George Szell, comme un diamant 

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Le chef d’orchestre George Szell est décédé il y a 50 ans. Alors que Warner réédite un coffret reprenant ses enregistrements, cette partition est l’occasion de parcourir la vie de ce chef d’orchestre réputé pour son niveau d’exigence qui déboucha sur la notoriété du Cleveland Orchestra dont il fut le plus important Directeur musical. 

György Széll voit le jour à Budapest en 1897 dans une famille où la musique est présente au plus haut niveau. La légende veut qu’il développe  très rapidement des aptitudes musicales et à l’âge de 2 ans et demi, l’enfant aurait donné des petites tapes au poignet de sa mère, dès qu’il aurait entendu des fausses notes du piano joué par sa génitrice. A l’âge de neuf ans, il déménage avec ses parents à Vienne et il commence à suivre des cours. Parmi ses professeurs, on note les noms des compositeurs Max Reger et Eusebius Mandyczewski, un ami de Brahms, ainsi que du pianiste Richard Robert, disciple de Bruckner, qui fut l’enseignant de Rudolf Serkin et Clara Haskil. Le jeune Szell est un enfant prodige qui met Vienne à ses pieds et, à l’âge de onze ans, il entreprend un tour d’Europe. La presse anglaise en pâmoison le qualifie de « nouveau Mozart ». Il joue des pièces du répertoire mais aussi ses propres compositions. Pour ses quatorze ans, la prestigieuse maison d’édition Universal de Vienne lui offre un contrat d’exclusivité de 10 ans. A seize ans, il dirige déjà des orchestres et un an plus tard, il est invité à monter au pupitre du Philharmonique de Berlin. Il se fait remarquer par Richard Strauss, qui est stupéfait par la maîtrise de l’adolescent ! Jugez du peu : Szell dirige lors de concert berlinois le poème symphonique Till L’espiègle du compositeur allemand. Si l’oeuvre est désormais un classique, elle était en 1914 une redoutable partition de musique contemporaine et un défi technique pour le chef et l’orchestre. Strauss prend alors George Szell sous son aile et le fait engager à l’Opéra Royal de la Cour de Berlin comme répétiteur, puis assistant. La confiance de Strauss est telle qu’il lui confie les répétitions en vue du premier enregistrement mondial de son poème symphonique Don Juan ! Lors de la session, Strauss est en retard et le jeune chef se retrouve à diriger la première partie de l’enregistrement de l'œuvre. Strauss s’étant rendormi, il arrive au studio avec une heure de retard. Du fait de la technique d'enregistrement d’alors, il est impossible de graver à nouveau, mais Strauss est si satisfait du résultat qu’il accepte que ce demi enregistrement lui soit crédité. La technique de bâton du grand compositeur ainsi que son sens de la clarté dans la gestion de la masse orchestrale et des phrasés eurent une influence sur les conceptions musicales de George Szell. Strauss resta, tout au long de sa vie, attentif à la carrière de son protégé. 

En 1918, Szell décroche son premier poste : Premier chef au Théâtre municipal de Strasbourg avant de passer à Darmstadt et Düsseldorf. Après un retour comme Premier chef à Berlin sous le règne d’Erich Kleiber, il est désigné Directeur musical de l’Opéra allemand de Prague en 1929. C’est un triomphe et il y reste jusqu’en 1937. Consécration, il est invité à enregistrer pour HMV le Concerto pour violoncelle et la Symphonie du Nouveau monde d’Antonin Dvořák au pupitre de l’Orchestre Philharmonique Tchèque dont le chef est alors Vaclav Talich, si réputé dans ce répertoire !   

