Le Concert Impromptu : Villa-Lobos et un grand bol d'air de musiques

par

Pilier de la scène musicale française, le quintette  à vents le Concert Impromptu fait paraître un superbe album consacré aux oeuvres pour vents d'Heitor Villa-Lobos (Coriolan). Crescendo Magazine rencontre  le flûtiste Yves Charpentier, également fondateur de ce groupe de musiciens qui se plait à ouvrir des horizons et s'affranchir des frontières.

Bien que Francophile et lié à Paris où il a vécu plusieurs années, Heitor Villa-Lobos ne figure que trop rarement au programme des disques et des concerts dans les pays francophones d’Europe, et sa musique de chambre est encore moins connue. Dès lors, qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer cet album qui lui est dédié ? 

Depuis longtemps, nous jouons la musique de Villa-Lobos en concert et le plus souvent par cœur. Pour l’apprendre et la domestiquer, nous avons donc « mastiqué » cette musique et nous l’avons métabolisée d’une façon très vivante grâce au lien entre les œuvres, les interprètes et le public. L’idée d’en graver un album est l’aboutissement naturel de cette expérience.

Villa-Lobos semble avoir un sens naturel pour composer pour les instruments à vents. Est-ce que cette science particulière lui vient de sa connaissance du chôros populaire ? 

Oui, bien sûr, Villa-Lobos ressent l’écriture pour les vents de manière simple, instantanée, sans doute parce qu’il était un peu clarinettiste mais aussi grâce à ses aventures de musicien de rue très tôt dans sa vie : il jouait de la guitare, chantait les fameux Chôros des différentes régions du Brésil, de Rio jusqu’au Nordeste. L’assurance de sa ligne mélodique et son instinct lyrique résultent peut-être aussi de l’alliance secrète entre l’éducation musicale rigoureuse de son père et le désir d’émancipation de Villa-Lobos à la mort de celui-ci.

Lors d’un entretien, le chef d’orchestre brésilien Isaac Karabtchevsky, qui a enregistré les symphonies de Villa-Lobos, nous déclarait que des musiciens brésiliens étaient une valeur ajoutée pour comprendre l’esprit de sa musique “l’interprète ne peut pas se limiter aux notes, il faut trouver ce qui est caché dans cette écriture foisonnante”. Qu’en pensez-vous ?  

Une interprétation de Villa-Lobos par des musiciens brésiliens recèle certainement une aura particulière, due à la compréhension par infusion -par la langue, par le regard, par la danse…- de la cosmogonie du Brésil. Isaac Karabtchevsky nous parle aussi de ce qui est caché dans cette écriture : nous avons en effet recherché les synesthésies, ce qui nous parlait au-delà du solfège et dans la relation de Villa-Lobos à l’écriture sophistiquée de Jean-Sébastien Bach.

Entre les œuvres de Villa-Lobos, vous avez placé des improvisations. Quelles en sont les raisons ? 

Ces improvisations ont été enregistrées à la fin de la séance de studio. Avec cette envie de décompresser, nous nous sommes mis à improviser et à nous amuser avec les petits appeaux de la jungle brésilienne achetés dans l’état du Spirito Santo en 2015. En réécoutant, nous avons pensé que ces facéties sonores pouvaient constituer un hommage et un écho à l’insconscient cosmique du grand Heitor…

Dans le digipack du livre, il y a cette citation : “un pied dans l’académie et vous êtes déformé”. Quel est le sens de cette phrase pour vous ? 

Villa-Lobos est habité et n’a manifestement besoin d’aucune école. Il est de ceux dont l’énergie vitale, la rage de vivre et de créer fusionnent avec l’artisanat de la composition. Ainsi, à l’instant où se dresse un semblant de règle « académique », l’idée d’être déformé et de perdre son inspiration spontanée impose-t-elle une riposte intérieure, mépris et refus souverain d’un génie dionysiaque devant la contrainte.

A regarder votre discographie, l’ensemble le Concert impromptu semble aimer particulièrement les projets qui racontent des histoires. La narration est-elle importante pour vous ? 

Le Concert impromptu adore naviguer, voyager, partager, rencontrer les musiques et les musiciens par-delà les époques et les frontières ; Jean-Philippe Rameau côtoie parfois un gamelan javanais, Arnold Schönberg rencontre Frank Zappa. Pour autant, avons-nous besoin d’un carnet de voyage ? Oui, pourvu que l’histoire et ses pluriels poétiques, c’est-à-dire les diverses manières de la raconter, ouvrent sur un jeu d’équilibriste entre figuration et abstraction, vers l’onirisme et l’inattendu. Un programme d’album ou de concert suit donc une dramaturgie pensée et libre, avec un esprit d’à-propos et d’impromptu à l’égard du public. 

Dans la biographie de l'ensemble, vous revendiquez vous "affranchir des étiquettes". Cette action transgressive est-elle si essentielle dans le monde musical actuel ? 

En effet, le concert impromptu souhaite servir la musique à l’endroit de l’œuvre et non du signataire qui définit l’étiquette, autrement dit, une marque. Notre transgression s’exerce au regard des dogmes du marché de la musique savante occidentale où s’accumulent les préjugés, les clichés, les pseudo-évidences : « le baroque c’est beau, le contemporain c’est chiant, le classique c’est pour les vieux », autant d’assertions dont on peut permuter les termes de façon ironique. Il est crucial pour nous d’opérer la distinction entre la qualité intrinsèque d’une œuvre et l’effet d’une signature. Nous sommes transgressifs dans la mesure où nous voulons promouvoir des œuvres que nous découvrons, redécouvrons ou créons et souhaitons jouer -dans la représentation que nous estimons intéressante- sans avoir peur que ça ne s’achète pas.

Est-ce que vous avez déjà un autre album, ou une histoire musicale, en projet ?  

Oui, nous sortons bientôt un double album en fraternité artistique avec un compositeur de jazz contemporain, Julien Roux -une sorte d’ermite inconnu-, aussi guitariste électrique. Nous avons pérégriné avec lui en France, dans un Musée de préhistoire où nous avons créé une de ses œuvres « Comme la foudre sur les os » et au Congo Brazzaville où nous avons joué « Mystique de l’eau ». Ces deux titres sont adoubés par le jazzman Didier Levallet qui signe un avant-propos : sortie officielle auprès du label Coriolan à l’automne 2021.

Le site de l'ensemble : Le Concert Impromptu : https://le-concert-impromptu.com

  • A écouter : 

Heitor Villa-Lobos (1887-1959) : Works for wind instruments. Le Concert Impromptu. Coriolan. COR 202003.

 

 

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

Crédits photographiques : Le Concert Impromptu / DR

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.