Luxembourg, 2006 : Martha Argerich et Alexandre Rabinovitch exaltent Rachmaninov en concert

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Serge Rachmaninov (1873-1943) : Suites n° 1 op. 5 et n° 2 op. 17 pour deux pianos ; Préludes op. 23 n° 5, 6 et 7.  Maurice Ravel (1875-1937) : Ma Mère l’Oye : Laideronnette. Johannes Brahms (1833-1897) : Valse op. 38 n° 5. Felix Mendelssohn (1809-1847) : Allegretto grazioso op. 62 n° 6 « Frühlingslied ». Martha Argerich et Alexandre Rabinovitch-Barakovsky, pianos. 1996 et 2006. Notice en français et en anglais. 60’ 58’’. Cascavelle VEL1742.

Au début des années 1990, Martha Argerich et Alexandre Rabinovitch enregistraient pour Teldec les deux Suites pour deux pianos de Rachmaninov, couplées à ses Danses symphonique. Une version magistrale, pleine d’énergie virevoltante et de tonus fougueux, qui s’imposait comme une référence. Dans le cadre du Festival d’Echternach, les deux virtuoses, en concert à Luxembourg le 24 mai 2006, remettaient le couvert pour les deux Suites. Si le son est globalement moins satisfaisant en raison de la captation en live, le dynamisme et la complicité rythmique sont présents avec autant d’intensité. 

La Suite n° 1 (1893), que Rachmaninov créa lui-même à Moscou avec Pavel Pabst (1854-1897), un peu plus d’un mois après le décès de Tchaïkovsky auquel elle est dédiée, s’inspire de poèmes, notamment de Byron et de Lermontov. Les deux pianistes, très en verve, modèlent la Barcarolle initiale avec des effets de scintillement, avant d’accorder à l’Adagio sostenuto qui suit (sur le thème de la nuit et de l’amour) toute l’émotion romantique que réclame aussi l’évocation avienne. Le Largo égrène avec obsession le rappel de cloches d’une cathédrale et de larmes qui coulent. La Pâques finale, au sein de laquelle les cloches sont tout aussi vibrantes, devient un morceau d’anthologie sous les doigts inspirés de deux complices consumés par une même démesure. C’est superbe, envoûtant et en même temps tellement chargé d’exaltation.

La Suite n° 2 (1901), qui date de l’époque du Concerto pour piano n° 2, a, elle aussi, été créée à Moscou par Rachmaninov, cette fois avec Alexandre Siloti (1863-1945). Les rythmes légers, solennels ou dansants se succèdent dans le contexte ardent d’un dialogue que Martha Argerich et Alexandre Rabinovitch assortissent d’une vitalité sans concession, y compris dans l’expressivité débordante de la Romance. Une version à thésauriser, comme la Suite n° 1. Deux bis accompagnent cette prestation. La Laideronnette de Ravel est pleine d’électricité, alors que la Valse de Brahms déploie un charme des plus enchanteurs. Tout cela est de très haut niveau.   

Rabinovitch signe la notice de quatre pages, bien remplies, dans lesquelles il raconte son parcours depuis sa naissance à Bakou en 1945 et ses années russes, avant son déménagement en Occident en 1974 avec sa famille. On laissera au lecteur la découverte des souvenirs intimes qu’il dévoile autour de Martha Argerich, dont il a été le compagnon et le partenaire, dans la décennie 1990, pour Mozart, Schumann, Brahms, Richard Strauss ou Messiaen, ce dont témoignent plusieurs CD d’un passionnant « coffret Argerich » paru chez Warner en 2016. Le programme en duo de 2006 est complété par des extraits d’un autre concert où Rabinovitch s’est produit seul, au Festival des Jacobins de Toulouse, le 10 septembre 1996. On en entend quatre moments : le Chant de printemps de Mendelssohn, cadeau tout en fraîcheur pour l’anniversaire de Clara Schumann en 1843, sixième page de l’opus 62, Cahier n° 5 des Romances sans paroles, et trois Préludes de l’opus 23 de Rachmaninov, dans lesquels Rabinovitch s’investit pleinement, en particulier dans le populaire n° 5, qui, sous ses doigts, déborde d’un spectaculaire engagement dynamique.     

Son : 7   Notice :  hors cote    Répertoire : 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

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