L'école belge de violon (II) : une école tentaculaire en devenir

par

Crescendo-Magazine reprend un dossier consacré à l'école belge de violon publié en avril 2002 sous la plume de Michele Isaac.

Parmi les nombreux violonistes liégeois, on retiendra plus particulièrement les noms de Vieuxtemps, Léonard et Prume. Porte-étendards d’un style à nul autre pareil, ils font la renommée de leurs maîtres mais imprègnent durablement la postérité musicale. Alors que la symbiose des apports français, italien et allemand a mûri pour donner un style particulier, l’École liégeoise du violon se distingue par l’ampleur du son (l’archet semble ne jamais finir), la variété de la sonorité produite, la grande sûreté de la main gauche, la légèreté, la variété des coups d’archet, l’éloquence véhémente de son interprétation. D’autre part, force est de constater que ce qui définit avant tout cette école, c’est son homogénéité. Se transmettant respectueusement les valeurs d’un enseignement de grande qualité, les violonistes liégeois demeurent les garants d’une tradition qui ne s’affaiblira qu’au début du XXe siècle. 

Henri Vieuxtemps

Comme on l’a dit précédemment, Henri Vieuxtemps se démarque d’un des ses maîtres, de Bériot, par l’interprétation de son Premier Concerto -véritablement déconcertant! Rencontrant durant sa carrière des célébrités telles que Ludwig Spohr et Robert Schumann, le Verviétois incarne le musicien-virtuose parfait, infatigable itinérant et perfectionniste. Après des tournées en Europe et aux États-Unis, il se tourne vers la Russie où il accepte la fonction de soliste du Tsar à Saint-Pétersbourg. C’est grâce à Bèze-Kirsty, élève de Hubert Léonard à Bruxelles, et plus tard de Simon Mauhin de Verviers, professeur à Saint-Pétersbourg de 1887 à 1917 qu’une partie de l’École russe actuelle se rattache à la branche belge.

En 1851, il décide de mettre fin à ce poste et vient à Paris afin d’y jouer son Quatrième Concerto qui remporte un succès incroyable. Installé à Drei-Eichenhain, près de Francfort, entre 1855 et 1866, il passe des jours heureux auprès de son épouse, la pianiste viennoise Joséphine Elder. Il décide ensuite de s’établir à Paris où il entreprend une nouvelle tournée de concerts. Nostalgique de sa patrie, Vieuxtemps revient en Belgique en 1871 afin d’occuper la place vacante de professeur de violon au Conservatoire de Bruxelles. Malheureusement, en 1873, il est atteint d’une apoplexie qui paralyse son côté gauche, le contraignant à interrompre ses activités. Après avoir retrouvé quelque peu ses capacités, il meurt dans le sanatorium fondé par son gendre à Mustapha.

Auteur de sept Concertos pour violon, de nombreuses œuvres pour musique de chambre, de magnifiques Duos pour violon et piano, de six Etudes de concert pour violon solo et de cadences, Vieuxtemps marque d’une empreinte indélébile le monde du violon. Grand maître de la technique, il demeure un virtuose, un pédagogue et un compositeur de talent qu’un jeu chaleureux et nuancé distingue d’entre tous. Peu de temps après la première audition de son Premier Concerto à Londres, le Morning Post écrit le 19 avril 1841: “Quoique élève de Bériot, Vieuxtemps n’appartient pas à son école, il ne ressemble à aucun des violonistes que nous avons déjà entendus. Par une prérogative qu’il tient du génie, il fait école lui-même. Si nous pouvions nous permettre une comparaison musicale, nous dirions qu’il est le Beethoven de tous les violons connus”. Belle critique qui résume tout le pouvoir de son génie.

Hubert Léonard

Jeune et talentueux violoniste, Léonard reçoit ses premières leçons de son père. Ensuite, Auguste Rouma lui inculque les grands principes de l’art musical. Souvent oublié, il n’en est pas moins un élément de grande valeur. En 1836, il entre au Conservatoire de Paris dans la classe de Habeneck et cinq ans plus tard, il rencontre Vieuxtemps avec lequel il sympathise d’emblée. Soutenu par son ami, il se lance dans la carrière de virtuose en 1844. Il la débute en se rendant d’abord à Leipzig où Félix Mendelssohn lui réserve un accueil très favorable et lui donne des leçons de composition. Réussissant à conquérir le public allemand, Léonard est partout salué. Grand pédagogue, il écrit une méthode complète de violon qui dirige le jeune musicien dans ses premières leçons pour le mener aux exercices de haute 

virtuosité. Maître de Martin Marsick et d’Ovide Musin, Léonard est nommé professeur au Conservatoire de Bruxelles en 1849 où il devient rapidement la coqueluche de ses élèves. Cependant, en 1851, il décide d’abandonner sa fonction pour se consacrer à des tournées en Allemagne, à Paris, en Russie et en Scandinavie. En 1853, il est momentanément de retour et succède à de Bériot. Cependant en 1866, il entreprend un nouveau tournant de sa carrière, en s'installant avec son épouse à Paris. Devenant le principal violoniste de la capitale française jusqu’en 1880, il décide de suspendre sa carrière de soliste en 1881 pour quitter définitivement ce monde neuf ans plus tard.

