Jean-Efflam Bavouzet : Pleins feux sur des contemporains de Beethoven 

par

The Beethoven Connection. Joseph Wölfl (1773-1812) : Sonate op. 33 n° 3. Muzio CLEMENTI (1752-1832) : Sonate op. 50 n° 1. Johann Nepomuk HUMMEL (1778-1837) : Sonate n° 3 op. 20. Jan Ladislav DUSSEK (1760-1812) : Sonate op. 61, C 211. Jean-Efflam Bavouzet, piano. 2019. Livret en anglais, en allemand et en français. 82.34. Chandos CHAN 20128.

Dans une note du livret qu’il signe, Jean-Efflam Bavouzet rappelle que les quatre compositeurs choisis pour ce récital ont tous bien connu Beethoven et étaient également en contact entre eux, et précise que faire connaître leur musique est essentiel pour comprendre et apprécier plus finement le langage musical commun de l’époque. Bavouzet, qui a déjà enregistré des sonates de Beethoven et de Haydn, a opté pour ce que la couverture du CD présente comme « The Beethoven Connection », mettant aussi l’accent sur une évolution allant de la présence persistante du style mozartien chez Wölfl aux accents prémonitoires de Schumann ou Chopin chez Dussek. En cette année de commémoration du Maître de Bonn, approfondir son entourage ou ses contemporains n’est pas inutile. Pour les détails concernant les quatre compositeurs mis en valeur, dont on découvre des partitions écrites entre 1804 et 1807, on lira avec intérêt l’excellente notice très documentée de Marc Vignal.

Elève de Léopold Mozart et de Michael Haydn, Joseph Wölfl, choriste à la Cathédrale de Salzbourg avant de se rendre à Vienne puis à Varsovie, revient à Vienne en 1795. Ce virtuose reconnu donne de nombreux concerts et, en mars 1799, rivalise avec Beethoven au cours d’un duel pianistique organisé chez un aristocrate. On rapporte que ce pianiste aux mains de géant était capable d’improviser sur n’importe quel thème et de jouer des traits d’une insolente netteté. Il dédiera à Beethoven les trois sonates de son Opus 6. Ce compositeur d’opéras, de ballets, de mélodies et de musique pour orchestre ou de chambre a écrit la Sonate op. 33 n° 3 en 1805. Elle est encore très proche de l’esprit mozartien, avec un Allegro ludique, un Andante. Cantabile d’une élégance distinguée et un final enlevé. Cette partition pleine de sève et d’entrain a connu un enregistrement par Jon Nakamatsu chez Harmonia Mundi. Jean-Efflam Bavouzet en souligne toute la joie et le dynamisme.

Plus souple, plus lyrique, avec de grandes richesses harmoniques, la Sonate op. 50 n° 1 de Clementi (1804), qui ne figure pas parmi celles qui sont les plus choisies par les pianistes, est dédiée à Luigi Cherubini. Ses trois mouvements, tour à tour épiques puis légers dans leur développement, sombre, voire lugubre, avant un final coloré, prennent avec Bavouzet une dimension audacieuse, le pianiste faisant preuve d’une clarté et d’une précision expressive pleines de noblesse. On se souviendra d’un CD Warner de 2004 où Maria Tipo abordait cette sonate avec beaucoup de transparence, mais Bavouzet lui ajoute une densité que son ampleur réclame.

La Sonate n° 3 op. 20 de Hummel date des environs de 1807. Elle aussi proche de Mozart, elle n’hésite pas à puiser une citation presque textuelle de la Symphonie Jupiter pour le Presto final. Dans le premier mouvement, Hummel mélange les styles, passant d’un préromantisme poétique et sombre à un classicisme appuyé lorsque le tempo est plus agité. L’Adagio maestoso adopte le ton de la solennité apaisée. Même s’il existe d’autres versions, dont celle de Stephen Hough chez Hypérion prise dans un tempo global plus rapide, Bavouzet apporte beaucoup de soin à donner à cette belle partition toute l’essence expressive qu’elle contient. 

L’intensité et les inflexions que l’on qualifiera déjà de romantiques caractérisent l’écriture mélodique et harmonique de la douloureuse Sonate op. 61 de Dussek qui clôture ce superbe programme. Cette page de 1806/07 est une « élégie harmonique sur la mort de son Altesse Royale le Prince Louis-Ferdinand de Prusse » en deux mouvements, dont le premier s’ouvre sur une citation des Sept Paroles de Haydn, le Consummatum est. Son caractère lugubre (Lento patetico) se construit dans une tension dramatique qui aboutit à un Tempo agitato traversé d’étonnantes modulations, avant un final Tempo vivace plein de fougue syncopée. Dans sa note, Bavouzet souligne le fait que l’interprétation de cette sonate implique un choix entre le style classique et un langage déjà romantique avant la lettre. On constate qu’il réussit la synthèse et l’équilibre entre les deux.

Ce disque-portrait de quatre compositeurs du temps de Beethoven est complété de manière judicieuse par quelques minutes d’illustrations musicales au cours desquelles Bavouzet propose quelques courts passages des sonates de Clementi et de Hummel présentant des similitudes avec des sonates de Beethoven pour démontrer qu’en dépit de leurs différences, on retrouve pourtant ça et là chez ces compositeurs une tournure, un enchaînement harmonique ou une facture commune. Démonstration réussie ! Le Yamaha utilisé pour ce CD original et instructif, enregistré du 17 au 19 décembre 2019 au Potton Hall de Dunwich dans le Suffolk, bénéficie d’une belle et claire restitution sonore. Ce « Beethoven Connection » est annoncé comme premier volume. On attend la suite avec grand intérêt. 

Son : 9  Livret : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10 

Jean Lacroix 

 

 

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.