Mariane Crebassa plus occitane qu’andalouse

par

Séguedilles. Oeuvres de : Georges Bizet, Manuel de Falla, Jules Massenet, Jesús Gurid, Federico Mompou, Camille Saint-Saëns, Maurice Ravel, Jacques Offenbach. Marianne Crebassa, mezzo-soprano. Orchestre national du Capitole de Toulouse, direction : Ben Glassberg.  2021 - Livret en  en anglais, français, allemand - textes chantés en langue originale (français, catalan, castillan) traduits en anglais et allemand. 73’39’’.  Erato 0190296676895

Célestine Galli-Marié avait 38 ans lorsqu’elle créa Carmen à l’Opéra comique. Son génie dramatique et sa musicalité transcendaient, dit-on, une voix assez courte sans séduction particulière. A 36 ans, la mezzo-soprano Marianne Crebassa semble à son tour préparer son entrée dans l’arène. Son enviable carrière sur les scènes lyriques lui a déjà valu d’ aborder Rosine, Dorabella, Marguerite, Orfeo, Fantasio ou Lulu avec succès. Au disque, accompagnée de Fazil Say, elle a exploré le répertoire des mélodies françaises et, sous la houlette de Marc Minkowski, les rôles d’opéra et opérettes dits « pantalons » sous le titre « Oh, Boy ! », série de jeunes pages enamourés et héros androgynes d’opéras de Gluck, Massenet, Hahn, Meyerbeer ou Offenbach. 

Pour ce récital, la chanteuse biterroise a choisi de rendre hommage à ses ancêtres venus de Valence, province voisine de la Catalogne avec un bouquet d’airs et de mélodies rattachés d’une manière ou d’une autre à la terre ibérique. 

« La musique espagnole, n’existe pas – soutenait Ravel - elle est italienne ou maure. ». L’engouement français du XIX ème siècle pour une Espagne pittoresque, idéalisée et parfois superficielle, se rattache en effet à une forme de latinité acclimatée à la France. Don Quichotte de Massenet, La Périchole, la mélodie de  Saint-Saëns El desdidacho ou, bien sûr, Carmen représentent brillamment ce courant.  « Habanera », « Séguedille » et  « Chanson bohème » se succèdent donc au fil du récital, au plus près du texte comme le préconise  Teresa Berganza. Bien que paré de riches couleurs, le chant reste constamment sous contrôle. Or Carmen privée d’ abandon, de sprezzatura,  de cette indolence provocante qui ne se confond jamais avec la vulgarité est-elle encore Carmen ? Il suffit de penser à l’inspiratrice de Bizet, la fantasque Céleste Mogador chantant des habaneras au compositeur pendant leurs promenades vespérales dans les parcs du Vésinet où ils étaient voisins, ou encore à l’interprétation d’Anne-Sofie von Otter à Glyndebourne  pour ressentir la nécessité impérieuse de cet espace de liberté.  Les airs de Dulcinée (« Quand la femme a vingt ans »), Saint-Saëns et La Périchole à laquelle Stanislas de Barbeyrac donne une réplique enlevée sont traités avec la même qualité de ligne de chant, de variété de couleurs et la même... intransigeance. Le « jeu » là aussi, et cette sorte de flottement qu’il suppose, n’y ont guère de place.

En revanche de telles qualités sont mieux utilisées au service de stylisation de la  « Chanson espagnole » (Chants populaires) ou de la véhémence de Concepcion, l’horlogère frustrée, de l’Heure Espagnole de Ravel. De Falla et l’air de Salud « Vivan los que rien ! » (La vida breve) très bien accompagné par l’Orchestre et les Chœurs du Capitole de Toulouse placés sous la direction de Ben Glassberg, nous plonge dans d’autres eaux. 

Dans un climat plus détendu, spontané, les pages rares de Jesus Guridi et Federico Mompou, surprennent et envoûtent. Le premier, né à Vitoria (Pays basque espagnol) en 1886, fut élève de D’Indy à la Schola Cantorum puis de Jongen à Bruxelles affichant son admiration pour Wagner, avant d’exercer des fonctions de direction et de professeur d’orgue à Madrid. Auteur de plusieurs opéras en langue basque, de zarzuelas et divers chœurs, il publia les Seis Canciones castellanas en 1941. D’une facture simple, âpre, gorgées de sensibilité, sans aucune trace d’influence française à l’exception de ce grand mouvement de retour vers le chant populaire auquel il appartient, ces pièces décrivent un univers tout à fait personnel. La même  saveur à la fois ardente et douce émane du cycle Combat del somni (combat du rêve) composé par Federico Mompou entre 1942 et 1951 sur des poèmes catalans de Josep Janés dont on peut regretter l’absence de traduction en français ( seules sont présentes les traductions en anglais et allemand). Comme dans ses pièces pour piano (Scènes d’enfants, Suburbis, Canciones y Danzas jusqu’à Musica callada)  le dépouillement, l’absence de développement laissent s’épanouir sans contrainte ni science apparente, un monde, là encore, intime, inventif, toujours finement ciselé. En communion avec cet art qu’elle semble vivre de l’intérieur, l’interprète touche et éveille. Carmen peut attendre.

Son : 10 – Livret :  9 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10

Bénédicte Palaux Simonnet

 

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