La mythique Scala de Milan et l’expérience de Riccardo Chailly aux Prem’s

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Nouveau festival symphonique de la Philharmonie de Paris, les Prem’s (inspirés des célèbres Proms – abréviation de « Promenade Concerts » – de Londres) rencontrent un franc succès. Pour le quatrième concert, après le Gewandhaus de Leipzig (dans deux programmes distincts) et les Berliner Philharmoniker, et avant l’Orchestre de Paris, les invités étaient la mythique la Scala de Milan, qu’il n’est pas besoin de présenter.

Ils venaient avec leur chef principal et directeur musical depuis 2015 (qui laissera la place, en 2026, à Myung-Whun Chung, bien connu du public parisien pour avoir été à la tête, de 2000 à 2015, de l'Orchestre philharmonique de Radio France) : Riccardo Chailly. La relation entre ce chef très populaire, et cette institution légendaire est très ancienne, puisqu’à l’âge de vingt ans, il y a plus d’un demi-siècle, il y avait été nommé assistant de Claudio Abbado. Et, de fait, leur complicité (même si bien entendu quelque cent choristes et quatre-vingt instrumentistes ne sont pas tous les mêmes) est flagrante.

Deux compositeurs d’opéra italiens étaient au programme : Giuseppe Verdi en première partie, Gioachino Rossini en seconde. Pour chaque opéra, des extraits : à une exception près, d'abord une pièce instrumentales, puis un, deux ou trois chœurs.

En ce dimanche après-midi, nous avons encore dans l’oreille l’exceptionnelle sonorité du Philharmonique de Berlin du concert du vendredi soir. Il est difficile de rivaliser. De fait, ce que donne à entendre l’Orchestre de la Scala n’est pas au même niveau : équilibre d’ensemble nettement en faveur des percussions et des cuivres, avec des voix intermédiaires souvent absorbées, et interventions solos moins incarnées. Il faut dire que Riccardo Chailly a aussi sa part de responsabilité, à ne pas réfréner l’énergie de certains instrumentistes. Et puis, il n’a visiblement pas le même talent qu’Andris Nelsons, l’avant-veille, pour laisser s’exprimer les personnalités des solistes. Pour autant, au vu du programme la comparaison a ses limites : l’opéra de Verdi et de Rossini, ce n’est pas du tout la même histoire qu’une symphonie de Mahler !

Le concert commence avec les couleurs populaires de La battaglia di Legnano. Après la Sinfonia d’ouverture, qui nous a donc permis de nous faire à cette nouvelle sonorité d’orchestre, place aux chœurs « Viva Italia! Sacro un patto » et « Plaude all’arrivo Milan dei forti », qui permettent d’entendre deux visions très genrées du patriotisme : le masculin, viril et martial (avec les voix d’hommes du chœur d’une puissance impressionnante), suivi du féminin, plus délicat bien entendu (avec des voix de femmes qui, quand elles en ont l’occasion, ne sont pas en reste du point de vue du volume sonore).

Ambiance plus dramatique avec I due Foscari. Dans le Prélude, même si l’on pourrait rêver de nuances plus abouties de la part de Riccardo Chailly, l’orchestre sonne tout de même plutôt bien. « Silenzio, mistero » manque de mystère dans les piano, et devient dur dans les forte, avec des percussions et des cuivres tonitruants.

Avec La Traviata, nous passons à la tragédie. Le Prélude à l’acte I fait entendre une fort belle sonorité de cordes, mais on ne sent pas toute la douleur intérieure qui s’installe dès le début et perdure en toile de fond tout au long de l’ouvrage. Dans « Si ridesta in ciel l’aurora », suivi des chœurs des Gitanes puis des Matardors (« Noi siamo zingarelle » et « Di Madride noi siam mattadori »), la Scala est bien sûr à son affaire ! Néanmoins, le chœur au complet, quand il chante forte, est plus spectaculaire que poignant.

La partie Verdi se terminait avec Otello, l’un de ses derniers opéras. En l’absence d’introduction orchestrale, c’est Ballabili, le ballet composé pour la reprise à l’Opéra de Paris et inséré dans l’acte III, qui permet à Riccardo Chailly de faire admirer son aisance, et à l’orchestre sa virtuosité : le résultat est remarquable. Le chœur s’ajoute pour rendre pleinement justice à l’étonnant « Fuoco di gioia! », plein d’effets, en particulier avec son orchestration pétillante et colorée. Et enfin, juste avant l’entracte, l’émouvant et très réussi « Dove guardi splendono ».

La deuxième partie est donc consacrée à Rossini. Pour commencer, La gazza ladra, avec sa Sinfonia d’ouverture, jouée avec brio (malgré quelques imperfections dans les solos de vents), mais avec des percussions décidément trop présentes (et en stéréo, puisqu’ici, le choix a été fait de placer les deux caisses claires, avec leurs célèbres roulements, de part et d’autre de l’orchestre). Tout est quelque peu mécanique. On a déjà entendu ces fameux crescendos Rossini plus ébouriffants. Le terrible « Tremate, o popoli » perd de sa force avec un orchestre largement couvert par le chœur.

Il en est de même avec le festif « Ergi omai la fronte altera » de Semiramide (seul ouvrage qui n’est pas introduit par une pièce instrumentale), qui ne manque cependant pas d’énergie.

Pour terminer, retour au patriotisme du début, avec Guglielmo Tell et le morceau de bravoure de tous les orchestres : la Sinfonia d’ouverture, véritable poème symphonique. Tout comme l’ensemble de l’orchestre, le violoncelle solo, Sandro Laffranchini, qui a une partie tellement importante au début, s’en tire très honorablement. Mais Riccardo Chailly n’en rend pas la tension sous-jacente. Les couleurs sont là, mais cela manque de nuances, de phrasé, de souplesse, de mystère, de suspens. C’est brillant, mais pas réellement héroïque. Pour finir, le printanier et joyeux « Passo a tre e Coro Tirolese », où chœur et orchestre (c’est lui qui aura le dernier mot) rivalisent de bonne humeur, garantissent la débordante adhésion d’un public déjà tout acquis.

En bis, nous restons dans Guglielmo Tell avec « Cinto il crine di bei fiori ». Malgré l’insistance du public, il n’y en aura pas d’autre. Riccardo Chailly pointe son index sur sa montre, et s’en va.

Paris, Philharmonie (Auditorium Pierre-Boulez), 7 septembre 2025

Pierre Carrive

Crédits photographiques :   Antoine Benoit-Godet / Cheeese

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