Le Trio Brahms complète son panorama de Trios à clavier russes

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Histoire du Trio à clavier russe, volume 3. Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) : Trio à clavier en do mineur, complété par Maximilian Steinberg. César Cui (1835-1918) : Farniente en ré majeur (Allegretto), version pour trio à clavier. Alexandre Borodine : Trio à clavier en ré majeur. Trio Brahms. 2018. Notice en anglais. 68.58. Naxos 8.574114.

Voici le troisième volet d’une histoire des Trios à clavier russes élaborée par le Trio Brahms pour le label Naxos. Le premier était consacré à Alyabiev, Glinka et Rubinstein, le suivant à Tchaïkowsky et Pabst. Fondé en 1990 par la pianiste Natalia Rubinstein qui a été Premier Prix du Concours Joseph Joachim de musique de chambre, le Trio Brahms se compose aussi du violoniste Nikolai Sachenko et du violoncelliste Kirill Rodin, tous deux médaillés d’Or au Concours International Tchaïkovsky de Moscou. Ces trois artistes, qui enseignent au Conservatoire d’Etat de leur capitale, s’attachent spécifiquement au répertoire peu fréquenté des compositeurs russes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Dans sa Chronique de ma vie musicale traduite, présentée et annotée par André Lischke (Paris, Fayard, 2008, p. 352), Rimski-Korsakov évoque l’été 1897 au cours duquel il entame l’écriture de son opéra Mozart et Salieri. Il précise : En outre, je composai un quatuor à cordes en sol majeur et un trio pour piano, violon et violoncelle en ut mineur. Cette dernière œuvre resta inachevée, et ces deux partitions me persuadèrent que la musique de chambre n’était pas mon domaine ; je décidai donc de ne pas les éditer. Son élève et gendre Maximilien Steinberg (1883-1946), l’un des professeurs de Chostakovitch, se chargea heureusement de compléter le Trio en s’inspirant des indications laissées par son beau-père et le fit éditer en 1939. Depuis lors, il figure parmi les pages de musique de chambre russe régulièrement jouées. Dès les années 1950, le Trio Oïstrakh l’enregistra (réédition Urania, 2018). Parmi les gravures plus récentes, citons le Leonore Piano Trio (Hypérion, 2007) ou le Trio Kinsky de Prague (Praga, 2011).

Ce Trio est en quatre mouvements et débute exactement comme du Brahms : non pas une réminiscence, guère plus un démarquage, mais vraiment du Brahms à l’état pur, avec tout le degré de perfection que cela suppose, écrit Rostislav-Michel Hoffmann dans la biographie qu’il consacrait en 1958 à Rimski-Korsakov (Paris, Flammarion, p. 175). Le compliment n’est pas mince, et il se justifie pleinement à l’écoute de l’Allegro initial, gorgé de lyrisme, qui se développe dans un contexte de danse populaire et se conclut dans la joie. Suit un deuxième Allegro, plus concentré, qui laisse s’épanouir un rondo enjoué. L’Adagio laisse les cordes et le piano, dramatique dans un passage en solo, se déployer dans un univers étrange, à la dimension secrète et intimiste ; le Finale poursuit un dialogue qui s’installe dans un chant lyrique que le piano entame, bientôt suivi par le violon, puis par le violoncelle. Un Presto rayonnant couronne d’une touche virtuose une partition bien séduisante.   

Le Trio Brahms nous gratifie ensuite d’une courte page de César Cui, dont le nom, qui manque de consonance slave, lui vient de son père, soldat napoléonien de la campagne de Russie installé dans l’actuelle Lituanie. Il s’agit de la version pour trio à clavier de l’une des neuf Pièces caractéristiques pour piano de 1887, un morceau dédié À Argenteau, en hommage à la famille Mercy-Argenteau ; celle-ci possédait un château en Belgique où Cui avait séjourné longuement. Le charme, la finesse et la légèreté dominent dans une atmosphère onirique. Les gravures des œuvres de Cui ne sont pas si nombreuses, il convient donc de ne pas négliger celle-ci, jouée par le Trio Brahms avec une élégance aristocratique. Il s’agit d’une première gravure mondiale dans cette version chambriste.

Le programme s’achève par le Trio à clavier en ré majeur de Borodine, élaboré dans son adolescence dès 1850 et repris en 1860. L’œuvre est en trois mouvements, et n’a été éditée que cent ans après sa création. Comme le Trio de Rimski-Korsakov, celui de Borodine semble être inachevé. Il s’ouvre par un Allegro dans lequel le violoncelle joue un rôle essentiel, avant un Andante en forme de romance mélancolique qui n’est pas sans évoquer Mendelssohn pour lequel Borodine ne cachait pas son admiration. Un climat de danse occupe l’Intermezzo du troisième mouvement qui se déroule dans un esprit raffiné. Le label Naxos possède déjà à son catalogue une version de ce Trio de Borodine par le Trio Delta (2017). Parmi les rares versions anciennes, il faut rappeler celle, très chantante, du Trio de Moscou fondé en 1976 : elle figure dans l’Edition Borodine, un coffret de dix CD (Brilliant, 2012).

La réunion de ces pages de trois maîtres russes du XIXe siècle est la bienvenue. Non seulement le Trio Brahms y fait preuve d’une homogénéité flatteuse, mais la complicité s’y accomplit en termes de sonorités colorées et chaleureuses. Les trois interprètes s’y jettent à corps perdu, insufflant aux mélodies élan et vitalité. Un beau disque de musique de chambre pour des partitions peu fréquentées, enregistrées dans la grande salle du Conservatoire de Moscou en janvier (Borodine), avril (Cui) et juin 2018. 

Son : 9  Notice : 8  Répertoire : 8,5  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

  

 

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