Le MythenEnsembleOrchestral réenchante la Quatrième Symphonie de Mahler

par

Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie N° 4 (arrangement pour ensemble de chambre par Klaus Simon) ; Artur Schnabel (1882–1951) : Lieder Op. 11 Nᵒˢ̊ 2, 4 & 7 et Op. 14 Nᵒˢ̊ 4 & 6 (arrangement pour ensemble de chambre par Graziella Contratto). Rachel Harnisch, soprano ; MythenEnsembleOrchestral ; Graziella Contratto, direction. 2016. 69’34. Livret et textes chantés en anglais, en français et en allemand. 1 CD Schweizer Fonogramm LC91357 

Le MythenEnsembleOrchestral est un ensemble instrumental suisse, à mi-chemin entre la formation de chambre et l’orchestre. Il a été créé en 2009 pour un concert-hommage (avec, déjà, la Quatrième Symphonie de Mahler) au célèbre pianiste Artur Schnabel, qui était également compositeur et que l’on retrouve ici avec 5 de ses Lieder. Cet ensemble s’inscrit dans la tradition de la Société d’exécutions musicales privées fondée par Arnold Schoenberg et ses disciples au sortir de la Première Guerre mondiale. Davantage que de jouer des œuvres dans les conditions du concert, le but était d’expliquer au public des œuvres pour grand orchestre avec des effectifs réduits. Il y avait de nombreuses répétitions publiques, qui étaient parfois, mais pas toujours, suivies d’une lecture intégrale de l’œuvre. Tous les courants de la musique contemporaine étaient représentés, ainsi que le montre cette liste des compositeurs les plus joués, par ordre décroissant du nombre de leurs œuvres étudiées : Reger, Debussy, Schoenberg, Bartók, Ravel, Stravinsky et... Mahler. Sa Quatrième Symphonie que nous propose le présent enregistrement s’inscrit donc bien dans cette continuité.

D'autant qu’elle est, des dix que nous a laissées Mahler, certainement la symphonie qui se prête le mieux à une telle réduction, avec sa texture particulièrement aérée, ses nombreux solos instrumentaux et l’utilisation de thèmes d’essence populaire. Par ailleurs, elle est sans doute celle qui a le caractère le plus intime. Cette transcription est l’œuvre de Klaus Simon, un spécialiste de cet exercice, et tout particulièrement pour Mahler puisqu’il a également réalisé de tels travaux sur les Cinquième, Sixième, Septième et Neuvième Symphonies, ainsi que sur le cycle Das Knaben Wunderhorn (dont il existe un enregistrement dirigé, déjà, par Graziella Contratto). L’orchestre de Mahler, l’un de ceux qui nécessitent le plus gros effectif (même s’il n’est pas aussi fourni pour cette Quatrième Symphonie que pour les autres), est ici ramené à 14 instrumentistes : 5 vents (flûte traversière qui joue aussi le piccolo, hautbois qui joue aussi le cor anglais, clarinette, basson et cor), 5 cordes (2 violons, alto, violoncelle et contrebasse), 1 piano, 1 accordéon et 2 percussions. Le résultat est absolument convainquant. Le côté enfantin et humoristique, caractéristique de cette symphonie, ressort de manière à la fois touchante et éclatante. 

Bien entendu, l’arrangement à lui seul ne serait rien sans l’interprétation. Elle est ici exemplaire ; non seulement dans sa réalisation technique (justesse, mise en place, équilibre...), qui est un prérequis, mais surtout dans l’atmosphère qui se dégage de tout cela. Chaque interprète semble s’est emparé de toutes les caractéristiques de son instrument, jouant sa partition comme s’il relatait cette symphonie de son propre point de vue, tout en se fondant dans le groupe afin que tous racontent bien la même histoire.

Le premier mouvement fait irrésistiblement penser à un kaléidoscope (surtout avec cette prise de son d’une précision étonnante), mais dont l’image initiale resterait compréhensible. Le format proche de la musique de chambre permet à chacun de s’exprimer en toute liberté, et cela nous vaut de poignants moments. 

Mais attention, quand Mahler grince, comme dans presque tout le deuxième mouvement, le rire devient sarcastique, et le MythenEnsembleOrchestral obtient des sonorités tranchantes qui font froid dans le dos. 

Quant au mouvement lent, nous sommes impressionnés par l’engagement des musiciens, sous la direction de Graziella Contratto. Elle sait ménager une progression spectaculaire. Comme si nous assistions à un très long réveil qui, partant d’une intériorité calme et diaphane, ne serait peut-être d'ailleurs jamais tout à fait atteint, tant les sommets, tout tonitruants soient-ils, restent inquiétants, à la manière de cauchemars ; puis nous revenons au sommeil.

Et c’est le miracle du dernier mouvement. Rachel Harnisch, avec sa voix claire, tour à tour tendre et joyeuse, y est palpitante. Et l’accompagnement du MythenEnsembleOrchestral ponctue avec une délicatesse infinie ce voyage dans « la vie céleste ».

L’album se termine avec 5 courts Lieder d’Artur Schnabel (bien plus célèbre comme pianiste que comme compositeur), écrits dans les années 1900 pour la contralto Therese Behr, qui deviendra son épouse quelques années plus tard. Écrits à l’origine avec accompagnement de piano, ils sont ici enregistrés dans un arrangement pour la même formation que la Quatrième Symphonie de Mahler, due cette fois à Graziella Contratto. Mais, alors que pour Mahler c’était une réduction, il s’agit maintenant d’une orchestration. 

L’utilisation de l’accordéon et de modes de jeux particuliers à certains instruments mettent en valeur la modernité de ces Lieder, qui se perçoit moins bien dans la version originale avec piano. La variété des timbres de l’accompagnement permet également d’accentuer les nombreuses ruptures de rythme de la partie chantée, annonciatrice des évolutions de la musique en ce début de XXe siècle. Nous retrouvons bien sûr les mêmes qualités d’interprétation de la part de Rachel Harnisch et du MythenEnsembleOrchestral, en tous points au diapason.

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre Carrive

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.