Femmes compositrices du XIXe siècle : Hortense de Beauharnais

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Auriez-vous imaginé que la fille adoptive de Napoléon 1er, Hortense de Beauharnais, ait été une artiste, compositrice notamment ? Et pourtant…

Hortense Eugénie Cécile de Beauharnais (Paris 1783-Château d’Arenenberg, Suisse 1837) n’est pas seulement fille adoptive de Napoléon Bonaparte, donc une Bonaparte, mais aussi sa belle-sœur suite à son mariage avec un frère de Napoléon, Louis. Tout commence en Martinique où vivent un temps les familles de ses grands-parents, aussi bien du côté paternel que maternel.

La famille

Le père d’Hortense, Alexandre François Marie, Vicomte de Beauharnais (Martinique, Fort-Royal 1760-Paris 1794) descend d’une famille de militaires et politiciens. Il étudie à Paris, puis en Allemagne, avant d’intégrer l’armée. Il est le fils d’un ancien Gouverneur de la Martinique où sa famille possède des propriétés, ainsi qu’en France.

La mère d’Hortense est Marie-Josèphe-Rose Tascher de la Pagerie (Martinique, Les trois Îlets 1763-Château de Malmaison, Ruel-Malmaison 1814). Sa famille, d’origine noble, est propriétaire, en Martinique, d’une importante plantation (canne à sucre, coton, café…). L’entreprise très florissante, où vivent plus de 150 esclaves, décline suite à une mauvaise gestion et s’effondre en 1766 quand la propriété familiale est anéantie par un puissant cyclone. A cause du manque d’argent, Rose jouit d’une enfance très libre. Son père ne la fera instruire que de 10 à 14 ans dans un pensionnat martiniquais. Devenue Rose de Beauharnais par son mariage avec Alexandre, elle entrera dans l’histoire en tant que Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon Bonaparte.

C’est en 1779, en métropole, qu’Alexandre, Vicomte de Beauharnais, épouse Rose Tascher de la Pagerie. Ils ont deux enfants, Eugène Rose (Paris 1781-Munich 1824) et Hortense Eugénie Cécile. Alexandre est homme politique et Général d’armée pendant la révolution française. Il est très souvent en mission à l’étranger. Grande, sensuelle, d’une grâce créole, Rose se passionne pour la nature. Ce mariage arrangé se révèle bancal. Le couple se sépare quand la petite a trois ans. Eugène reste avec son père et Hortense suit sa mère, d’abord à Paris, à l’Abbaye de Penthémont, ensuite chez ses grands-parents paternels à Fontainebleau, puis à la Martinique où sa grand-mère maternelle lui dévoile la nature exubérante de « l’île aux fleurs », (les fruits, bananes, ananas, pamplemousses, les arbres, hibiscus, frangipaniers, cocotiers…). Elle se fait des amis et commence à chanter et à danser avec un grand sens du rythme, comme le font les esclaves noirs qu’elle admire. Son frère et son père lui manquent. Sa mère lui offre un portrait d’Eugène « Ainsi, il sera avec vous dans la chambre. Quand nous le reverrons, vous aurez beaucoup de belles aventures à lui raconter ». En 1790 (Hortense a 7 ans), une révolte violente balaye la région. Sa mère et elle réussissent à fuir à temps et embarquent sur une frégate, « La Sensible » dont la petite fille, très mignonne, est la coqueluche : elle divertit les passagers, danse et chante d’une voix mélodieuse sous le regard aimant de sa jolie maman.

