La magnifique sonorité d’un Arcadi Volodos ! 

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L’univers pianistique d’aujourd’hui est peuplé de stars médiatisées qui ne méritent pas la gloire internationale encensant leur virtuosité tape-à-l’œil. Pourquoi, sous nos latitudes, ne fait-on aucun cas d’un artiste russe de la trempe d’Arcadi Volodos, alors que l’on nous rebat les oreilles avec un Matsuev pachydermique ou un Lugansky anémié ? L’impact a été d’autant plus fort en l’entendant au Victoria Hall le 8 novembre, en remplacement de Murray Perahia malade.

La première partie de son programme était consacrée à Franz Liszt et à une part de sa production laissée de côté par les grands virtuoses. Le Sonetto 123 del Petrarca tiré du second cahier des Années de Pèlerinage baigne dans un lento rêveur s’innervant de pathétiques envolées pour l’agitato médian que la basse chantante finira par apaiser. La luguble gondola datant de 1883, l’année de la mort de Wagner à Venise, devient saisissante par cet usage de la pédale constituant le glas funèbre face à des sons feutrés recherchant leur assise tonale. D’autant plus émoustillante nous apparaît la première des Légendes évoquant la prédication de Saint François d’Assise aux oiseaux, suggérés par les volate de triples croches et les trilles roucoulants en une modernité pré-impressionniste que tempérera le majestueux sermon du ‘Povorello’. Par une main gauche peu articulée, prend forme la Deuxième Ballade en si mineur, débouchant sur un motif lyrique nostalgique qui hantera tout le développement orageux avant de servir de péroraison sereine à cette page inspirée datant de 1853.

En seconde partie, Arcadi Volodos présente un Schumann tout aussi fascinant avec deux pages des Bunte Blätter op.99, une Marsch en ré mineur voilée de deuil soutenant une section médiane plus intimiste puis une Abendmusik en si bémol esquissant un sourire sous une instabilité rythmique surprenante. Et le programme s’achève par l’Humoreske en si bémol majeur op.20, empreinte d’une nostalgie à fendre le cœur, laissant sourdre néanmoins un Sehr rasch und leicht primesautier. L’extrême délicatesse du toucher dans les sections lentes va de pair avec la précision du trait sur une basse grondante que pimentent de fluorescents accents. Face à un choral majestueux, la limpidité du jeu permet la confidence consolatrice que de brusques contrastes d’éclairage dramatisent, avant de rassembler les éléments disparates de la fantasmagorie en une péroraison grandiose. 

Devant l’indéniable qualité d’un art rappelant le mythique Horowitz des années soixante, le public hurle son bonheur ; et avec un modeste sourire, le pianiste enchaîne cinq bis, une Träumerei et un Vogel als Prophet de Schumann, le Troisième Moment Musical de Schubert et deux de ses transcriptions de pages baroques. Un saisissant interprète à réinviter au plus vite !  

Paul-André Demierre

Genève, Victoria Hall, le 8 novembre 2019

Crédits photographiques : Marco Borggreve

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