en termes de beauté musicale. La masterclass dédiée au Trio à clavier op. 99 de Schubert, dont bénéficie le jeune Trio Incendio (Filip Zaykov au violon, Vilém Petras au violoncelle et Karolina Františová au piano), montre à quel point Brendel sait écouter attentivement et distiller ses conseils avec justesse, confirmant une phrase qu’il aime à répéter : « Le cantabile est le cœur de la musique. ». Hors de la conférence initiale, ce DVD sont sans doute moins grand public mais ils sont de belles leçons de pédagogie, révélatrices de la ferveur qui anime toujours et encore ce virtuose à la prestigieuse carrière. 

Note globale : 9

Jean Lacroix  

 

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