En parallèle de sa présence à Prague, il mène une carrière de chef invité à travers le monde et on le retrouve régulièrement à Londres pour des enregistrements. Dès 1930, il  traverse l’Atlantique pour effectuer ses débuts avec l’Orchestre Symphonique de Saint Louis. Alors que la guerre menace l’Europe, il prend la décision de se fixer avec sa famille à New York en 1939. Il partage alors son temps entre l’enseignement à la Mannes School of Music de Manhattan et la direction des orchestres de la ville : le NBC Symphony Orchestra de Toscanini dès 1941, puis de la Philharmonie de New-York à partir de 1943. Toscanini, pourtant des plus avares en matière de compliments, ne tarit pas d’éloges sur ce confrère. Szell dirige alors les orchestres étasuniens : Philadelphie, Chicago, Los Angeles, Detroit et Cleveland. En 1946, il est naturalisé citoyen américain alors que le Cleveland Orchestra lui propose le poste de directeur musical. Bien que dirigé par de grands noms comme Nikolaï Sokoloff (1918-1933), le fantasque mais inégal Artur Rodzinski (1933-1943) puis Erich Leinsdorf (1943-1946), l’Orchestre de Cleveland est considéré comme une phalange de second rang derrière les orchestres de Chicago, Philadelphie, Boston et New-York. 

Szell accepte la proposition et reste en poste jusqu’à son décès en 1970. Au cours de ce très long mandat, il transforme cette formation en l’élite des orchestres américains au prix d’une discipline de fer et d’une intransigeance de tous les instants. L'exigence de Szell est proverbiale et il ne manque pas d'alimenter sa mythologie : alors qu’un journaliste l’interroge sur les secrets du niveau de son orchestre, il répond, cassant, que quand ses confrères arrêtent de travailler, lui et ses musiciens commencent seulement. La réalité est toujours plus nuancée car si Szell est en effet exigeant, il a su convaincre les meilleurs musiciens de s’engager dans un orchestre que d’aucuns considèrent comme provincial. Tous les musiciens et les solistes reconnaissaient les qualités techniques et musicales exceptionnelles de Szell et sa capacité à imposer ses vues interprétatives et hisser la phalange vers des sommets inégalés. Grâce au chef et à un contrat exclusif pour Columbia, le nom de Cleveland s’impose dans le monde entier et devient un label de qualité musicale ! 

Sa flexibilité stylistique était totale : ses Haydn et Mozart séduisent encore par l’élan et la clarté. Ses Beethoven, dans la ligne de Toscanini, sont vifs et tranchants alors que ses Brahms et Schumann restent des modèles de styles. Ses Janáček, Prokofiev et Bartók sont des parangons d’art de la direction d’orchestre que les apprentis-chefs se doivent d’écouter attentivement. Le musicien pratiquait également la musique de son temps avec une grande amplitude de genre : il est le commanditaire de la Partita de Walton et des Métaboles de Dutilleux pour les 40 ans de son orchestre. Très intéressé par les talents émergents, il invite dès 1965 le jeune Pierre Boulez dont il avait entendu parler positivement lors d’un passage à l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam que le Français venait de diriger. Le Grand analytique fut ensuite l’un des chefs préférés du Cleveland Orchestra. La grande précision de sa direction lui fut de son vivant reproché comme tueuse d’émotions, pourtant une écoute de son legs montre qu’il n’en est rien ! Au contraire, ces caractéristiques en font l’un des chefs les plus intéressants à réécouter car son style n’a pas vieilli ! 

En parallèle de sa présence à Cleveland, Szell mena une prestigieuse carrière de chef invité au pupitre des grands orchestres européens. Il fut l’un des premiers artistes américains de stature internationale à être retourné en Europe après la Seconde Guerre mondiale et en particulier au festival de Salzbourg dont il devint l’un des piliers aussi à l’aise dans la fosse pour diriger le Chevalier à la rose de Strauss ou l’Enlèvement au sérail de Mozart que des créations mondiales de Rolf Liebermann ou Werner Egk. 

Marié à deux reprises, Szell est, hors de sa vie musicale, un fin gourmet et un conducteur émérite refusant souvent les services du chauffeur de l’orchestre pour rentrer chez lui au volant de son imposante Cadillac.

Pierre-Jean Tribot

https://www.crescendo-magazine.be/george-szell-au-fil-du-temps/

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