François Prume

Le destin du Stavelotain François (Hubert) Prume est tout aussi spectaculaire et s’entoure d’autant plus de compassion qu’il décède à l’âge de trente-trois ans. Recevant ses premiers rudiments du violon à Malmédy, Prume est inscrit au Conservatoire de Liège en 1827. Trois ans plus tard, il devient l’élève de François Habeneck au Conservatoire de Paris durant deux ans. À son retour à Liège en 1833, il est nommé professeur au Conservatoire de la Cité Ardente. Il n’a alors que dix-sept ans! Exerçant cette fonction jusqu’en 1839, il débute ensuite sa carrière de virtuose à travers l’Allemagne, la Russie et les pays scandinaves. Toutefois, il décide de se fixer à Liège afin de donner des concerts à travers toute la Belgique. Guéri d’une grave maladie, il entreprend à nouveau des tournées à Francfort, Berlin, Dresde, Hambourg et Kassel. À Gotha, il a l’honneur de jouer avec Franz Liszt dans un concert de charité. Se produisant encore lors de quelques concerts à Paris, en 1844, il accepte de revenir au Conservatoire de Liège. Quelques années plus tard, la maladie le rattrape et abrège une existence pourtant encore pleine d’avenir. Comparé à Paganini par ses contemporains, Prume a formé d’excellents musiciens comme Jacques Dupuis (1830-1870), Désiré Heynberg (1831-1897) et son neveu, le Spadois, François Jehin-Prume (1839-1899).

Un panthéon de célébrités

Aujourd’hui encore, il est facile de retrouver la trace de quelques glorieux violonistes. Le boulevard Piercot, axe perpendiculaire au boulevard d’Avroy à Liège, arbore les bustes de quelques uns de ces violonistes merveilleux, tels que Poulet, Thomson, Koch ou encore Ysaÿe. Dès lors, il s’avère particulièrement difficile de citer sans aucune omission tous les violonistes qui ont contribué à la renommée belge, et liégeoise en particulier. 

Leur sens aigu de la pédagogie du violon mais aussi de la virtuosité a dépassé largement les frontières nationales pour imprégner considérablement des écoles différentes. 

En témoigne le cas de Henryk Wieniawski (Lublin 1835-Moscou 1880). Admis au Conservatoire de Paris à l’âge de huit ans, ce petit Polonais rentre dans la classe de Joseph-Lambert Massart (Liège 1811-Paris 1822), qui devient aussi le professeur de Martin Marsick. Dès 1846, Wieniawski remporte le premier prix de violon et demeure imprégné de l’enseignement prodigué par l’École liégeoise de violon. À partir de 1848, il commence à donner des concerts, notamment à Saint-Pétersbourg où il est admiré par Henri Vieuxtemps. Après plusieurs tournées, il s’établit dans la ville des Tsars de 1860 à 1872 comme soliste de cour, quartettiste, chef d’orchestre et professeur. Lui aussi se délecte des tournées d’outre-Atlantique. Cependant, il remplace Vieuxtemps au Conservatoire de Bruxelles pour ensuite se lancer à nouveau dans les concerts. Atteint d’une grave maladie, il est recueilli par Nadia von Meck, illustre mécène de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Laissant une somme considérable d’œuvres pour violon, dont des Mazurkas, il expire à Moscou. 

Voici, parmi tant d’autres, le destin d’un violoniste étranger qui a réussi à diffuser une tradition musicale spécifique.  Il serait véritablement fastidieux mais aussi incomplet de vouloir se lancer dans l’énumération des disciples et mentors du violon belge. De Vieuxtemps, en passant par Heynberg, Marsick, Massart, Thomson, Clockers, Koch, Dossin, Musin, Crickboom, on s’aperçoit qu’outre les qualités pédagogiques, il ressort de tous ces musiciens un goût prononcé pour la musique de chambre et en particulier la formation de Quatuor. Par conséquent, l’École belge de violon peut se définir aussi par ce paramètre. Assumant une rivalité qui ne trouve ses limites que dans la naissance d’un nouveau prodige protégé par plusieurs  professeurs, les violonistes belges se complaisent dans la musique de chambre, laquelle les réunit et leur permet de donner une dimension particulière à leurs qualités. Tantôt soliste adulé, maître de renom, le violoniste belge n’en est pas moins un passionné qui veut partager son plaisir avec ses comparses. Cette caractéristique se retrouve chez nombre d’entre eux mais trouve sans doute aussi son aboutissement chez celui qui symbolise encore actuellement le violon belge dans toute sa splendeur: Eugène Ysaÿe.

Michèle Isaac

Crédits photographiques : DR

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.