Imants Kalniņš, 50 ans de musique symphonique et concertante

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Imants Kalniņš (°1941) : Symphonies n° 1 à 7 ; Concerto pour orchestre ; Concerto pour violoncelle et orchestre ; Concerto pour hautbois et orchestre ; Santa Cruz. Marta Sudraba, violoncelle ; Peteris Endzelis, hautbois ; Chœur d’Etat « Latvija » ; Orchestre Symphonique de Liepāja, direction Atvars Lakstigala et Maris Sirmais. 2014-2020. Livret en letton et en anglais. 361.16. Un coffret de cinq CD Skani LMIC/SKANI 087.

A l’occasion des 80 ans du Letton Imants Kalniņš, le label Skani propose un panorama de son œuvre symphonique et concertante entre 1963 et 2015. Considéré comme l’un des créateurs les plus importants de son pays, mais peu connu chez nous, ce natif de Riga y étudie le piano et la composition au Conservatoire d’Etat et commence à écrire de la musique dès ses études. Il s’intéresse au théâtre, auquel il consacrera une grande partie de son activité, ainsi qu’au cinéma. La première moitié de son existence se déroule sous le régime soviétique, avec lequel il aura maints conflits. Il participe à la résistance intellectuelle : il fonde en 1984 l’ensemble rock 2xBBM qui se voit interdire des concerts par l’autorité russe. Ce qui ne l’empêchera pas d’écrire plusieurs centaines de chansons rock. Lorsque la Lettonie accède à l’indépendance, il est élu député au nouveau Parlement. Il conciliera dès lors activité artistique et politique. Il est aussi l’auteur d’une traduction du Coran en letton. L’intéressant livret du coffret (une vingtaine de pages) explicite en détails les étapes de sa vie, mélangeant adroitement les moments de la création musicale avec les événements historiques et sociaux qui l’entourent. Son catalogue comprend plusieurs opéras, dont le premier opéra-rock joué en Russie, des oratorios, des cantates, de la musique de scène, de théâtre et pour le cinéma, sept symphonies et quelques concertos. 

Si l’on tient compte de l’ordre chronologique de ses compositions (qui n’est pas celui adopté dans le coffret), on trouve un Concerto pour violoncelle écrit dès 1963, au cours de ses études. C’est une époque sombre pour la Lettonie, qui vit sous le joug soviétique, avec de fortes concentrations de troupes sur son territoire. Dans cette partition en un mouvement d’une petite vingtaine de musiques, le musicien exprime le désarroi d’un pays face à son avenir : que va devenir la Lettonie ? Des couleurs sombres et mélancoliques traversent cette page néoclassique, avec un violoncelle languissant et un douloureux thème folklorique qui tente en vain de répondre à cette question fondamentale. Dès l’année suivante, la Symphonie n° 1 offre un visage très différent : cette vaste construction en quatre mouvements dramatiques, denses et dynamiques montre l’influence de Prokofiev et surtout celle de Chostakovitch. Des échos romantiques y sont perceptibles, dans une forte atmosphère émotionnelle. L’orchestration est riche en contrastes et fait appel à une percussion saillante et à des cuivres ostentatoires. La douleur exprimée dans le Concerto pour violoncelle n’est pas évacuée, elle se traduit toujours par des moments obsessionnels et par une angoisse plaintive, qui se prolonge dans la Symphonie n° 2 de 1965 en trois mouvements, annonciatrice du penchant théâtral qui va vite se développer. Le Concerto pour orchestre de 1966 en fait foi, il illustre le côté sarcastique à travers des éclats de tambours et de cymbales. Kalniņš commence à produire des accompagnements pour l’ensemble Riga Pantomime, premier du genre, qui va connaître le succès dans toute l’URSS. La notice signale que le mime Marcel Marceau assista à une représentation qui l’impressionna. 

La Symphonie n° 3 en un seul mouvement en cinq parties, écrite en 1968, d’une durée d’un peu plus de quinze minutes, a un caractère plus léger que l’on peut qualifier de pastoral, avec des côtés dansants. Elle apparaît comme une parenthèse apaisée avant celle qui va suivre. Les encouragements d’Arvo Pärt, qui est devenu son ami, entraînent Kalniņš vers une autre voie, celle de la musique vocale et de la mélodie. Séduit par le rock, il se lance dans la chanson. Sa Symphonie n° 4 de 1973 en subit l’influence. D’une durée qui approche l’heure, cette partition en quatre mouvements est initiée par une référence à une ballade rock. L’orchestre est enrichi d’une guitare basse et d’une batterie assurant à l’ensemble une dynamique impressionnante et des crescendos rythmés, avec les stridences d’une sonnerie d’alarme et un climat de séguedille dans le troisième mouvement. L’ambiance générale est grandiose, parfois frénétique. Pour le final, le compositeur choisit d’introduire des poèmes d’amour de l’Américaine Kelly Cherry (°1940), ce qui déplait aux autorités. Lors de la création, cette partie vocale sera confiée aux vents et aux cordes, mais les accents rock seront maintenus et joués par les meilleurs musiciens du genre de l’époque. La version originale, avec les poèmes, sera créée à Detroit en 1977 par Neeme Järvi ; dans le présent coffret, il s’agit de la version instrumentale. L’auteur du livret, Imants Zemzaris, dont on lira avec intérêt les précieux ajouts et précisions, estime que cette symphonie, qui unifie le classique au populaire, donne au rock des lettres de noblesse. On le suit aisément dans cette proposition esthétique. La Symphonie n° 4 figure sur le premier CD, juste après une courte page extraite d’une bande sonore d’un film de la même année 1973, où l’on entend une guitare électrique.

