Hervé Niquet : Le Messie de Haendel en état de grâce

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Georg Friedrich HAENDEL (1685-1759) : Le Messie. Sandrine Piau, soprano ; Anthea Pichanik, mezzo-soprano ; Kresimir Spicer, ténor ; Bozidar Smiljanic, baryton-basse. Le Concert Spirituel, chœur et orchestre, direction Hervé Niquet. 2019. Livret en français, en anglais et en allemand. 117 minutes. Un DVD Château de Versailles CVS013.

L’infatigable Hervé Niquet, qui est aussi à l’aise dans le répertoire baroque que dans les partitions de la période romantique ou du XXe siècle, propose une splendide version du Messie de Haendel, somptueusement filmée en concert public en décembre 2018 dans le cadre solennel de la Chapelle Royale du Château de Versailles. Cette partition, que l’on ne peut pas vraiment, malgré son thème, qualifier de religieuse, et encore moins de liturgique, se rapproche plutôt du théâtre sacré. Sa division en trois parties et en une cinquantaine de fragments, le livret étant dû au mécène anglais Charles Jennens (1700-1773), n’en a pas moins de logiques composantes bibliques : la Nativité, la Passion, la Résurrection, l’Assomption et le Jugement. L’atmosphère générale, les textures sonores aux nuances subtiles, les ornements des airs, le goût pour le déploiement choral, l’exaltation stylistique, l’impressionnante architecture trouvent en Hervé Niquet et son Concert Spirituel, fondé en 1987, des interprètes idéaux. Le climat, animé par une conception dynamique qui ne traîne pas (moins de deux heures !), est enthousiasmant, la construction est claire, vibrante, à la fois souple et chatoyante, toujours équilibrée. Hervé Niquet ne cesse de relancer l’impression de légèreté et de fraîcheur qui se dégage des prestations des instrumentistes et de l’homogénéité des chœurs, littéralement transportés par la vie et le souffle que le chef insuffle à chaque instant. La caméra ajoute à la sensation que l’on éprouve, comme sans doute l’a vécue l’heureux public de ce moment de grâce, celle d’assister à la redécouverte d’un chef-d’œuvre qui possède un perpétuel potentiel d’étonnement et d’émerveillement, y compris dans le fameux Alleluia qui fait toujours son effet et qui déborde de passion et d’allégresse.

Cette réussite est due aussi à un plateau vocal très performant. A commencer par Sandrine Piau, qui n’en est pas à son premier essai dans Le Messie, y compris avec Niquet (récent CD chez Alpha). Elle ne cesse de démontrer sa capacité émotionnelle, sa spontanéité au service de la pureté du chant, avec une grande pudeur expressive. Elle est tellement à sa place que l’on s’incline devant tant de beauté sonore. Sa pratique de la musique baroque trouve ici, comme dans d’autres témoignages laissés sur disques, un accomplissement. Autre voix féminine, celle d’Anthea Pichanik qui a offert depuis cinq ans des prestations remarquées dans le domaine baroque. Elle aussi a déjà participé à d’autres aventures du Messie avec Hervé Niquet, en 2016 au Théâtre des Champs-Elysées et sur le même CD récent avec Sandrine Piau. Même si le registre grave est parfois limite, elle est à son meilleur dans chacune de ses interventions, avec d’impeccables vocalises au cours desquelles sa facilité fait merveille. Face à ces deux artistes françaises, le ténor Kresimir Spicer a belle allure. Il compte une vingtaine d’années de carrière au cours desquelles la période baroque a été très présente. Son timbre expressif et généreux, clair dans les aigus comme dans les passages en demi-teinte, ne souffre d’aucune faiblesse. Quant au baryton-basse Bozidar Smiljanic, qui a beaucoup presté à l’English National Opera, il s’est révélé aussi à l’Opéra de Francfort ; on le retrouve souvent dans des cantates de Bach, sous la direction de Masaaki Suzuki. Sa noblesse d’accents est sidérante, sa prestance sans grandiloquence écarte toute solennité creuse. 

Face à une telle prestation, on pourrait avoir un regret, celui de ne pas y avoir assisté. Mais rien n’est perdu : l’initiative de filmer ce concert magistral et de le diffuser est un cadeau fait à tous les mélomanes qui y trouveront un réel motif d’enthousiasme. Même si chaque participant est à féliciter, les applaudissements suprêmes reviennent à Hervé Niquet : sa façon de diriger est époustouflante. Par le geste, par le regard, par la flamme qu’il transmet à toute son équipe instrumentale et vocale, son sens du partage se traduit dans une efficacité palpable et, surtout, visible à chaque instant. C’est cela aussi, la force de l’image !

Son : 10   Livret : 10   Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix  

 

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