Lamentation, exotisme et flamboyance

par
Altinoglu

C'est un orchestre de La Monnaie en toute grande forme qu'a dirigé son nouveau directeur musical, Alain Altinoglu. Programme hybride, vaguement relié à l'actualité lyrique de la maison : Takemitsu, Saint-Saëns, Janacek. Peu importe, le concert fut superbe.

Ecrit en 1957 à la mémoire de son mentor, le compositeur Fumio Hayasaka, le Requiem pour cordes de Toru Takemitsu se déroule à la manière d'une lente déploration, un peu grise ; elle contient de beaux solos d'alto (Paul De Clerck) et se termine poétiquement  par un joli trait de violon. Rupture complète d'atmosphère avec le Cinquième concerto pour piano et orchestre "Egyptien" de Camille Saint-Saëns (1896), concerto très régulier sur les podiums actuels. Le formidable pianiste américain Nicholas Angelich, Parisien d'adoption, prend la partition à bras le corps, dans un jeu "tutta forza" qui conviendrait peut-être mieux à Prokofiev. Cette virtuosité ébouriffante contraste avec la direction tout en finesse d'Altinoglu, dont l'orchestre s'époumone à suivre le pianiste. Les choses s'arrangent dans le remarquable - et surtout très original - andante, célèbre pour ses recherches de sonorités inspirées de mélismes orientaux notés lors des nombreux voyages de Saint-Saëns : l'atmosphère envoûtante est bien rendue par un Angelich en état de grâce, et cette fois fondu dans l'orchestre au lieu de le dominer. La brusquerie reprit ses droits dans le brillant finale. Angelich, dans une parfaite entente avec l'orchestre (quels beaux cors !)  et sans se soucier d'une éventuelle norme de décibels, conduisit le concerto à sa fin, avec une force de frappe toute puissante. Impressionnant. Après une pause bien méritée, le public, nombreux et passionné, se vit gratifié de la splendide Sinfonietta de Janacek. Cette oeuvre, aimée et attendue, est encadrée par une fanfare supplémentaire de onze musiciens : trompettes, trombones et tubas. Si c'est cet éclat cuivré que l'on retient d'emblée, il ne fait pas oublier - et ce fut tout le talent d'Altinoglu de l'évoquer - un admirable velouté des cordes, des flûtes déchaînées et une harpe délicate et en même temps très présente (Leen Van der Roost). Cet amalgame réussi de sons enivrants est caractéristique de l'orchestration du compositeur, et en constitue toute la richesse, toute la beauté. Se démenant comme un beau diable, le chef en a livré une version survoltée : un magnifique moment de force et de puissance sonore !
Bruno Peeters
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts, le 18 avril 2017

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