Hortense et sa mère s’installent de nouveau à Fontainebleau où Eugène supplie sa sœur de ne plus jamais le quitter. Paris est en pleine anarchie. Alexandre est devenu un homme politique important : il est un représentant de la noblesse aux Etats Généraux. Le 18 juin 1791, lors de la fuite du roi à Varennes, il est élu à l’Assemblée constituante dont il devient Président. Il fait partie du Club des Jacobins qui regroupe les révolutionnaires partisans de la politique du Comité de salut public. Il reprend ensuite du service dans l’armée et devient Commandant en chef de l’armée du Rhin. Mais en 1793, la perte de Mayence lui est attribuée, il donne sa démission et se retire dans ses terres comme maire de la Ferté-Beauharnais. Il vient souvent à Paris pour veiller à l’éducation de sa fille qu’il confie à une personne de confiance parce que sa femme, dont il est séparé, sort souvent. En 1794, il comparaît devant le Tribunal Révolutionnaire et est enfermé à la prison des Carmes sous prétexte de haute trahison. Son épouse Rose est arrêtée aussi et reste emprisonnée plus de trois mois dans des conditions exécrables. Les enfants voient sporadiquement leurs parents. Eugène jure de tout faire pour sa sœur : « Ne vous inquiétez pas, je veillerai sur ma sœur et la protégerai ». Condamné à mort, Alexandre est guillotiné 5 jours avant Robespierre. Rose en réchappe de peu.

L’éducation

Après sa libération, Rose, très dépensière et un brin volage, se sacrifie pour donner le meilleur à ses enfants. Elle ne lésine pas sur les frais d’inscription. En 1795, Eugène est interne à l’excellent « Collège Irlandais McDermott » fondé par l’Irlandais Patrice Mac Dermott et Hortense devient pensionnaire, à Saint-Germain-en-Laye, de « l’Institution nationale de Saint-Germain » tenue par une personne d’exception, Madame Campan. 

Jeanne-Louise-Henriette Genet (1752-1822), connue sous le nom de Madame Campan et qui fait partie des grandes éducatrices de cette époque, a reçu une solide éduction. Elle est polyglotte (français, anglais, italien) et est devenue, dès ses quinze ans, lectrice des filles de Louis XV. Par la suite, elle est choisie comme femme de chambre de Marie-Antoinette. Sans grandes ressources suite à la révolution, ayant à sa charge sa mère infirme, son mari malade, un fils de 10 ans et trois nièces orphelines, son degré élevé d’instruction lui permet d’ouvrir en 1794 un petit pensionnat pour demoiselles. Toutes les grandes familles de la France révolutionnaire essayent d’y envoyer leurs filles pour qu’elles acquièrent l’élégance du savoir-vivre aristocratique. On y apprend la musique, la composition, le dessin, la danse, plusieurs langues, l’histoire, la géographie et les « bonnes manières ». Soucieuse de la qualité de la formation proposée, Madame Campan engage des professeurs de renom tels Jean-Baptiste Isabey pour la peinture ou Martin Pierre d’Alvimare du Briou pour la harpe. Des représentations théâtrales, bals, concerts, sont fréquemment organisés pour montrer le talent des élèves à l’élite de la société et, à certaines occasions, on rassemble les jeunes des deux institutions géographiquement très proches. Très douée, Hortense travaille beaucoup, ce qui lui vaut de chanter dans des opéras, de jouer lors de concerts, de briller dans des ballets, de recevoir des prix de dessin. Le lendemain du mariage de sa mère avec Napoléon Bonaparte, Hortense reçoit leur visite et les compliments de celui qui allait les adopter, son frère et elle. 

