Le Quatuor Modigliani radieux dans trois chefs-d’œuvre de Haydn, Bartók et Mozart 

par

Joseph Haydn (1732-1809) : Quatuor Op. 76 N° 2, « Les quintes » ; Béla Bartók (1881-1945) : Quatuor N° 3 ; Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Quatuor K. 465 « Les dissonances ». Quatuor Modigliani. 2019. 71’. Livret en français, en anglais et en allemand. 1 CD Mirare MIR506.

Il n’est pas courant d’associer Bartók à Haydn et à Mozart. Surtout en le glissant au milieu ! 

Le Quatuor Modigliani a gagné sa réputation d’excellence notamment grâce à Haydn, auquel ils ont déjà consacré deux albums, dès 2008 (Op. 54 N° 1, Op. 74 N° 3 « Le cavalier » et Op. 76 N° 4 « Lever de soleil ») et en 2013 (Op. 50 N° 1, Op. 76 N° 1 et Op. 77 N° 1, Joker de Crescendo-Magazine). Bartók et Mozart ne sont pas non plus des premières au disque pour ces musiciens. En 2012, le  Quatuor Modigliani avait rendu hommage à de tout jeunes compositeurs, avec le N° 2 d’Arriaga (dix-huit ans), le K. 169 de Mozart (dix-sept ans) et le D. 46 de Schubert (seize ans). Bartók venait en 2015, avec le N° 2, déjà encadré par deux compositeurs : Dvořák (N° 12 « Américain ») et Dohnanyi (Op. 33 N° 3).

Le texte de présentation souligne le point commun entre les trois œuvres : « La liberté est moteur de la créativité. Voilà ce que soulignent ces trois chefs-d’œuvre de ce programme, chacun éclairant un moment charnière dans les vies de leurs créateurs où la page se tourne et de nouveaux horizons s’élèvent. » Avec ces œuvres, ce quatuor nous invite à participer à leurs découvertes. Et, de fait, elles recèlent toutes trois quelque chose d’universel. Bien que révélant toute leur complexité à l’analyse, elles restent absolument accessibles. L’utilisation constante des quintes (qui ont donné leur nom à l’œuvre) par Haydn, et du folklore par Bartók, donnent à leurs deux œuvres un côté presque familier. Quant au quatuor de Mozart, passées les déroutantes dissonances du début, il est d’une limpidité et d’une bonne humeur qui nous conquièrent dès la première écoute.

Le Quatuor Modigliani joue Haydn avec une évidence qui lui est propre. L'approche est une sorte d’idéal de ce qui peut être réalisé avec des instruments modernes, qui ne cherchent à copier personne, mais qui n’ont pas ignoré non plus les interprétations « historiquement informées ». La vigueur est là, mais maîtrisée. Ils ne refusent pas l’expression, mais toujours dans la sobriété. Le drame peut même pointer, mais sans pathos. L’humour ne manque pas non plus, mais tout en finesse. Et puis, quelle élégance, quelle légèreté, quel soin du détail, quel équilibre !

Entendu à la suite de ce sommet de classicisme, Bartók ne se perçoit pas comme d'habitude. Les Modigliani ne cherchent pas à en accentuer la rusticité, voire l’âcreté. Non qu’ils essayent d’arrondir les angles, loin de là. Les différents modes de jeu (avec le bois de l’archet, sur le chevalet, en faisant claquer la corde, en glissades...) sont bien caractérisés, enrichissant la palette des sonorités, sans paraître pour autant anecdotiques tant tout cela s’intègre intelligemment avec le discours d’ensemble. Leur jeu est d’une vivacité et d’une générosité communicatives, jamais austère. La dimension humaniste y est manifeste.

Après la débauche d’énergie de la fin du Bartók, les fameuses dissonances (qui elles aussi ont donné leur nom à ce quatuor) de Mozart sonnent avec une modernité encore plus stupéfiante ! Quelle superbe idée que d’avoir choisi cet ordre, pourtant étonnant sur le papier... Nous retrouvons bien sûr les mêmes qualités que dans Haydn, avec une tendresse supplémentaire, inhabituelle ici, mais tout à fait bienvenue. Sans manquer pour autant de vitalité, voici un Mozart jamais nerveux, mais affable, caressant même, chantant, en un mot : lumineux.

Tout cela avec une réalisation technique du plus haut niveau, une sonorité toujours engageante (avec toutefois une réserve sur la restitution de cette sonorité, pas tout à fait aussi chaleureuse que ce que permet l’acoustique du Théâtre de La Chaux-de-Fonds), une lisibilité et une justesse impeccables. Du très grand art, au service d’immortels chefs-d’œuvre.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Pierre Carrive

 

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