Herbert Blomstedt et le Gewandhaus dans une fervente Première de Brahms

par

Johannes Brahms (1833-1897) : Symphonie No 1, Ouverture tragique. Orchestre du Gewandhaus de Leipzig – Herbert Blomstedt. 2019. 62’32. Livret en anglais et en allemand. 1 CD Pentatone. PTC5186759

Dans le livret, Herbert Blomstedt dit, avec des mots très émouvants, combien il se sent « béni » de pouvoir, en inaugurant cette intégrale des symphonies de Brahms avec « les musiciens les plus extraordinaires, les plus sensibles et les plus imaginatifs [qu’il] puisse souhaiter », honorer sa mission de musicien qui est (et il cite Schumann) « d’apporter de la lumière dans les profondeurs de l’âme humaine », tout particulièrement « alors que le monde entier risque de perdre son âme ».

Et en effet, ce qui frappe dans cet enregistrement réalisé à l’occasion de concerts publics (mais sans les applaudissements, ce dont on ne se plaindra pas) au Gewandhaus de Leipzig, c’est la chaleur qui s’en dégage. À 92 ans, Herbert Blomstedt donne toute sa foi, tout son amour pour cette musique allemande, et fait sonner avec une majestueuse générosité cet orchestre légendaire (fondé en 1781, c’est le plus ancien d’Europe) avec lequel il entretient une relation privilégiée pour en avoir été le directeur musical de 1996 à 2005.

Ceux qui sont hostiles à Brahms parce qu’ils le trouvent trop épais, trop romantique, « d’une médiocrité auto-boursoufflée » pour reprendre le mot de Tchaïkovski, ne seront sans doute pas touchés par la grâce à l’écoute de cet enregistrement. En effet, Herbert Blomstedt s’inscrit dans cette tradition d’un Brahms expansif, effervescent, charnu. Mais ceux qui sont sensibles à l’art de Brahms, indéniable quoique les esprits vachards en disent (de ce point de vue la palme revient sans doute à Britten : « Je ne déteste pas uniquement le mauvais Brahms ; je supporte encore moins le bon Brahms »), seront conquis par cette Première Symphonie.

L’introduction Un poco sostenuto est ample et plus détendue dans l’esprit que ce que l’on entend souvent ; nous sentons que ce n’est pas un drame qui se prépare. Et en effet, l’Allegro proprement dit se déploie, plutôt paisiblement. Les bois sont presque pastoraux, les cuivres tout en rondeur et les cordes tout en douceur. Aucune mollesse ni statisme cependant ; l’énergie est bien là, mais le tempo est stable et nous sentons que l’orchestre est comme à la maison. Il prend un voluptueux plaisir sonore à jouer cette musique qui lui va si bien.

L’Andante sostenuto est merveilleusement recueilli. Le hautbois y est d’une très émouvante sobriété, et derrière nous entendons battre le cœur des cordes. Par moments la ferveur devient plus intense, mais nous restons toujours dans l’espérance. Le violon solo fait preuve de beaucoup de sensibilité, au-delà de la seule recherche du beau son.

Dans le Un poco allegretto e grazioso, la clarinette se permet d’être un rien nonchalante, bien canalisée malgré tout par des cordes qui restent attentivement dynamiques. La partie centrale est jouée sans aucune dureté malgré les accents, et le mouvement se termine avec douceur et délicatesse.

Place maintenant au complexe dernier mouvement. L’Adagio commence très sereinement, avant bien sûr de s’animer, mais sans jamais que ce soit angoissant. Nous y admirons les pizzicatos des cordes, d’une rondeur et d’une précision rares. Dans le Più andante, le solo de cor (inspiré à Brahms par un cor des Alpes) est étonnamment doux ; mais c’est surtout la flûte, altière, puissante et sans presque aucun vibrato, qui retient notre attention. Quant au choral, qui fait toujours son effet, il dégage une telle plénitude (avec un contrebasson parfaitement audible) que nous le redécouvrons. Vient enfin l’Allegro non troppo, ma con brio, avec son thème sorti tout droit de l’Hymne à la joie et qui a valu à cette symphonie le surnom bien réducteur de « Dixième Symphonie de Beethoven ». Nous retrouvons les mêmes qualités que dans le premier mouvement, avec une joie supplémentaire. Quand le « cor des Alpes » revient, il apporte une ardente luminosité, et toute la fin du mouvement est une longue apothéose, avec pour conclure un Più allegro qui tire sa force d’une énergie concentrée qui reste maîtrisée, sans déborder.

Cette Première Symphonie nécessite d’être écoutée attentivement. Certes il y a, çà et là, quelques nuances un peu appuyées. Mais ce qui, lors d’une première approche, peut paraître un peu statique, voire lourd, se révèle en définitive d’une très émouvante sobriété, et d’une réelle profondeur.

Le disque se termine par l’Ouverture tragique. N’aurait-elle pas été mieux à sa place avant la symphonie ? En concert, la question ne se serait pas posée. Mais au disque, c’est toujours un dilemme : capter d’entrée l’auditeur par la pièce principale (et il faut reconnaître que l’attaque de la Première Symphonie de Brahms mérite de surprendre), ou bien laisser le silence la suivre ? L’Ouverture tragique n’arrive peut-être pas ici dans les meilleures conditions pour elle... Même si l’on y retrouve les mêmes grandes qualités de direction, même si l’orchestre est toujours aussi somptueux, on ne peut en attendre la même intensité. À écouter, si l’on y tient, plutôt avant la symphonie.

Un enregistrement souverain, qui suscite sans doute davantage l’enchantement que l’admiration.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9 

Pierre Carrive 

 

 

 

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