Iphigénie en Aulide au Théâtre des Champs-Elysées

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« Succès de larmes » selon le vocabulaire l’époque ? Vibrant triomphe plutôt au Théâtre des Champs-Élysées où le premier opéra en français du protégé et professeur de clavecin de Marie-Antoinette, Christoph Willibald Gluck, a été longuement applaudi.

Cette Iphigénie en Aulide s’inspire directement de la célèbre Iphigénie de Racine. Il se trouve que la pièce fut représentée à Versailles en 1674. La première tragédie lyrique ancêtre de l’opéra a, elle, été inventée un an plus tôt, en 1673, par Lully alors que Gluck séjournait à Paris... Heureuse conjonction ! Il se lance alors pendant plus de dix ans dans la quête d’une architecture sonore cohérente en elle-même, adossée à de grands chœurs et capable de produire « un pathétique ininterrompu » dépouillé de ballets, de récitatifs et de ruptures de tons.

Julien Chauvin, à la tête de son Concert de la Loge, s’empare de cette version concertante à bras le corps... au sens propre : sa gestuelle de sport de combat évoque irrésistiblement les caricatures de Franz Liszt déchaîné devant son piano. Ce qui pourrait passer pour des effets d’estrade cède devant d’évidentes qualités dramatiques. Dès l’ouverture, elles prennent l’auditeur à la gorge et ne le lâcheront plus. Les contrastes rythmiques et mélodiques dessinent reliefs et passions si bien que les tourments d’un père assassin, la colère d’une mère-louve, la déploration d’une victime, la vaillance guerrière d’un héros s’affrontent d’emblée. Si la linéarité du discours racinien se prête naturellement à ces déferlantes sonores, l’ensemble reflète également les préoccupations d’une époque de tâtonnements, d’inventions, d’instabilité. Plus encore, surgit une émotion « à double fond » qui devine la fin des Lumières, l’aube de la sentimentalité romantique et laisse entrevoir le chaos tectonique, intellectuel et moral à venir.

Loin des querelles musicales de la Cour de Marie-Antoinette, la forme univoque et le pathétique placent l’auditeur dans un contexte assez familier pour qu’il entre sans efforts dans une dynamique musicale secondée par une distribution aussi cohérente que brillante.

Tragédienne chevronnée, Stéphanie D’Oustrac (Clytemnestre), sauvage et altière, impose une ligne de chant très contrôlée. Magnifique ! Si, à ses côtés, la voluptueuse Judith van Wanroij (Iphigénie) manque de vraisemblance en jeune vierge, son chant ciselé révèle des trésors de délicatesse, frêle lumière qui irradie la noirceur environnante.

A commencer par Agamemnon dont on attend les déchirures, les tourments, les voltes-faces, partagé entre lâcheté, égoïsme et amour paternel. Tassis Christoyannis lui prête la rondeur de son timbre, une ligne vocale homogène mais il s’encalamine dans une expression trop uniforme. Le sacrificateur-devin Calchas (Jean-Sébastien Bou) fait preuve dans chacune de ses interventions de beaucoup d’éclat et d’autorité. Ses alter ego -le Chœur des Thessaloniciens « Non, non, nous ne souffrirons pas » A. II) comme celui des Grecs en écho « Non, non, nous ne souffrirons pas » (A. III)- sont confiés aux Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles. S’ils ne parviennent pas à susciter l’effet de densité ni de masses populaires assoiffées de sang indispensable à l’équilibre tragique, ils livrent au dénouement un chœur quasi liturgique de toute beauté.

Enfin, il faut déposer les armes aux pieds du bouillant Achille -formidable Cyrille Dubois- qui transcende des moyens vocaux sans particularité notable par une souplesse de ligne, un art des couleurs, des nuances, des rythmes, dispensé avec un à propos et surtout une sensibilité musicale sur le fil de l’épée.

Une très belle soirée.

Bénédicte Palaux Simonnet     .

Paris, Théâtre des Champs-Élysées, le 7 octobre 2020  

Crédits photographiques : Jean-Baptiste Millot



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