Grisant Haydn : les « Parisiennes » par l’Orchestre de Chambre de Paris

par

Joseph Haydn (1732-1809) : Six Symphonies « parisiennes », en ut majeur, sol mineur, mi bémol majeur, si bémol majeur, ré majeur, la majeur, Hob. I:82-87. Douglas Boyd, Orchestre de Chambre de Paris. 2018 & 2020. Livret en français, anglais. TT 135’33. NoMadMusic NMM078

À la Cité de la Musique de Paris, en mai 2019, Les Arts Florissants et William Christie se sont embarqués dans une intégrale des six Symphonies « parisiennes », étalée en concert sur trois années. Vient de paraître le tout dernier volume (unissant les 84e et 86e, captées en octobre-novembre 2019) de La Loge Olympique dirigée par Julien Chauvin, qui sauf erreur constitue le tout premier enregistrement de la série par un orchestre français. Mais la première intégrale publiée d’un orchestre français est celle de Douglas Boyd qui nous est parvenue voilà quelques semaines.

Pourquoi ce disque ? « C’est très souvent une découverte pour le public [...] Il est impossible de bien connaitre 104 symphonies ! Elles ne sont donc ni assez connues ni assez jouées » répond Douglas Boyd dans l’interview du livret. Qu’on voudrait les entendre plus souvent en salle, c’est certain ! Que ces six « Parisiennes » soient méconnues, voilà qui est douteux. Même si leur notoriété n’égale pas celle des douze Londoniennes, on compte de nombreux enregistrements, sous divers styles. Jalons traditionnels et charpentés : Leonard Bernstein (New York, CBS), Ernest Ansermet (Decca), Antal Dorati (Decca), Herbert von Karajan (Deutsche Grammophon), Kurt Sanderling (Berliner Sinfonie-Orchester, Eurodisc). Lectures plus dégraissées : Daniel Barenboim (English Chamber Orchestra, Emi), Neville Marriner (Philips), Yehudi Menuhin (Emi), Hugh Wolff (Saint Paul Chamber Orchestra, Teldec), Charles Dutoit (Sinfonietta de Montréal, Decca). Et des approches HIP : Frans Brüggen (Philips), Sigiswald Kuijken (Virgin), Roy Goodman (Hanover Band, Chandos), Bruno Weil (Tafelmusik, Sony), Roger Norrington (Zurich Chamber Orchestra, Sony), Thomas Fey (Heidelberger Sinfoniker, Hänssler), Nikolaus Harnoncourt (DHM)… Cette liste non exhaustive montre une discographie déjà copieusement servie.

En tout cas, ces joyaux du Classicisme exigent de la discipline, et révèlent à nu la virtuosité (et les carences) d’un orchestre. « Dans Haydn, il n’est rien qu’on puisse dissimuler ou couvrir » disait un célèbre chef italien (The Maestro, The Life of Toscanini, Howard Taubman, Simon and Schuster, New York 1951, p. 286). Couronnant une collaboration de cinq années, Douglas Boyd et l’Orchestre de Chambre de Paris n’ont rien à cacher au contraire : leur interprétation nervurée rayonne de finesse, de transparence, de franchise. La Poule ouvre le programme par un élan lapidaire et rugueux qui renvoie à l’esthétique Sturm und Drang. Les Allegros sont transportés par des tempi rapides et une nette vigueur d’impulsion. La réactivité épidermique des basses, les cordes lubrifiées garantissent la fluidité du discours. Les Menuets sont particulièrement réussis, d’un allant irrésistible qui ne demande qu’à chanter. Les dosages dynamiques contribuent à la richesse et la sensibilité du propos. Les timbres des vents colorent agréablement quoique moins typiques qu’avec les instruments d’époque (on est assez loin de la théâtralité d’un Harnoncourt et son Concentus Musicus). Ce qui n’empêche pas une caractérisation soignée et vivifiante : par exemple l’introduction en rythme pointé de « La Reine », suivie d’un trépidant vivace. Et le Finale de « L’Ours » qui claudique sur des charbons ardents, ne sachant sur quel pied danser.

À défaut d’interroger l’imagerie, de creuser les humeurs, le résultat émoustille ! Voici qui referme un sémillant double-album où le chef écossais inculque une santé volontiers athlétique. Voire enivrant. La contagieuse ardeur de cette prestation nous offre un portrait bon pied bon œil de Haydn qui, s’il était passé par ce Paris mondain qui lui commanda ces œuvres, n’aurait pas snobé le vignoble escarpé de la Butte Montmartre.

Son : 9 – Livret : 6 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

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