La Symphonie n° 1 d’Antonín Dvořák est de retour à Brno

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Antonín Dvořák (1841-1904) : Symphonie n° 1 en ut mineur op. 3 en ut mineur « Les Cloches de Zlonice » ; Bagatelles op. 37 (arrangement pour orchestre de chambre par Dennis Russell Davies). Filharmonie Brno, direction : Dennis Russell Davies.  2020. Notice en tchèque, en anglais et en allemand. 67'50. FB003.

Avec, en couverture de pochette, le curieux choix tristounet d’une photographie pluvieuse, la Philharmonie de Brno propose, sous son propre label, un hommage à Dvořák. Cet enregistrement de juin 2020 peut se targuer d’être en quelque sorte l’écho lointain de la création, le 4 octobre 1936, de la Symphonie n° 1 du maître tchèque par l’Orchestre du Théâtre Provincial de cette cité morave dirigé alors par Milan Sachs (1884-1968). Une création qui a eu lieu 71 ans après l’écriture de l’œuvre et 32 ans après le décès du compositeur.

Le jeune Antonin, né au pied du château de Nelahozeves où son père, musicien amateur, tient une auberge (aujourd’hui transformée en un magnifique musée) et une boucherie à la fois, est envoyé en apprentissage à l’âge de treize ans à Zlonice, à 35 kilomètres de Prague, pour apprendre le métier paternel, mais aussi la langue allemande. Dans cette petite localité vit un instituteur qui est aussi pianiste, organiste et compositeur à ses heures. Il détecte très vite les dons du jeune arrivant qui passera là trois années, y jouant du violon et de l’orgue. A la fin de ce séjour, il va poursuivre sa formation à Prague. En 1865, il écrit en février et en mars une vaste partition orchestrale qui va connaître un curieux destin. Longtemps considérée comme perdue par le compositeur lui-même, elle est retrouvée en 1882 chez un libraire par un professeur qui porte le même patronyme que le musicien, mais sans lien de parenté. Découverte dans la succession de ce collectionneur en 1923, elle est créée à Brno treize ans plus tard. Singulier parcours pour la première symphonie d’un créateur d’à peine 24 ans qui n’a jamais entendu son œuvre en concert.

Le sous-titre attribué à la partition, Les Cloches de Zlonice, pourrait faire croire à un hommage aux années passées en ce lieu. Mais le manuscrit n’en porte pas la mention, et seule une note autographe du compositeur, sur laquelle l’indication figure en regard de la précision « en ut mineur », a incité à la nommer ainsi. Des commentateurs ont estimé que des effets apparaissent dans le premier mouvement et dans le Final, dus à des rythmes de cinq notes aux timbales qui peuvent faire penser au son des cloches, accréditant l’appellation que l’on considérera comme appropriée, et saluant une localité qui a accueilli un génie musical en devenir. On sait que le maître tchèque avait l’habitude de retravailler ses premiers jets d’écriture, de les élaguer, de les modifier, voire de les raccourcir et d’y faire des coupures. Cela n’a pas été le cas ici, vu les circonstances ; on est donc face à un matériel brut, qui montre à suffisance les fondements du développement futur du musicien, sa substance symphonique et son irrésistible sens de la couleur orchestrale. Du coup, maints interprètes se sont autorisés à effectuer eux-mêmes les modifications, amputant parfois l’œuvre de passages entiers. 

Pour l’orchestration, le compositeur a fait appel, en plus des cordes, aux flûtes, hautbois, clarinettes, bassons et trompettes par deux, à un piccolo, à un cor anglais, à quatre cors, à trois trombones et aux timbales. Le Maestoso initial, sombre et tourmenté, introduit par les cors, dévoile des rythmes bien soutenus. Ce mouvement est assez long et c’est ici que les coupures sont souvent pratiquées, notamment en ne faisant pas la reprise de l’exposition. On y entend déjà cette verdeur instrumentale qui sera une caractéristique de l’écriture. L’Adagio di molto s’inscrit dans une atmosphère rustique douce et paisible, mais aussi fervente et chaleureuse. Il est suivi par un Allegretto vif où l’on pressent toutefois une part d’incertitude. L’Allegro animato terminal avance de façon glorieusement dramatique et résolue, ajoutant un accent percutant à une partition en phase de recherche, mais qui fait bien augurer d’un avenir symphonique de premier plan.

A la tête de la Philharmonie de Brno, formation d’excellent niveau qui existe depuis 1956 et a connu à sa tête des personnalités comme Bakala ou Mackerras, on trouve l’Américain Dennis Russell Davies (°1944), qui en est le directeur artistique depuis la saison 2018-19. Également pianiste, ce chef a dirigé plusieurs orchestres européens depuis 1990 : Opéra de Stuttgart, Opéra de Bonn, Radio de Vienne, Orchestre Bruckner de Linz, Orchestre Symphonique de Bâle… Sans soulever l’enthousiasme, il empoigne la partition et la porte dans un élan d’une vaste ampleur, dans un tempo mesuré qui a tendance à alanguir quelque peu les aspérités instrumentales d’une orchestration nerveuse. Il arrive toutefois à maintenir l’attention tout au long d’un parcours qui semble mieux lui convenir dans les deux derniers mouvements, plus burinés et enlevés avec énergie, l’Allegro animato étant réduit de quelques mesures. Les pupitres de la formation de Brno, dont la qualité est à souligner, servent la conception du chef, plus compacte qu’affinée.

La concurrence est rude pour la Symphonie n° 1. On continuera à préférer à cette nouvelle gravure des versions plus anciennes, celle d’István Kertész avec le London Symphony Orchestra en 1966 (Decca), celle de Vaclav Neumann avec la Philharmonie Tchèque en 1970 (Supraphon), celle d’Otmar Suitner en 1981, avec une Staatskapelle de Berlin en état de grâce dans une intégrale de rêve (Berlin Classics) et, plus encore, celle de Rafael Kubelik, inégalable de majesté et d’animation permanente avec le Philharmonique de Berlin en 1973, qui s’offrait à ce chef inspiré comme un écrin de luxe (DG). Mais tout cela est la plupart du temps intégré à des coffrets d’intégrales. En disque séparé, Dennis Russel Davies peut par contre se positionner comme une intéressante alternative moderne, d’autant plus que le couplage propose un élégant arrangement par lui-même des cinq brèves Bagatelles op. 47 de 1878. Il leur apporte toute la fraîcheur mélancolique populaire qu’elles contiennent.

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 8

Jean Lacroix      

 

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