Le mariage

Joséphine, sans enfant de Napoléon et soucieuse d’assurer son propre avenir, incite sa fille à épouser un Bonaparte. C’est ainsi qu’en janvier 1802, malgré sa réticence, Hortense se lie à un frère de Napoléon, Louis Bonaparte (Ajaccio 1778-Livourne 1846), un homme ombrageux, neurasthénique et perclus de rhumatismes. Au départ, il ne souhaite pas ce mariage « Vous ne pouvez m’aimer, vous êtes femme et par conséquent un être tout formé de ruse et de malice, vous êtes la fille d’une mère sans morale ; vous tenez à une famille que je déteste ; que de motifs pour moi de veiller sur toutes vos actions… ». Il passe peu de temps avec Hortense mais fait de sa vie un enfer : il est jaloux, l’espionne, lit son courrier et fait courir sur elle des bruits infâmants. Souvent en cure pour soigner ses malaises, Louis soutient qu’il a passé en tout environ quatre mois avec sa femme. Ils auront pourtant trois fils, Napoléon-Charles (1802-1807), Napoléon-Louis (1804-1831), Grand-Duc de Berg et Roi de Hollande sous le nom de Louis II, et Louis-Napoléon (1808-1873), futur Napoléon III, Empereur des Français. En 1804, Louis et Hortense font l’acquisition du château de Saint-Leu où Hortense donne des fêtes magnifiques. Dix ans plus tard, elle deviendra Duchesse de Saint-Leu, pourvue de rentes et de terre par ordre de Louis XVIII. 

En 1806, Louis Bonaparte, qui a suivi une formation militaire, devient Roi de Hollande sur la pression de Napoléon qui souhaitait établir ses frères comme rois héréditaires de nations alliées à la France. Hortense est Reine consort. Louis, dont la devise est « Fais ce que doit, advienne que pourra », veut tout savoir sur sa nouvelle patrie. Il se documente sérieusement sur le développement des sciences, des arts, de l’agriculture, de la religion, du commerce, des finances, des familles importantes et il apprend le néerlandais qu’il maintient comme langue officielle de l’administration. Tout cela lui vaut la sympathie du peuple à la rencontre duquel il aime aller. Mais toutes les réformes qu’il lance judicieusement pour sa nation finissent par mécontenter profondément Napoléon et le fait qu’il interdise la conscription sur son territoire, évitant ainsi à ses hommes de se battre pour la France, est très mal perçu. Le blocus continental qu’il devait appliquer était la ruine du commerce de la Hollande. Quand, en 1809, les Anglais débarquent à Walcheren, Napoléon lui demande s’il est pour la France ou l’Angleterre. Il le contraint à l’abdication en 1810, la Hollande est intégrée à l’Empire français et Louis vit en exil jusqu’à sa mort. 

Hortense est écrasée de douleur par le décès prématuré de son fils aîné, mort de la diphtérie en 1807. Dans cette épreuve, son mari la soutient : « Je vous implore de surmonter votre peine. Vous devez vivre pour notre autre fils, Napoléon-Louis, qui est encore si petit et qui a besoin de votre amour et de vos soins. Je vous aiderai et nous surmonterons ensemble cette effroyable épreuve ». Toutefois, ses relations avec Louis sont souvent orageuses. Il la menace de divorcer et écrit, en août 1808 : « … Nous n’avons jamais été une seule fois d’accord. Vous avez fait preuve d’aversion à mon égard, et vous êtes souvent éloignée. Adieu Madame. Je souhaite pour vous-même et les miens que vos projets n’aboutissent pas. Adieu donc et pour toujours ». Face à l’opposition de Napoléon, la menace n’aboutit pas. Hortense mène une vie d’errance. Elle séjourne en Hollande, au château de Laeken, en France, en Suisse, en Angleterre, en Italie, suivant les vicissitudes liées à son nom et son statut. Après sa séparation d’avec Louis, elle a un fils caché avec Charles de Flahaut, lui-même fils naturel de Talleyrand. Elevé dans la famille de son père et devenu le duc Charles de Morny (Suisse 1811-Paris1865) il connaît très peu sa mère : il la voit pour la première fois à 18 ans et son demi-frère Louis-Napoléon n’apprend son existence qu’en lisant le testament de sa mère.

