Georgi Catoire, un méconnu de la musique russe 

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Georgi Catoire (1861-1926) : Concerto pour piano et orchestre op. 21 ; Quintette pour piano, deux violons, alto et violoncelle op. 28 ; Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle op. 31. Olivier Triendl, piano ; Quatuor Vogler ; Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, direction Roland Kluttig. 2019 et 2020. Notice en allemand et en anglais. 78.15. Capriccio C5403.

Le nom de Georgi Catoire n’est pas familier pour les mélomanes. La notice bien documentée d’Anna Zassimova, dont nous nous inspirons, évoque le parcours de ce méconnu. Ce Moscovite est issu d’une famille émigrée de France aux alentours de 1800, ce qui explique le patronyme. La nationalité russe est attribuée en 1825 aux Catoire qui, pendant la fin du XIXe siècle, font partie de l’élite du milieu des affaires. S’il prend des leçons de piano au début de son adolescence, le jeune Georgi est attiré par la musique de Wagner. Il entreprend des études de mathématiques à l’Université de Moscou et débute une carrière d’employé dans l’entreprise familiale. Encouragé par Tchaïkovski qui l’a entendu jouer du piano, Catoire se forme à Berlin et à Saint-Pétersbourg avec Rimski-Korsakov et Liadov. Il se lie d’amitié avec Serge Taneïev, Nikolai Medtner et Alexander Goldenweiser. Il se met à voyager, notamment au Tyrol, dont il admire les paysages. Il devient professeur de composition au Conservatoire de Moscou de 1917 à 1922, date à laquelle, suite au décès de son épouse et du départ de son fils pour la France, il tente de s’installer à Paris, où il ne demeure pas longtemps. Il rentre à Moscou et y décède en 1926. Un concert de ses œuvres en sa mémoire est organisé ; le public est si peu nombreux que les musiciens renoncent à se produire. 

Le nom de Catoire sombre alors dans l’oubli, il n’est pas programmé ni connu du grand public, jusqu’à la fin du XXe siècle, où ses compositions de style postromantique attirent l’attention. Quelques labels (Naxos, CPO, Dutton) proposent alors quelques-unes de ses pages symphoniques ou de musique de chambre. Dans son Histoire de la musique russe (Paris, Fayard, 2006, p. 481), André Lischke consacre à Catoire une vingtaine de lignes. Il signale que le compositeur a écrit un Cours théorique d’harmonie en deux volumes parus en 1924 et 1925, qu’il a compté Dimitri Kabalevski parmi ses élèves et que l’un des descendants revenus en France, Jean Catoire (1923-2005), professeur au Conservatoire russe de Paris et compositeur lui aussi, lui a dispensé son enseignement.

Le catalogue de Georgi Catoire comprend une symphonie (disponible chez Dutton), le poème symphonique Mtsyri, d’après Lermontov, un concerto pour piano, une cantate, ainsi que de la musique de chambre, pour piano et pour voix et de nombreuses mélodies. Le présent CD propose un panorama significatif de sa production. La musique de Catoire se caractérise par une grande densité expressive, avec des couleurs finement dessinées et des rythmes libres. Le Concerto pour piano op. 21 est une partition postromantique, dans laquelle on reconnaît l’attirance de Catoire pour Wagner et Liszt. Alexander Goldenweiser en donna la première audition à Moscou en 1911, puis à Saint-Pétersbourg, sans rencontrer un grand succès. La notice rapporte des propos de Goldenweiser se plaignant de l’impréparation de l’orchestre et de son chef (non cité) ; la musique de Catoire fut estimée « mauvaise », ce qui déprima le compositeur. A l’audition, on constate aujourd’hui que, s’il ne s’agit pas d’un chef-d’œuvre, cette partition contient de belles envolées, dans un contexte brillant et virtuose. Le mouvement initial Moderato, con entusiasmo montre une vraie maîtrise du piano, enrobée d’une instrumentation habile et distinguée. Les deux autres mouvements, Andante cantabile et Allegro risoluto, confirment le côté agréable de l’écoute, sans révéler un créateur original. On pense un peu à Tchaïkovski, un peu à Rachmaninov, mais sans l’étincelle supérieure d’inspiration qui les caractérise. Ce concerto a déjà connu un enregistrement par Hiroaki Takenouchi, avec le Royal Scottish National Orchestra, dirigé par Martin Yates (Dutton, 2012). Ici, l’Allemand Olivier Triendl (°1970), qui s’est spécialisé utilement dans des répertoires peu fréquentés (Roslavets, Théodore Dubois, Oscar Straus, David Johansen, Scharwenka, Reizenstein, Röntgen et quelques autres) apporte au concerto de Catoire toute sa force de conviction, en soulignant avec aisance les couleurs et les rythmes, que servent avec autant de chaleur les membres du Rundfunk-Sinfonieorchester de Berlin, menés par Roland Kluttig (°1968), actuel directeur musical de l’Opéra de Graz.

Le Quintette avec piano date de 1914. Dans le premier mouvement, Allegro moderato, on reconnaît un thème du Trio avec piano de Tchaïkovski op. 50, dans un développement irrévocablement romantique, mais bien construit dans un sens dramatique, avec un violoncelle chantant. Un délicat Andante, puis un Allegro final apportent à la partition sa part de mélancolie et d’amertume, mais aussi de beauté harmonique qui en font des pages attachantes. Le Quatuor de 1916 contient des moments ardents, déclamatoires, parfois grandiloquents, avec un final dansant bienvenu. On peut considérer cette œuvre comme un chant du cygne du compositeur : une fois la Révolution venue, il ne compose plus que rarement, et seulement de brefs morceaux. Si ces pages de musique de chambre s’écoutent sans déplaisir, elles sont le reflet d’une époque révolue, que Catoire prolonge avec émotion et avec un raffinement que l’on peut apprécier. Les interprètes, Olivier Triendl au piano et le Quatuor Vogler (Tim Vogler et Frank Reinecke, violons ; Stefan Fehlandt, alto et Stephan Forck, violoncelle) s’investissent généreusement dans cette musique qui rappelle plus le XIXe siècle finissant que les nouveautés musicales à venir.

Réalisé à Berlin, dans la salle du Rundfunk en décembre 2019 pour le concerto, et à Cologne, au Deutschlandfunk en mai 2020 pour la musique de chambre, ce CD, au son bien équilibré, est avant tout d’un intérêt documentaire. Il rappelle avec opportunité le souvenir d’un compositeur méconnu, dont la place n’est pas au premier rang des compositeurs, mais dont le charme des mélodies et la capacité harmonique méritent le détour.

Son : 9    Livret : 9    Répertoire : 7, 5    Interprétation : 9

Jean Lacroix     

 

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