Misères et déboires du petit monde de l'opéra à Madrid : « Le convenienze ed inconvenienze teatrali » de Donizetti au Teatro Real

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Le Teatro Real vient de recevoir une série de reconnaissances des prestigieux International Opera Awards 2021 : meilleur théâtre, meilleur jeune chanteur à Xabier Anduaga, présent dans cette production, et il a été mentionné comme «exemple de résilience d'une maison d'opéra face à la pandémie», avec une reconnaissance aussi pour Carlos Alvarez, « mamma » de cette production. Ce qui est clair, c'est qu'une telle distinction ne peut être que le fruit d'un travail d'équipe vraiment exemplaire et le spectateur ressent cela à tous les niveaux, depuis l'accueil des personnes jusqu'aux détails le plus infimes des productions. Bravo, donc aux équipes motivées et compétentes de cette jeune maison qui n'a repris son activité qu'en 1987 après un silence long de plus de 50 ans.

Donizetti qui, tout comme Rossini quelques années auparavant, avait reçu pas mal de commandes de l'incroyable impresario milanais/napolitain Domenico Barbaja, écrivit plusieurs opéras comiques : D. Pasquale, La Fille du Régiment, Rita ou le mari battu, Il Campanello di notte ou L'Elisir d'amore constituent une partie non négligeable de sa production. Le convenienze ed inconvenienze teatrali fut créé à Milan en 1831, après une première version napolitaine, plus courte, en 1827. Vers 1965, le metteur en scène Helmut Käutner intitula sa reprise Viva la mamma avec un tel à propos que ce titre identifie la pièce maintenant.

Donizetti en écrivit lui-même le livret d'après une pièce à succès d'Antonio Sografi. Seuls ceux qui connaissent mal la vie d'un théâtre d'opéra pourront trouver le propos invraisemblable ou parodique. Lorsque Fellini présenta son film Prova d'orchestra, le public trouvait souvent les scènes exagérées ou hors contexte... mais pas le musiciens connaisseurs de la vraie vie d'un orchestre !

A l'opéra, ce regard de Donizetti se veut drôle et, effectivement, il nous fait rire de bon cœur tout le long de la pièce, mais tout ce petit manège des jalousies, médiocrités plus ou moins bien cachées sous des allures de «grande diva» ou des prétentions exorbitantes, est traité avec une délicieuse tendresse qui évoque l'insécurité de tout artiste face à la noblesse de l'Art. Cela va des citations de ses propres ouvrages (Elvida, l'Elisir d'amore) en passant par tous les poncifs de l'opera seria jusqu'au pastiche de la Canzone du Salice de Rossini dont Carlos Álvarez fait un régal avec son texte « mal appris » et parfaitement surréaliste.
Sur la distribution de très haut vol que le Teatro Real a réunie, le roi/reine est certainement ce merveilleux artiste qui joue habituellement les grands barytons verdiens -il répétait au même moment le Scarpia de Tosca dans la même maison. Dans sa rare facette comique, il est irrésistible : sa caractérisation féminine est impayable, mais sa gestuelle, sa démarche et ses sauts en tyrolienne du falsetto au petto nous traduisent un personnage tellement crédible en Mamma Agatha hyper-protectrice et nostalgique d'un passé plus glorieux que, très vite, on oublie totalement la convention théâtrale du rôle travesti. Et encore davantage la difficulté technique et musicale de sa partie.
Comme Daria Scortichini, prima-donna, Nino Machaidze est brillante, certes, et sa vocalité irréprochable. Mais elle frappe par un jeu de scène toujours juste, parfaitement crédible dans sa vanité, sa jalousie invétérée et ses doutes mal cachés. Au deuxième acte, elle brille dans l'air ajouté de la Virginia de Mercadante. Procolo Cornacchia ou le « mari » maniéré et obséquieux de la prima-donna est incarné par le jeune Borja Quiza, avec une vis comica déjà bien aiguisée. Sylvia Schwartz, comme Luigia Scannagalli, seconda donna est parfaitement convaincante et réussit le tour de force de chanter affreusement faux pendant quelques instants pour effrayer l'imprésario ou le compositeur... et amuser son public ! Biscroma Strappaviscere, le compositeur, est joué par Pietro di Bianco avec bravoure, dans un rôle complexe où il excelle aussi comme pianiste répétiteur de plusieurs scènes. Le ténor teuton, distrait et égotique, incapable de prononcer l'italien, Guglielmo Antolstoinoloff est confié au jeune Xabier Anduaga. Ses aigus éclatants et sa voix uniforme au timbre chatoyant séduisent malgré un médium légèrement terne. Mais il nous convainc aussi par la richesse de son jeu de scène.
L'orchestre, conduit par Evelino Pidò, est précis et énergique, mais à quelques moments l'équilibre avec le plateau s'est vu compromis.

Ce n'est pas par hasard qu'on est frappé par la justesse actorale de tous les chanteurs : la main de Laurent Pelly et de son équipe ont fait -et c'est presque une habitude- des merveilles. Le jeu est parfaitement rythmé, précis et la limite entre le comique des situations et les vulnérabilités humaines de chaque personnage est très nettement définie. Les décors sont simples, mais profondément signifiants : le vieux théâtre transformé en parking qui sert de salle de répétitions au premier acte deviendra une vraie salle au deuxième, mais sera victime du marteau-piqueur à la dernière scène, lors de la débandade de la troupe. Le parallèle avec les menaces que pèsent sur le monde de notre culture est trop évident... On se demande si Pelly n'a pas trouvé pour cela son inspiration à Bruxelles, où un notaire a transformé en parking un vieux théatre, à deux pas de la maison Puccini... Qui sait ?

Madrid, Teatro Real, 11 juin 2021

Xavier Rivera

Crédits photographiques : Javier del Real

 

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