Le ténor tchèque Karel Burian admirablement ressuscité par Supraphon

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Karel Burian - Intégrale des enregistrements 1906-1913. CD 1 - Enregistrements avec orchestre 1906-1913 : Airs d’opéras de Richard Wagner (1813-1883), Bedřich Smetana (1824-1884), Karel Kovařovic (1862-1920), Václav Juda Novotný (1849-1922). CD 2 - Enregistrements avec orchestre 1906-1912 : Airs d’opéras de Carl Maria von Weber (1786-1826), Daniel François Esprit Auber (1782-1871), Giuseppe Verdi (1813-1901), Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893), Antonín Dvořák (1841-1904), Wilhelm Kienzl (1857-1941), Jules Massenet (1842-1912), Giacomo Puccini (1858-1924), Ruggero Leoncavallo (1857-1919). CD 3 - Enregistrements avec piano 1906-1911 : Mélodies populaires et traditionnelles tchèques ; lieder de Oskar Nedbal (1874-1930), Alois Ladislav Vymětal (1865-1918), František Picka (1873-1918), Jaroslav Novotný (1886-1918), Jan Malát (1843-1915), Eduard Tregler (1868-1932), Jindřich Jindřich (1876-1967), Zdeněk Fibich (1850-1900), František Neumann (1874-1929), Richard Strauss (1864-1949), Gus(tave) Edwards (1878-1945). Karel Burian, ténor ; Minnie Nast, Erika Wedekind, soprano ; Bedřich Plaške, baryton-basse. Bruno Seidler-Winkler, piano et direction d’orchestre ; Jindřich Jindřich, František Picka, piano. Enregistré entre 1906 et 1913 à Prague, Dresde, Berlin, Vienne. Édition 2020. Livret en anglais, tchèque. 1 coffret 3 CD Supraphon SU4287-2.

Sans doute actuellement moins connu que la soprano Emmy Destinn (1878-1930), sa compatriote contemporaine, probablement parce qu’ayant moins enregistré et ne chantant qu’en allemand ou dans sa langue maternelle, le ténor tchèque Karel Burian (1870-1924) est l’un des plus grands ténors des deux premières décennies du XXe siècle, en témoignent ses années à New York (Metropolitan Opera) et Dresde où brillent ses interprétations remarquables de Wagner et surtout de son rôle d’Hérode dans Salomé de Richard Strauss en première mondiale à Dresde le 9 décembre 1905. La popularité de Burian tenait sans doute à sa personnalité sensible et bohème dans les deux sens du terme, ce qui lui conférait une certaine sympathie, mais il pouvait être facilement offusqué s’il percevait la moindre remarque relative à sa petite taille, alors qu’envers Enrico Caruso, avec qui il rivalisait, il n’a pas hésité à écrire un texte ironique et à l’enregistrer en 1910 (il s’agit de la toute dernière pièce de ce coffret) : Grande détresse du ténor (Mon collègue « Carús »), sur la musique de la chanson Mon cousin Caruso déjà écrite par Gus Edwards « avec excuses à Leoncavallo et Verdi » et dont le refrain cite le célèbre air Vesti la giubba de Pagliacci. En revanche, Caruso, en grand seigneur, ne lui en a pas tenu rigueur : à la demande pourquoi il n’apparaissait pas dans les opéras allemands, Caruso a répondu : Je peux seulement chanter certaines choses, alors que Burian peut tout chanter. Toutefois, bien évidemment, cette sensibilité et cette fantaisie de Burian pouvaient également lui être nuisibles…

La carrière de Karel Burian se divise en trois périodes. La première prend fin à l’été 1902, lorsqu’il rompt son contrat à Budapest, en plein succès sans cesse croissant. La seconde s’étend de 1902 à 1913 : mondialement célèbre peu après son arrivée à Dresde, la décennie qui suit son apparition dans la première de Salomé peut être considérée comme l’apogée de sa carrière. Ses apparitions à New York, Londres, Paris et Bayreuth le placent parmi les plus grands de sa génération - c’est en toute logique l’époque de ses enregistrements. La troisième période commence en 1913, après sa dernière visite en Amérique et son retour en Hongrie, et durant laquelle ses interprétations reçoivent un nombre croissant de mauvaises critiques dans la presse… Karel Burian était célèbre non seulement pour son excellente voix, mais aussi pour ses caprices, son alcoolisme et ses habitudes de coureur de jupons. Il a également été impliqué dans un certain nombre de scandales à Budapest qui ont conduit à son déclin.

Au tout début du XXe siècle, l’enregistrement sonore encore primitif reproduisait relativement bien mieux la voix humaine que les instruments de musique, d’où la profusion de gravures de chanteurs de tout acabit, jusqu’à ce qu’un musicien, découvreur de talents, producteur et ingénieur du son de génie, Fred Gaisberg (1873-1951) grave en 1902 les premiers disques de Caruso, puis d’une multitude d’autres artistes d’exception, dont évidemment Karel Burian en 1911 à Prague : le résultat est une vingtaine des enregistrements de ce coffret, le reste duquel est partagé entre les techniciens du son Max Hampe et Franz Hampe, et grâce auxquels on découvre avec une clarté étonnante cette voix dite d’or ou d’airain selon l’un ou l’autre commentateurs de l’époque.

Dans la conception de ce coffret, le label tchèque Supraphon a intelligemment mis de l’ordre dans les quelque 72 faces de 78 tours gravées par Karel Burian, et il est vraiment regrettable que ne se trouve pas dans ce coffret « intégral » le tout premier enregistrement mahlérien de l’histoire du disque : Revelge, extrait de Des Knaben Wunderhorn, réalisé avec accompagnement de piano le 7 juillet 1911 à Prague pour la Gramophone Company, qui hélas n’a pas été publié, et dont les matrices (15560b et 15561b) n’ont apparemment pas survécu…

Supraphon a admirablement restauré au bon diapason tous ces fragiles et précieux incunables sonores avec amour et compétence, afin d’honorer de manière éclatante le 150e anniversaire du ténor tchèque. En outre, la plaquette contient une analyse très fouillée de la carrière de Karel Burian par Jan Králík, ainsi qu’une liste chronologique détaillée des enregistrements, ce qui rend cette édition très soignée exhaustive et définitive.

Son : 7 (historique acoustique) - Livret : 10 - Répertoire : 10 - Interprétation : 10

Michel Tibbaut

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