Farce, dénonciation, confusion : Les Noces du Figaro à Aix-en-Provence

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La metteure en scène néerlandaise Lotte de Beer propose une vision surlignée des Nozze di Figaro, les transformant d’abord en farce burlesque, les faisant ensuite une œuvre dénonciatrice plutôt Me Too, pour conclure, en conjonction de ces deux moments, en une démonstration bariolée, malheureusement plutôt confuse. Thomas Engelbrock et son Balthasar Neumann Ensemble n’y ont pas trouvé leur vrai rythme l’autre soir.

On le sait, Le Nozze di Figaro, comme toute grande œuvre, peut susciter de nombreuses approches, contrastées même. Lotte de Beer opte d’abord pour une lecture burlesque, farcesque. Elle fait de nous les spectateurs de l’enregistrement d’un de ces feuilletons -soap opera- qui rythmaient la vie quotidienne des « ménagères américaines de moins de cinquante ans ». Trois cases-décors sur le plateau : une chambre à coucher, une buanderie, un salon. Deux panneaux placés en hauteur signalent les moments où les spectateurs doivent « applaudir » et « rire ». Cette façon de voir les choses peut se justifier : le Comte veut abuser d’un droit de cuissage normalement supprimé sur cette jeune soubrette, Suzanne, qui va bientôt épouser le valet Figaro. Une façon de faire qui désespère sa femme, la Comtesse, autrefois Rosine tant aimée. Chérubin, un petit page éternellement amoureux, tout aussi éternellement maladroit, vient faire rebondir l’intrigue. C’est drôle, c’est très vaudeville. C’est très farce. Et notamment dans un catalogue désopilant de tentatives de suicide de la Comtesse. Lotte de Beer réussit à la mener grand train, avec beaucoup d’inventivité dans le rythme sans faille qui convient. On objectera que c’est réducteur. Oui, mais on s’amuse.

Après l’entracte, changement de décor : le plateau est vide, sinon une cage en verre dans laquelle se trouve un lit d’apparat… et la Comtesse, femme prisonnière, témoin des turpitudes de son mari. Nous sommes dans une tout autre perspective, celle d’une dénonciation des abus mâles. MeeToo est passé par là. 

Mais Lotte de Beer ne s’en tient pas là. C’est une femme d’« images », et voilà que surgissent des bataillons de tricoteuses. Le tricot comme métaphore de la résistance féminine ! Sur le plateau, c’est une débauche de vêtements multicoloriés, qui culmine dans le gonflement d’un immense totem bariolé. Pourquoi pas, même si c’est plus qu’insistant. Mais un problème se pose : ce carnaval de l’oppression, cette accumulation étouffent la fin de l’œuvre dont on sait comment ses ressorts vaudevillesques sont prétexte à belles expressions et réflexions humaines. Tout cela devient difficilement compréhensible pour qui ne connaît pas l’œuvre au préalable.

Julie Fuchs impose sa Susanna dans un chant aisé, impertinent, dans un jeu si juste de présence corporelle ; Gyula Orendt a toutes les ruses d’un Comte « vil séducteur », trompeur finalement trompé ; André Schuen a les élans de Figaro, mais pas vraiment nuancés ; Lea Desandre a les apparences juvéniles maladroites de Chérubin à qui elle confère un beau chant. Jacquelyn Wagner ne donne pas vraiment d’épaisseur à sa Comtesse, mais la mise en scène ne lui facilite pas la tâche, l’obligeant même à une séance de fitness. Leonardo Galeazzi est un Antonio plus vrai que nature et nous réjouit. A cause du tohu-bohu sur le plateau, Elisabeth Boudreault ne peut pas bien faire entendre son bel air de Barberine. Emiliano Gonzales Toro-Don Basilio, Monica Bacelli-Marcellina, et Maurizio Muraro-Il Dottor Bartolo, complètent la distribution.

Quant à Thomas Engelbrock, il n’a pas réussi l’autre soir à se mettre au diapason multiple de ce qui se bouscule sur le plateau. Sa direction n’était pas vraiment inspirée et souffrait aussi de quelques approximations et dissociations instrumentales peu heureuses. Il est vrai aussi que nos yeux, quand ils sont pareillement saturés, rendent nos oreilles moins réceptives aux merveilles mozartiennes.   

Aix-en-Provence, Théâtre de L'archevéché, 5 juillet 2021

Stéphane Gilbart

Crédits photographiques :  Jean-Louis Fernandez

 

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