Martha Argerich dynamite Debussy (avec Daniel Barenboim) 

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Claude Debussy (1862-1918) : Fantaisie pour piano et orchestre, Sonate pour violon et piano, Sonate pour violoncelle et piano, La Mer. Martha Argerich, piano ; Michael Barenboim, violon ; Kian Soltani, piano ; Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim, piano et direction. 2018. Livret en allemand et anglais. 72’’. DGG  48375370 

Daniel Barenboim nous propose un album Debussy à la fois concertant, chambriste et symphonique. Curieusement, on rattache peu le pianiste-chef à l’univers de Debussy, pourtant, le musicien n’en est pas à sa première tentative et il s’agit même ici de sa quatrième gravure de La Mer ! De la discographie debussyste du chef, on retient une belle sélection d'œuvres orchestrales gravées dans les années 70 avec l’Orchestre de Paris (DGG) ; par contre, on oublie les albums purement pianistiques plutôt lisses et peu inspirés.  

L’attrait majeur de cet album est l’enregistrement de la Fantaisie pour piano et orchestre avec Martha Argerich. L’évènement est de taille car il s’agit de la première gravure de cette partition par  la légendaire pianiste. Oeuvre d’un jeune Debussy alors encore en résidence à la Villa Médicis suite à son Prix de Rome, la partition est une œuvre particulière qui a toujours peiné à trouver sa place au concert et, au disque, elle est souvent proposée en complément des deux concertos de Ravel. Bien évidemment, la grande Martha Argerich fait un sort à cette musique qui est emportée dans un tourbillon de couleurs éclatantes. Nous ne sommes plus dans un impressionnisme musical, encore mâtiné d’académisme, ni même avec Seurat pointilliste à la Grande Jatte, mais nous sommes à Collioure en train de se chamailler à table avec Matisse et Cézanne. L’explosion des couleurs et des contrastes est assez fabuleuse. Du côté de l’orchestre, le chef et ses musiciens sont appliqués, mais ils semblent avoir du mal à suivre ce torrent musical suggestif. C’est un peu comme pour l’enregistrement des Nuits dans les Jardins d’Espagne de De Falla avec l’orchestre de Paris (Warner), la pianiste révolutionne sa partie mais l’orchestre n’arrive pas à se hisser à son niveau.  La Fantaisie pour piano et orchestre est ici surjouée et même sur-interprétée tant la pianiste en tire un potentiel qui va au-delà de ce à quoi on peut être habitué. Certes, il y a les grandes gravures de Jacques Février (Warner), François-René Duchâble (Warner), Jean-Yves Thibaudet (Naxos), mais tous présentaient les facettes d’une élégance française là où Martha Argerich s’approprie le langage pour le réinventer.  Avec l’interprétation de Zoltan Kocsis et Ivan Fischer (Philips), cette nouvelle gravure s’impose comme un jalon essentiel dans la connaissance d’une oeuvre transcendée par ses interprètes, même si ici la direction d’orchestre reste un peu problématique.   

Après ce torrent musical, il faut bien de belles lectures des sonates pour violon et pour violoncelle pour remettre la sensibilité en place. Michael Barenboim est comme toujours magistral au violon et son paternel l’accompagne avec la finesse musicale requise. On sera un peu plus réservés par la lecture probe mais un peu trop démonstrativement surjouée de la Sonate pour violoncelle avec Kian Soltani en soliste.     

Cette transition chambriste nous permet de trouver une apothéose symphonique. Avec cette nouvelle Mer, qui vient succéder à la gravure déjà citée avec l’Orchestre de Paris et deux enregistrements avec l’Orchestre Symphonique de Chicago (Teldec en CD et Euroarts en vidéo), Barenboim dirige sa Staatskapelle de Berlin. On sent d’emblée une pâte germanique de la sonorité avec une puissance velourée et un collectif solide dans ses interventions solistes et ses tutti. On est loin ici de la verdeur de trait encore très française de l’enregistrement parisien. Cette internationalisation du son, si elle peut être un peu dommageable, ne décourage pas le chef qui impose une lecture narrative et parfaitement construite, même si légèrement trop théâtralisée à l’image du dernier mouvement “de l’Aube à midi sur la mer” avare en  fluidité.  

Dès lors, un disque étonnant et inégal qui restera dans les discographies pour l'apport de Martha Argerich à la Fantaisie pour piano et orchestre. 

Son : 9  – Livret : 7 – Répertoire : 10 – Interprétation : 9 (6 pour la Sonate pour violoncelle, 7 pour La Mer, 8 pour la Fantaisie pour piano et orchestre et 9 pour la Sonate pour violon).

Pierre-Jean Tribot

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