Cure de jouvence pour Beethoven
Après Le Havre et la Philharmonie de Paris, Les Dissonances s’installent à Dijon. C’est pour de vieilles connaissances, un peu perdues de vue, que l’on se rend ce soir au concert. Année Beethoven oblige, l’orchestre retrouve ces œuvres qui ont accompagné leur envol comme leur épanouissement : le concerto pour violon, que David Grimal enregistrait avec sa formation il y a dix ans déjà, et la quatrième symphonie, injustement écrasée entre l’Eroica et la Cinquième. Parfaitement contemporaines, écrites en 1806, pour un orchestre semblable, les deux œuvres s’accordent idéalement.
Leur lecture, affinée par les trois concerts consécutifs, ravit par sa radicalité. Mûrie, décantée, chacune semble body-buildée, fondée sur une intense vie rythmique, les couleurs et les transparences, sans jamais tomber dans un quelconque motorisme.
Dès les ponctuations de la timbale, les bois séduisent et se montreront admirables jusqu’au terme du concert. Cors et trompettes ne seront jamais en reste : la précision, les qualités dynamiques et l’articulation sont exemplaires. Vif, alerte ou d’une douceur céleste, l’allegro ma non troppo fait chanter l’orchestre autant que le soliste, avec une complicité à nulle autre pareille. Le larghetto, méditatif, sensible, frais, aérien, est ravissant. Quant au rondo, primesautier, bondissant, c’est l’expression d’une joie souveraine, elle aussi légère et vive, servie par une dynamique exceptionnelle. L’ample cadence du premier mouvement conduisait à un retour de l’orchestre empreint de sérénité souriante, de béatitude. Sans doute due à David Grimal, celle du rondo final, superlative, répondait évidemment aux exigences traditionnelles de virtuosité démonstrative, mais, surtout, confirmait les qualités d’invention du musicien : les combinaisons et rappels thématiques y prenaient un tour inhabituel qui renouvelait la curiosité de l’auditeur. On attribue à Viotti la formule « le violon c’est l’archet ». Celui dont joue ce soir David Grimal surprend. Sensiblement plus court, sa mèche plus distante de la baguette qu’à l’ordinaire, c’est un archet contemporain des œuvres. Peut-il mieux parler, volubile à souhait, léger comme puissant et incisif ? L’instrument ne sonne-t-il pas différemment sous son jeu ? La beauté du timbre est manifeste.
Après un beau bis (Malinconia de la 2e Sonate d’Ysaÿe), en doubles cordes, David Grimal réintègre son pupitre au sein de l’orchestre.
La Quatrième Symphonie de Beethoven a moins suscité l’attention de la postérité que ses voisines. Pour autant, elle n’est ni moins novatrice, ni moins admirable. Ce que l’on retient de la version que nous proposent Les Dissonances est cette approche singulière, juvénile et mûre à souhait, dont la vigueur comme la poésie ne se démentent jamais. Il n’est pas un moment où l’auditeur échappe à cette fascination : toute la musique fait sens. « L’art prodigieux de la mise en œuvre disparait complètement » écrivait Berlioz à propos de l’adagio. La formule vaut pour tout l’ouvrage tant l’art de l’ensemble est accompli. Le prodigieux crescendo -qui passe souvent inaperçu- du premier mouvement, la plénitude dépouillée de l’adagio qui dévoile d’infinies richesse, un scherzo qui mérite plus que jamais son nom, pour un finale fulgurant, nous sommes comblés. L’exceptionnelle virtuosité individuelle et collective, les équilibres, les couleurs, les phrasés et articulations, la fluidité lumineuse du propos, c’est un régal.
Quelle meilleure antidote à l’atmosphère délétère de ces temps troublés que ce message rayonnant de joie ? Le bonheur des musiciens, visible, est contagieux : le public saluera longuement les interprètes, dont on souhaite qu’ils gravent de nouveau ces œuvres, tant leur prestation de ce soir était exceptionnelle.
Dijon, Auditorium, le 7 octobre 2020.
Yvan Beuvard
Crédits photographiques : Bobrik