Les souvenirs de Sophie Pacini, autour de Mozart et Schubert

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Variations sur « Ah, vous dirai-je Maman » ; Sonate N° 8, K. 310 – Franz Schubert (1797-1828) : Sonate en la mineur, D. 784 ; Impromptus D. 899 Nos 2 & 3 – Franz Liszt (1811-1862) : Ständchen, S. 560 (transcription d’après Schubert) – Andrea Morricone (né en 1964) : Thème de l’amour (du film « Cinema Paradiso »). Sophie Pacini, piano. 2019. 76’54. Livret en allemand et en anglais. 1 CD Avenir. AVE 301.

Alors qu’elle n’est pas encore trentenaire, Sophie Pacini a une discographie déjà assez étoffée : après un premier CD avec orchestre (concertos de Schumann et Mozart), elle a enchaîné les albums solo : Schumann (Carnaval, Intermezzi) encore, cette fois avec Liszt (Sonate) ; Chopin (Nocturnes et pièces diverses) ; Beethoven (Sonate Waldstein) et Liszt (pièces diverses) ; et enfin un album intitulé In Between qui croise les couples Mendelssohn (frère et sœur) et Schumann (mari et femme). On le voit : des œuvres exigeantes, pour la plupart du grand répertoire du piano romantique.

Celui-ci, qui fait la part belle à Mozart et à Schubert, est donc plus classique. Et surtout, comme son titre Rimembranza (« Souvenir »), l’indique, Sophie Pacini a choisi des œuvres qui font écho à son propre parcours musical. Cette approche personnelle et subjective est assumée, et explicitée dans le livret ainsi que dans un très intéressant entretien qu’elle avait accordé à Crescendo-Magazine, précisément pour annoncer la sortie de cet album.

Il commence par de séduisantes Variations sur « Ah, vous dirai-je Maman » de Mozart. Chaque variation est savamment caractérisée, avec une belle palette d’articulations, l’ensemble étant davantage solide et bien charpenté que salonard et joliment décoré (ce qui n’empêche nullement le choix fréquent et très plaisant de notes piquées). Nous admirons au passage une virtuosité qui fait mouche, et même s’il arrive que la lisibilité de la main droite, dans les passages très rapides, ne soit pas parfaitement optimale, la réalisation est de haut niveau, et Sophie Pacini (aidée par un Mozart à merveille imaginatif et joueur) sait captiver notre attention sans qu’elle ne se relâche.

Nous restons dans Mozart avec la Sonate en la mineur, K. 310. Nous retrouvons cette volonté de différencier nettement les caractères en accentuant les contrastes. Ce qui était sans conteste pertinent dans des variations l’est-il dans une sonate, aussi opératique soit-elle (et l’on sait que chez Mozart, même le plus galant, le drame et l’opéra ne sont jamais loin) ? Cette approche, qui alterne robustesse et fragilité, aura ses admirateurs. D’autres regretteront peut-être d’avoir l’impression d’être face à des personnages haut en couleurs, mais qui n’appartiennent pas toujours à la même histoire. Quoi qu’il en soit, il se passe toujours quelque chose, et nous sentons bien que les choix de Sophie Pacini sont aboutis. Et puis, il y a de superbes moments, en particulier dans l’extraordinaire Andante cantabile qui nous réserve tant de surprises harmoniques.

Suit la Sonate en la mineur, D. 784, de Schubert. Même tonalité, donc, et dans le texte Sophie Pacini insiste sur ce point commun. Elle fait du reste de nombreux parallèles entre ces deux sonates. Pourtant, quel monde les sépare ! Nous avons ici une œuvre mystérieuse, avec notamment son immense Allegro giusto et ses silences angoissants que Sophie Pacini sait habiter de manière douloureusement poignante. Elle sait aussi se mettre en colère et, l’équilibre dût-il en souffrir, ses basses sont alors très spectaculaires, à la limite d’une certaine agressivité. Mais quand le ton est à la confidence, avec la complicité de Schubert qui est alors dans son élément le plus profond, nous nous laissons volontiers émouvoir. 

Assurément, Schubert va bien à Sophie Pacini. Nous y restons encore. D'abord avec les deux plus célèbres des tellement merveilleux Impromptus D. 899 dans lesquels nous retrouvons les mêmes qualités (sens poétique, sensibilité à fleur de peau)... mais aussi les mêmes réserves (fluidité de la main droite, et surtout jeu parfois un peu dur). Et puis avec la transcription réalisée par Liszt du sublime et célèbre Lied Ständchen (« Sérénade »). Tout comme pour le morceau qui suit, c’est le piano tout seul qui raconte à la place d’autres. Dans ce cas, d’un chanteur qui, sur des vers de Ludwig Rellstab, implore sa bien-aimée. Le sens mélodique de Schubert et l’humilité de Liszt sont tels que, même ainsi, l’émotion demeure intacte. Nous pouvons cependant regretter que Sophie Pacini ne soit pas ici plus sobre. C’est aussi la pudeur de cette musique qui la rend bouleversante.

Le seul fait de choisir une musique de film pour terminer mériterait toute une chronique. Assurément, la thématique de Cinema Paradiso est tout à fait pertinente dans cet enregistrement centré sur la mémoire. Mais sans le support du film, ou au moins du souvenir que l’on en garde quand on l’a vu, comment sa musique nous parle-t-elle ? Se suffit-elle à elle-même ? Dans le film, elle n’apparaît jamais au piano seul, mais toujours orchestrée ; et elle ne prend jamais le dessus sur ce qu’elle met en valeur. En la jouant de manière aussi expressive, presque extravertie, Sophie Pacini nous raconte tout autre chose. Quelque chose qui n’est comparable ni aux chefs-d’œuvre de Mozart et de Schubert qui ont précédé, ni aux frissons du film tellement émouvant (y compris grâce à la musique) de Giuseppe Tornatore. À noter que si la musique de ce film est en effet signée « Andrea & Ennio Morricone », comme indiqué sur le CD, elle a entièrement été composée par le père... à l’exception, précisément, de ce Thème de l’amour choisi pour ce CD, qui est l’œuvre seule du fils. Le père, aussi célèbre soit-il, n’a donc pas à être mentionné ici.

Un album plein de très beaux moments, peut-être trop subjectif, mais qui nous donne envie de suivre une artiste très attachante.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8

Pierre Carrive 

 

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