Fazil Say et le casalQuartett nous en font voir de toutes les couleurs

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Ballads & QuintetsFazil Say (°1970) :  3 Ballades, Op. 12 ; The Moving Mansion (Yürüyen Köşk), Op. 72b ; Robert Schumann (1810-1856) : Quintette pour piano et cordes, Op. 44. Fazil Say (piano), CasalQuartett. 2020-Texte de présentation en allemand, anglais et turc - 55’19-Solo Musica- SM 340

Pianiste au talent indiscutable et compositeur traçant son sillon sans se préoccuper des modes, Fazil Say nous propose ici ces deux aspects de sa personnalité dans un enregistrement partagé entre ses propres compositions (écrites à l’origine pour piano seul et arrangées ici pour piano et quatuor à cordes) et le Quintette pour piano de Schumann, pierre angulaire du répertoire pour cette formation.

Le moins qu’on puisse dire est que l’impression qui se dégage de ce disque est mitigée. En dépit de la sympathie qu’on peut éprouver pour cet artiste attachant (et auteur d’une des plus belles intégrales des sonates de Mozart qui soit), la qualité de ses compositions est pour le moins variable. 

Les Trois Ballades -qu’on devine plus sobres dans leur version d’origine- commencent par un hommage au grand poète Nâzim Hikmet qui débouche ici sur une espèce de musique d’ambiance orientale, sincère mais sucrée avec des cordes un peu maigrelettes. La deuxième, Kumru, écrite à l’occasion de la naissance de la fille du compositeur, est une charmante berceuse dans un style romantique tardif qui n’est pas sans rappeler Rachmaninov.

Le cycle se termine par Sevenlere Dair (Mont Ida), inspirée par un concert donné par l’auteur au Mont Ida et hommage au lieu, aux arbres et aux créatures qui le peuplent. Ces nobles intentions débouchent sur une musique douce, agréable et absolument inoffensive qui retient cependant quelque chose de l’improvisation et devrait plaire aux amateurs de musique d’ambiance de qualité.

Yürüyen Köşk (La Maison qui bouge) est une oeuvre -en quatre mouvements enchaînés- nettement plus intéressante. Elle nous conte l’histoire de la maison que se fit construire Mustafa Kemal Atatürk en 1929 près de Yalova, et dans le jardin de laquelle se trouvait un impressionnant platane qui avec le temps prit tant d’ampleur que le fondateur de la Turquie moderne, plutôt que de faire abattre l’arbre, décida en 1937 de faire déplacer la maison quatre mètres plus loin. On sait les démêlés de Say avec la justice turque qui l’accusa d’ ‘’atteinte aux valeurs religieuses de l’islam’’ et le condamna à dix mois de prison avec sursis en 2013 avant qu’un tribunal d’Istamboul ne l’acquitte pour de bon en 2016. L’admiration du compositeur  pour le fondateur de la Turquie moderne et laïque se comprend donc aisément, et les titres des deux premiers mouvements en disent long à ce propos. Après un premier mouvement Enlightenment néo-bartokien (sont-ce des bruits d’insectes qu’on entend?) d’une réelle émotion, le second Struggle against Darkness se distingue par une rythmique bien marquée, des pizzicati à la Bartók et de brèves phrases aux cordes dans le ,style de l’auteur hongrois . Le troisième mouvement, Believing in Life, d’un lyrisme un peu facile, fait entendre des chants d’oiseaux aux cordes sur fond de piano doucement ruisselant avant de déboucher sur une fin au lyrisme néo-rachmaninovien. Le mouvement final, Plane Tree, évoque le fameux platane d’Atatürk et on y trouve un peu de tout. Au début, des ostinatos néo-bartokiens, de douces harmonies debussystes, de brèves phrases répétées dans le style minimaliste, des phrases chaloupées à la Gershwin. Les plus beaux moments sont ces instants d’orientalisme où l’on sent que Fazil Say se libère avec beaucoup de sincérité.

Le Quintette de Schumann démarre dans un bel enthousiasme, mais les choses se gâtent rapidement, principalement en raison d’une gestion très élastique du tempo où accélérations et rallentandi sont plaqués sur la musique plutôt que de naître naturellement du galbe de la phrase. La bonne volonté des interprètes n’’est pas en cause, mais cette cette envie de ‘’faire expressif’’ fatigue et on se prend à souhaiter plus de simplicité, moins d’interventionnisme (surtout de la part du piano qui conduit nettement le bal, les cordes -assez aigrelettes- se contentant de suivre). Un peu de rigueur n’eût vraiment pas fait de mal ici.

Ce manque de rigueur est à nouveau frappant dans le mouvement lent, véritable Marche funèbre, qui pâtit lui aussi d’un discours morcelé et d’intentions trop  appuyées. Il y a quelque chose de maladroit et de forcé dans la conduite du discours, où les cordes -à la sonorité décolorée plutôt que mystérieuse- se laissent parfois aller à une curieuse dynamique en soufflets. Il faut dire que la domination naturelle du piano et une acoustique compacte avec peu d’air autour de pupitres n’aide guère les archets. 

Say fait entendre de belles choses dans un Scherzo où il se montre volubile et virtuose. Dans le passages rapides du milieu du mouvement, les cordes sont assez à la peine et tricotent énergiquement en donnant tout ce qu’elles peuvent. Quel dommage que la fraîcheur et l’esprit de la musique ne se perçoivent guère.

Le Finale -abordé lui aussi avec beaucoup d’entrain- s’écoute sans déplaisir, avec un pianiste enthousiaste et des cordes volontaires mais acides.

Conclusion: Fazil Say peut certainement mieux faire et le casalQuartett nous doit une revanche.

Son 7 - Livret 8 - Répertoire 5 (Ballades), 7 (Yürüyen Köşk), 10 (Schumann) - Interprétation 8 (Say), 6 (Schumann)

Patrice Lieberman

 

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