Coup double pour Michael Collins dans la Symphonie no 5 de Vaughan Williams et le Concerto de Finzi

par

Ralph Vaughan Williams (1872-1958) : Symphonie n°5 en ré majeur. Gerald Finzi (1901-1956) : Concerto for clarinet and strings. Michael Collins, clarinette. Philharmonia Orchestra. Juillet 2019. Livret en anglais, allemand et français. 68’32. SACD BIS-2367

Écrite pendant la seconde Guerre mondiale, cette symphonie reste une des plus appréciées et jouées du répertoire anglais. En 1963 dans The Works of Ralph Vaughan Williams (Oxford University Press), le musicologue Michael Kennedy estimait que parmi les symphonies médianes (4-6), « la plus grande des trois, et peut-être de toute son œuvre, est à mon avis cette Symphonie de la Cité Céleste » (allusion à l’opéra allégorique The Pilgrim’s Progress auquel elle emprunte). André Previn l’enregistra trois fois (RCA, Emi, Telarc) ! Elle s’exporte même dans les contrées germaniques, a priori peu familières de cet idiome so british : Walter Hilgers à Francfort (Genuin, 2006), Douglas Boyd à Winterthur (Sony, 2012). Elle est aussi la plus souvent gravée en-dehors des intégrales (celles d’Adrian Boult à deux reprises, André Previn, Vernon Handley, Andrew Davis, Leonard Slatkin, Bernard Haitink, Bryden Thomson…) : on peut oublier les contributions de Yehudi Menuhin (Virgin, trop sec) et Carlos Kalmar (Pentatone, trop superficiel ?), mais on distinguera Alexander Gibson avec le Royal Philharmonic (Emi, mai 1982) d’une sérénité, d’une palette et d’une architecture confondantes, et une unité introuvable ailleurs.

Noire à 80 pour le tempo primo, blanche à 75 pour la section allegro (ici entre 5’29-7’28) : John Barbirolli (en 1957 avec le même Philharmonia d’ailleurs, chez HMV) et Adrian Boult (sa première intégrale chez Decca) s’avéraient très proches de ces allures prescrites pour le Preludio, que depuis eux on a tendance à jouer trop lentement. La palme de l’alanguissement revient à André Previn (RCA), bien trop délayé. Même Roger Norrington (Decca, 1996), guère réputé pour sa mollesse, marquait le pas, plus respectueux de l’homme (« vraisemblablement le plus grand que j’ai rencontré », disait-il) que des indications de sa partition. Parmi les récents CD, seul Andrew Manze (à Liverpool, chez Onyx) a retrouvé la mobilité nécessaire : celle qui se focalise vers l’acmé tutta forza au lieu de l’intégrer (ici 8’43) tel un tumulus dans le paysage. L’autre enjeu de ce mouvement est de trouver l’équilibre entre la transparence et le modelé qui duvète les tuilages en canon. « Les thèmes [...] sont traités de manière inhabituelle, peu contrastée dans la mesure où ils sont continuellement entremêlés » écrivaient Byron Adams et Robin Wells dans leur Vaughan Williams Essays (2003, éd. Ashgate, page 21). Selon ces auteurs, cette conception efface la fonction structurelle qu'on peut trouver dans une forme-sonate, et relève plutôt du folksong. Faute de susciter cette respiration continue, la texture peut s’ajourer, se déliter. Si la liaison au-dessus de l’appel initial des cors doit se concevoir comme un legato, on estimera que ceux du Philharmonia (un peu trop ouverts, ce qui masque l’ambiguïté tonale ut/ré avec les cordes graves)  l’articulent plutôt comme une pulsation, et laisseraient craindre un matériau trop creusé. Au contraire, rassurons-nous, l’orchestre tisse une des plus précieuses étoffes qu’on ait entendue, sans s’effiler ni flocher : outre le canevas, idéal, le ton cultive un certain romantisme, et c’est même lui qui tend et anime la parure plutôt qu’une simple combinatoire polyphonique. Bref, portée par un art du sostenuto qui semble rescapé du siècle dernier, l’interprétation est habitée, animée à cœur, en une coulée parfaitement cohérente, qui rend hommage à l’écriture organique d’un Sibelius, auquel l’œuvre est dédiée « sans permission » ! Elle nous offre parmi les plus beaux et chaleureux phrasés de la discographie.

