Le Clavier bien tempéré par Piotr Anderszewski : la pureté de Bach

par

Jean-Sébastien Bach (1685-1750) : Le Clavier bien tempéré, extraits du Livre II (Préludes et Fugues Nᵒˢ̊ 1, 12, 17, 8, 11, 22, 7, 16, 9, 18, 23 et 24). Piotr Anderszewski, piano. 2019-2020. 78’08. Livret en anglais, en français et en allemand. 1 CD Warner 0190295118754. 

Piotr Anderszewski est assurément l’une des personnalités les plus attachantes, et les plus profondes, parmi les pianistes actuels. Il faut absolument voir « Piotr Anderszewski - Voyageur intranquille », le film que Bruno Monsaingeon lui a consacré en 2009 (quelques années après l’avoir filmé avec une virtuosité de cinéaste parfaitement en phase avec celle du pianiste, dans d’époustouflantes Variations Diabelli de Beethoven). On y découvre un être humain d’une immense sensibilité, tout en générosité, habité par la musique d’une façon tellement communicative que nous avons l’impression de rencontrer Chopin et Papageno en chair et en os !

Sa discographie est déjà riche d’une vingtaine de titres, nettement dominée par Beethoven, Mozart... et Bach, dont c’est ici le quatrième album qui lui est entièrement consacré et que l’on retrouve également dans des CD avec d’autres compositeurs. Nous disposons ainsi des enregistrements par Piotr Anderszewski de l’Ouverture dans le style Français, de la Suite française N° 5, des Suites anglaises Nᵒˢ̊ 1, 3, 5 et 6, et des Partitas Nᵒˢ̊ 1, 2, 3 et 6).

Dans un entretien à Crescendo-Magazine, Piotr Anderszewski présente ce nouveau disque : une sélection de Préludes et Fugues du Clavier bien tempéré. En effet, la pochette annonce « Well-Tempered Clavier », sans le « The » qui indiquerait l’œuvre intégrale, laquelle consiste en deux livres de vingt-quatre Préludes et Fugues chacun. Pour cet album, enregistré en deux sessions éloignées de quelques mois, et sur deux pianos différents (ce que la pochette ne mentionne pas), le pianiste polonais a choisi douze pièces du Livre II. Nous avons donc, en réalité, seulement un quart du Clavier bien tempéré, mais dont les Préludes et Fugues sont savamment choisis, et organisés, comme il l’explique dans le texte du CD : « L’idée sous-jacente est de créer un sens du drame qui suggérerait un cycle : douze caractères qui se reflètent, qui conversent ensemble. » Pour lui, ce sont les fugues qui vont être ces sujets de conversation : « Je suis convaincu qu’afin de révéler toute la rigueur et la beauté d’architecture de ces morceaux, il faut emmener ces différents caractères à partir de la première voix qui introduit chaque fugue, du tout début jusqu’à la toute fin, d’une manière aussi implacable que possible. »

Ce qui frappe d’emblée dans cet enregistrement, et qui ne nous lâchera pas pendant 78 minutes, c’est l’extrême douceur que met Piotr Anderszewski dans chaque prélude, ce qui n’est pas tout à fait inhabituel, mais aussi dans chaque fugue, ce qui est nettement moins attendu. Cela ne veut pas dire, bien entendu, que ces fugues soient sans énergie ; certaines sont plutôt fières ou altières (do majeur, mi bémol majeur, si majeur), plutôt joueuses ou spirituelles (fa mineur, fa majeur, sol mineur, si mineur) mais même dans celles-là nous revenons toujours, dès que c’est possible, à l’état d’esprit paisible qui prédomine. Et dans celles qui conservent ce caractère de douce sérénité (la bémol majeur, mi majeur) ou d’extrême tristesse (ré bémol mineur, si bémol mineur, sol dièse mineur) sans que, d'ailleurs, la frontière entre les deux soit toujours nettement établie, Piotr Anderszewski s’y montre bouleversant de tendresse et de sensibilité. Voilà des fugues qui n’ont rien de froidement intellectuel.

Quant aux préludes, ils sont un enchantement de chaque instant. Véritables moments de grâce, tous seraient à louer isolément. Avec, toujours, ces sensations de douceur, de tendresse, de sérénité, d’apaisement. Et quand un prélude commence de façon plus agitée (sol mineur, sol dièse mineur, si majeur), Piotr Anderszewski nous réserve toujours des plages où la tension redescend. 

Il y a du Glenn Gould (en tendant l’oreille, on l’entend même chantonner par moments) dans l’attitude de Piotr Anderszewski au piano. La lisibilité est impressionnante, les ornements d’une précision absolue, le toucher incroyablement varié, toujours d’une expressivité que l’on sent soigneusement choisie. Mais alors que le Canadien nous donne l’impression de nous permettre d’entrer dans son dialogue solitaire avec Bach, le Polonais s’efface, s’oublie, et nous avons le sentiment d’être en relation directe avec Bach.

Son : 9 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre Carrive

 

 

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