Fidèle à l’Empereur pendant les 100 jours, Hortense s’exile en Suisse, au Château d’Arenenberg qu’elle rachète et restaure en 1817. Elle y soigne la formation des fils qu’elle a eus avec Louis, y tient salon et reçoit des personnalités tels Alexandre Dumas, Chateaubriand, Franz Liszt,…

En Italie, elle vit de nouveau un drame : son deuxième fils, Napoléon-Louis, meurt de la rougeole, faute de soins, pendant la révolte italienne de 1831. Avec son frère, il avait rejoint les rangs des Carbonari italiens, mouvement de libération contre le joug autrichien et le pouvoir séculier du Pape. Hortense, qui ignorait l’implication de ses fils, fait preuve d’un esprit d’initiative remarquable pour sauver son dernier enfant, Louis-Napoléon, poursuivi par les armées autrichienne et pontificale. Elle fait faire de faux papiers, ils se font passer pour des Anglais et rejoignent péniblement l’Angleterre. 

Toute sa vie, cette femme digne affronte l’adversité avec un stupéfiant courage. Malgré son éloignement lié à ses importantes fonctions, son frère Eugène lui a toujours fait preuve d’un grand attachement, respectant ce qu’il avait promis quand il était enfant.

Hortense s’éteint le 5 octobre 1837 dans son château d’Arenenberg, en Suisse. Elle n’a pas vu son fils devenir l’Empereur Napoléon III.

La musicienne

Après avoir quitté l’Institution de Madame Campan, Hortense engage des professeurs de renom et se perfectionne en piano, chant, harpe, guitare. La musique a toujours été son refuge au milieu des désastres qui ont parsemé sa vie. Pour elle, peindre et composer sont des moments de totale évasion. « La musique agit sur nos émotions, calme nos angoisses… ». Elle organise chez elle des concerts où l’on croise des musiciens prestigieux comme Franz Liszt. Elle s’y produit aussi et chante des pièces de sa composition. Vers 1807-1808, elle se prend de passion pour la romance du genre troubadour ou guerrier qu’elle compose, souvent avec la harpe ou la guitare, comme accompagnement. Elle a parfois l’idée d’un thème qu’elle fait développer par un poète puis y adjoint la musique. C’est ainsi qu’est créée sa romance la plus célèbre, connue sous différentes appellations : « Partant pour la Syrie » ou « Le beau Dunois ». Les paroles inspirées par la campagne d’Egypte sont d’Alexandre de Laborde, diplomate, grand amateur d’art et poète très productif. « Partant pour la Syrie ; Le jeune et beau Dunois ; Venait prier Marie ; De bénir ses exploit ; Faites, Reine immortelle ; Lui dit-il en partant ; Que j’aime la plus belle ; Et sois le plus vaillant … ». Cet hymne à l’amour chevaleresque a un destin particulier : il devient le chant de ralliement des Bonapartistes et, durant une partie du second empire, l’hymne officieux de la France à la place de la Marseillaise. De nos jours, il fait d’ailleurs encore partie du répertoire de la musique militaire française. Dans ses mémoires, Louise Cochelet, lectrice de la Reine Hortense, écrit que « cette romance fut tant chantée que les orgues de barbarie la répétaient sans cesse dans les rues, … ». Hortense envoie des compositions à Eugène. « J’ai reçu seulement hier, ma bonne sœur, les quatre jolies romances que tu m’as envoyées … Je me fais une fête de les apprendre puisqu’elles sont de toi… ». En 1813, elle fait réunir ses œuvres en un livre où chaque romance est illustrée d’un dessin qu’elle aurait réalisé, cadeau de Nouvel An pour ses amis ! Partout en Europe, on fredonne ses mélodies. 

En 1822, Schubert compose et dédie à Beethoven ses Variations pour pianoforte opus 10 à quatre mains, ensemble de variations dites sur « une chanson française » qui serait une « romance » composée en Hollande par Hortense quand elle était Reine de ce pays.

Outre ses compositions, Hortense a laissé un grand nombre de dessins, de gravures, de tableaux et d’aquarelles. Elle a aussi écrit ses « Mémoires ».

Anne-Marie Polome

Crédits photographiques : DR

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