Lisanne Soeterbroek, seule avec son violon dans un Bach léger, direct et affable

par

« shining of her eyes ». Jean-Sébastien Bach (1685-1750) (Partitas pour violon seul Nᵒˢ̊ 2 & 3 ; Sonate pour violon seul N° 2) – Louis Andriessen (né en 1939) : Harmonies (de « Riddles ») ; Song (de « Xenia »). Lisanne Soeterbroek, violon. 2020. 66’45. Livret en anglais. 1 CD 7 Mountain Records 7MNTN-023.

La photo de la pochette, qui est un autoportrait de Lisanne Soeterbroek elle-même, surprend : elle est de dos, nue, avec un projecteur éblouissant sur le côté ; elle tient son violon, qui, lui, nous fait face, avec la tête de l’instrument derrière sa nuque ; on voit tout le haut de son corps, à partir des reins. La violoniste et son violon sont donc dos à dos ; ils se tournent doublement le dos, tout en montrant une relation charnelle pour le moins intime et assez peu pudique.

Au-dessus de cette photo, le nom de la musicienne-photographe. Dans le fond de la photo, le titre de l’album : « shining of her eyes » (« brillant de ses yeux »). Et de part et d’autre de la photo, de manière assez discrète, le nom des compositeurs : Bach et Andriessen. En réalité, ce sont trois œuvres de Bach, d’une vingtaine de minutes chacune, séparées par deux courtes pièces d’Andriessen, de deux minutes chacune. Alors ? Tout ça pour un CD presque exclusivement consacré aux Sonates et Partitas de Bach, avec juste deux petits ajouts pour se démarquer des dizaines, voire des centaines d’autres enregistrements de ces œuvres que tous les violonistes jouent ?

Eh bien, non, ce n’est pas seulement ça. 

D’emblée, Lisanne Soeterbroek se découvre, comme sur la pochette. Non pas émotionnellement, mais avec une sonorité directe et franche. La Troisième Partita démarre avec un Prélude enlevé, joyeux, sans chichi. La Loure est d’une grande douceur, comme une histoire que l’on raconte à un enfant. Puis ce sont les danses habituelles des Suites : une Gavotte qui va son chemin, sans aspérités ; deux Menuets allants et aérés, avec un rien de nostalgie dans le second ; une Bourrée active et élégante, sans rien de rustique ; et enfin, une Gigue qui file comme un poisson en eau vive, frémissante et gracile.

Vient la première des deux pièces de Louis Andriessen, l’un des compositeurs néerlandais (et donc compatriote de Lisanne Soeterbroek) les plus influents et les plus engagés qui a entamé voilà déjà plus de soixante ans une production particulièrement abondante et surtout variée, que ce soit dans l’écriture, les influences ou les formations instrumentales. Entre les deux Partitas de Bach, nous entendons Harmonies (2006) ; avec un thème simple, et une harmonisation tout à fait tonale, à l’exception de quelques dissonances, cette pièce fait office de transition. D'abord parce que sa structure harmonique permet de passer de mi majeur à ré mineur ; et aussi parce que son calme et son côté rêveur sont comme une détente entre la joyeuse Troisième Partita et la solide Deuxième.

Point de lourdeur pour autant dans celle-ci : l’Allemande et la Courante restent fluides et gracieuses. La Sarabande est même d’une étonnante, et extrêmement touchante langueur, pleine de grâce et de tendresse. Après une Gigue claire et bondissante, et un silence que l'on peut trouver trop long entre les plages, place à la fameuse Chaconne ; avec Lisanne Soeterbroek, elle n’est ni message universel, ni méditation intérieure, mais recherche d'une complicité avec l'auditeur. Elle ne nous force à rien, et ce quart d’heure de variations illustre magnifiquement ses propres mots : « J'aime une façon de jouer modeste et naturelle, comprendre avec logique comme s'il s'agissait d'une histoire, droit au cœur et avec un son gracieux, chaleureux, soigné et élégant. »

Retour à Andriessen, avec Song (2005), une pièce d’écriture beaucoup plus moderne que Harmonies et qui mobilise aussi les talents vocaux de notre violoniste. Elle nous fait entendre une voix aussi directe et délicate que celle de son violon. Si le lien avec ce qui précède et ce qui suit est moins évident qu’avec Harmonies, cela crée indéniablement une proximité, tout en pudeur, avec l’intimité de l’interprète.

L'album se termine avec la Deuxième Partita. Elle commence par un Grave qui l’est bien peu, mais au contraire proche, bienveillant, presque souriant. La Fugue est dans le même esprit, sans rien d’une construction intellectuelle austère, mais avec toujours ce sens du récit, toujours (trop ?) paisible. L’Andante, avec son motif sur une seule note répétée qui parcourt tout le (long) morceau, est également d’un calme et d’une sérénité qui aurait sans doute été encore plus émouvant s’il y avait eu plus de contraste avec ce qui précède. Et enfin, nous prenons congé avec un Allegro toujours sans excès, mais virevoltant à souhait, tel un enfant courant après les papillons...

La prise de son nous rapproche de l’interprète. On entend tout, y compris les très minimes imperfections pour ainsi dire inévitables dans cette musique polyphonique, surtout quand elle est jouée sur un instrument moderne. Lisanne Soeterbroek ne fait aucun ornement dans les reprises. On l’aura compris : elle n’est pas adepte des fioritures. 

Le texte du CD nous avait prévenu, en parlant de son parcours : « Cette attitude se retrouve également dans son jeu et la façon dont elle conceptualise la musique : simple et honnête, mais aussi fraîche. Pas de calcul, pas de maniérisme, juste de la maîtrise et de l'artisanat. » Si certains pourront reprocher à cette démarche un manque de profondeur ; d’autres, dont nous sommes, y verront une évidente et humble sincérité.

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9

Pierre Carrive

 

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