On en dira autant pour la fervente Romanza qui distille les ambiances du Pilgrim’s Progress : la délicatesse des bois du Philharmonia se fond dans l’écheveau des cordes, soyeux mais sans brouillard, dessiné avec un soin rare, aussi ravissant que profond. Un mysticisme fort opportun. L’émotion, en toute lucidité. Citons seulement en exemple le délectable glissando des archets (2’49) juste avant l’épisode pochino più movimento. Ce Lento prévoit un débit assez soutenu (noire à 66), que là encore les chefs tendent à assoupir (Haitink chez Emi, particulièrement !), hormis Boult (Emi –sa précédente mouture chez Decca est plus contrastée) qui se révèle le moins traître. Le tempo choisi par Michael Collins s’inscrit dans la moyenne. Son respect des nuances, depuis l’introduction en sourdine, est préservé par le spectre dynamique du SACD.

Les pupitres construisent la Passacaglia avec toute l’industrie requise, portée par une cohésion et un relief (les cuivres dans l’allegro à 1’59) vraiment admirables. Et tellement expressif : le trémolo à 2’41 ! Après le climax scandé par les timbales, les interventions solistes (3’40) de clarinette, flûte, hautbois montrent combien les atmosphères savent s’enchaîner dans une juste perspective. Les cuivres n’hésitent pas à se densifier (magnifiques trombones), à lustrer leur flamme pour le retour du tempo del preludio (6’16) qui nous amènera une conclusion tout en subtilité.

Durant ces trois mouvements, l’interprétation rappelle que paisibilité ne signifie pas passivité et évite le piège du statisme contemplatif. Dans le difficile Scherzo elle réussit à concilier les caractères presto et misterioso. Non qu’elle atteigne la fulgurance imaginée par le compositeur, mais elle se situe toutefois parmi les plus rapides depuis les anciens témoignages de Boult (chez Decca) et Barbirolli. Une danse esquissée dans un décor blafard et surnaturel, traversé d’éclairs, de feux follets, digne des sortilèges de l’Ariel de Shakespeare. Une sorte d’apprenti sorcier qui fomente ses tours dans une lande brumeuse. Michael Collins en illustre toute la fugacité et la fantasmagorie, ainsi que la causticité dans la section centrale introduite par les comiques sternutations des trombones (3’23) ici verveuses à souhait.

Au bilan de toutes ces qualités, et notamment d’éviter les ruminations grisâtres dont les chefs accablent souvent cet opus, on n’hésitera pas à classer cette version parmi les meilleures. Voire au premier rang si on considère la captation audiophile.

Pour le Concerto for clarinet, Michael Collins est à lui-même son plus sérieux concurrent, puisqu’il l’avait déjà gravé sous la baguette de Richard Hickox (Virgin) puis sous sa propre direction (avec le BBC Symphony Orchestra chez Chandos) ! On se souviendra aussi de John Denman (chez Lyrita, couplé en CD à la version de référence du Concerto pour violoncelle, avec Yo-Yo Ma). Timide et introverti, Gerald Finzi se montra peu à l’aise avec le genre symphonique qu’il délaissa, mais trouva dans la voix un terrain d’expression privilégié, qu’on retrouve en filigrane dans ses deux chefs-d’œuvre instrumentaux que sont ses concertos. On retrouve en celui pour clarinette (1948-49) un lyrisme, une vocalité, une conscience rhapsodique qui rendent son langage si attachant. Dans l’Adagio, les mélanges de couleur avec les cordes du Philharmonia atteignent une rare osmose, le soliste tamise des éclairages d’une douceur ineffable. De part et d’autre, les archets font preuve de rigueur et précision dans l’Allegro vigoroso et le Rondo, abordés avec une autorité sans brusquerie, en dialogue avec une clarinette merveilleusement fluide. On sent que cette session a été travaillée et pensée en ses moindres recoins, du moins on le croit tant l’alchimie paraît évidente.

Christophe Steyne

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

 

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