Délices virtuoses du cornet à bouquin à l’époque baroque

par

Cavalieri imperiali. Œuvres de Roland de Lassus (1532-1594), Cipriano de Rore (ca1515-1565), Riccardo Rognoni (1550-1620), Dario Castello (1602-1631), Luzzasco Luzzaschi (1545-1607), Giovanni Priuli (1575/1580-1629), Emanuel Adriaenssen  (1554-1604), Giovanni Valentini (1582-1649), Johan Heinrich Schmelzer (1623-1680), Ascanio Mayone (1570-1627), Massimiliano Neri (ca1623-1673), Giovanni Battista Buonamente (1595-1642), Vincenzo Ruffo (1508-1587) et Anonyme. Lambert Colson et Josué Meléndez Pelaez, cornets ; Ensemble InALTO, direction artistique Lambert Colson. 2019. Livret en anglais, en français et en allemand. 64.36. Ricercar RIC 419.

Le cornet à bouquin a connu un beau succès dans l’Europe baroque, en particulier de la fin du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIe. Cet instrument fabriqué habituellement en bois, dont la sonorité était apparentée à celle d’une trompette légère, faisait, comme le rapporte la notice signée par Charles Brewer, les délices du sculpteur Benvenuto Cellini (1500-1571) qui aimait à en jouer à des moments aussi délicats que les dîners du Pape Clément VII. Le présent CD rend hommage à deux virtuoses du cornet, Luigi Zenobi (1547/48-après 1602) et Giovanni Sansoni (1593-1648). En s’intéressant à ces deux interprètes célèbres en leur temps, le label Ricercar offre un panorama représentatif de pages dédiées à cet instrument coloré au cours de la période où il a connu ses phases de prestige les plus éminentes.

Avant l’audition de ce disque que nous considérons comme charmant et plein de grâce, on lira avec intérêt la notice bien documentée qui replace dans leur contexte Luigi Zenobi et Giovanni Sansoni. Le premier d’entre eux, né à Ancône, passa une partie de sa carrière à la Cour des Habsbourg où il fut engagé à trois reprises. Au cours de ses prestations sous le règne de Rodolphe II, il fut nommé Chevalier et reçut le titre de « Cavaliere del Corneto » en 1597. Un écrit de l’époque souligne ses dons, en particulier sa manière de jouer avec modération et exactitude. Quant au Vénitien Giovanni Sansoni, après un engagement à Graz auprès de l’Archiduc Ferdinand d’Autriche, il devint directeur des concerts impériaux à Vienne en 1639 et demeura auprès des Habsbourg jusqu’à son décès. Les quatorze plages du CD s’attachent à un répertoire diversifié qui rend compte de l’activité des deux virtuoses et de l’intérêt qu’ils suscitèrent de la part de compositeurs qui écrivirent à destination de leur cornet à bouquin.

On découvre ainsi un Cor mio ornementé pour deux cornets et clavecin de Luzzasco Luzzaschi, que Zenobi aurait connu lors de son passage à la Cour d’Este à Ferrare, entre deux séjours habsbourgeois, ou un arrangement d’après Lassus du luthiste anversois Adriaenssen, pour cornet et clavecin à couvercle fermé. Lassus lui-même ouvre le programme avec une étonnante pièce solennelle pour deux cornets et quatre trombones qui aurait pu servir aussi de « musique de table », illustrée par Zenobi à l’instar de Cellini. Au fil des pièces proposées, on est plongé dans l’influence vénitienne de Priuli avec sa Sonata terza à 6 pour deux cornets, quatre trombones et orgue, dans les aspects dansants de la Sonata Quarta de Buonamente destinée à Vienne où il fut musicien de chambre de l’Empereur Ferdinand II, timbres du violon à l’appui, ou dans la brillante Sonata Decima settima de Castello, page la plus longue (7.43) de ce panorama, au cours de laquelle un cornet, un violon et un orgue, ainsi qu’un cornet et un violon in eco se lancent dans un dialogue des plus convaincants, avec des effets théâtraux finement travaillés. Chaque pièce est à considérer dans sa dimension particulière, qui met en valeur l’art de l’instrument dont la carrière réelle n’a été étalée que sur quelques décennies significatives, mais dont l’originalité mérite la mise en lumière. On s’en convaincra encore avec deux sonates de Schmelzer, l’une pour violon, cornet, trombone, basson et orgue, l’autre pour deux violons, deux violoncelles, un cornettino, trois trombones et orgue. Schmelzer, qui occupa des fonctions à Vienne, jouait lui-même du cornet ; la notice suggère qu’il a peut-être étudié avec Giovanni Sansoni. Ces pages à l’écriture travaillée et à caractère sacré et profane sont destinées, comme le compositeur le précisa lui-même dans sa dédicace à l’Archiduc Léopold-Guillaume, à éveiller la dévotion à l’église et rafraîchir l’esprit humain à l’extérieur. Pour les auditeurs d’aujourd’hui, elles sont surtout le reflet d’un art raffiné et le témoin d’un univers sonore typé et flatteur pour l’oreille.   

Ce programme délicat, qui bénéficie d’une prise de son chaude effectuée en septembre 2019 en l’église Saint-Apollinaire de Bolland, près de Herve, possède une indiscutable faculté d’envoûtement. D’aucuns ne partageront peut-être pas tout à fait cet avis et considéreront une écoute suivie comme quelque peu répétitive. Pour ces esprits rétifs, nous conseillerons alors de s’imprégner par petites doses de cet éventail de sonorités ciselées. Au-delà des deux cornets virtuoses de Lambert Colson et Josué Meléndez Pelaez, la participation de deux violons (Marie Rouquié et Gabriel Grosbard), de deux violoncelles (Edouard Catalan et Ronan Kernoa), de quatre trombones (Guy Hanssen, Susanna Defendi, Charlotte Van Passen et Bart Vroomen), d’un basson (Anaïs Ramage), d’un clavecin (Pierre Gallon) et d’un orgue (Marc Meisel), tous impeccables, crée une atmosphère harmonieusement festive, tant dans l’équilibre des échanges sonores que dans l’investissement mis à ressusciter ce répertoire des plus évocateurs. Un nouveau fleuron à l’actif du label Ricercar.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

  

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