La Symphonie n° 5 de 1979 ne contient aucun texte, elle est vouée à l’orchestre dans un grand geste dramatique, à la manière des deux premières symphonies. Kalniņš y introduit des éléments de folklore et des références de chansons populaires confiées aux instruments, notamment à la clarinette qui chante dans un registre très aigu ou au basson, dans une atmosphère lente. Des réminiscences de musiques de scène y sont introduites. Les années qui suivent vont être marquées par l’expérience du groupe rock 2xBBM et par l’intérêt de plus en plus marqué du musicien pour la politique. Après l’indépendance de la Lettonie en 1991, il occupe des postes au Parlement, la Saeima, et s’occupe du Comité du Budget et des Finances. Il écrit sa Symphonie n° 6 en 2001, avec un chœur a cappella dans le Final, « Seigneur Jésus Christ, ne me laisse pas seul », prière répétée à plusieurs reprises en alternance avec des interludes instrumentaux. Cette partition à la profonde spiritualité, qui contient deux mouvements d’une intense méditation, aux rythmes irréguliers, avec des instruments qui ajoutent une note orientale, semble faire écho à un apaisement de la situation d’un pays meurtri par des années de domination. Elle s’inscrit comme un message de renouveau. 

Au cours de la deuxième décennie de notre siècle, Kalniņš compose en 2012 un Concerto pour hautbois aux arabesques harmonieuses et expressives. Trois ans plus tard, une brève page, Santa Cruz, destinée à une production scénique du même titre de l’œuvre de Max Frisch -écrite en 1946 par cet écrivain suisse alémanique engagé- fait briller l’orchestre de mille feux. En cette même année 2015, la Symphonie n° 7 voit le jour. Elle évoque des souvenirs d’enfance : une promenade, une marche de soldats, un orchestre de rue…, mais elle est aussi écrite à la suite de la traduction du Coran en letton par le musicien (des informations contradictoires circulent sur son éventuelle conversion à l’Islam), au moment où le texte de Michel Houellebecq Soumission, qui imagine l’élection à l’Elysée d’un homme politique musulman, est monté au Nouveau Théâtre de Riga. Elle apparaît, dans sa nudité orchestrale, comme un indice de peur face à un monde qui évolue entre perte d’amour et haine. Nous nous garderons d’y voir une réflexion potentiellement philosophico-religieuse pour mettre plutôt l’accent sur une partition pleine de frémissements et de questionnements. 

Quel bilan tirer de ce panorama symphonique ? Avant tout, la découverte d’un compositeur à l’écriture originale mais immédiatement accessible, qui, sans s’extraire du postromantisme ou du néoclassicisme, n’hésite pas à introduire dans son œuvre des éléments de modernité tirés de la culture populaire. Avec une incontestable réussite. La Symphonie n° 4 est un grand moment d’orchestre qu’apprécieront les amateurs d’espaces luxuriants, rythmés et spectaculaires, les accents rock venant se mêler à l’orgie instrumentale avec une force qui emporte la conviction. Mais le compositeur avait déjà imprimé sa marque dès les deux premières symphonies par un geste large et un art de la visualisation qu’il développera dans ses musiques pour la scène ou le cinéma. Chacune des autres symphonies, comme les concertos, indique un métier très sûr, une imagination créative capable de se renouveler et une réelle maîtrise instrumentale. On aimerait pouvoir écouter en concert, chez nous, l’une ou l’autre de ces œuvres, ici très bien servies par l’Orchestre Symphonique de Liepāja. Atvars Lakstïgala, qui a été à la tête de la phalange lettonne de 2010 à 2017 tout en occupant le même poste à l’Opéra National, dirige les cinq premières symphonies et le concerto pour violoncelle dans lequel Marta Sudraba se lance avec d’éloquentes effusions. Les autres pages sont l’apanage de Maris Sirmais ; c’est le hautboïste Peteris Endzelis qui est en charge des belles mélodies destinées à son instrument. Les deux chefs mènent ce programme copieux avec brio, panache et conviction. 

Son : 8  Notice : 10  Répertoire : 8,5  Interprétation : 9

Jean Lacroix

 

 

 

 

 

  

 

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