Mitridate à la Philharmonie de Paris

par

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Mitridate Re Di Ponto. Michael Spyres, Mitridate ;   Julie Fuchs, Aspasia ;  Sabine Devieilhe, Ismene ;  Elsa Dreisig, Sifare ;  Paul-Antoine Benoit-Djian, Farnace ;  Cyrille Dubois, Marzio ; Adriana Bignagni Lesca, Arbate. Les Musiciens du Louvres, Marc Minkowski. 2021- Livret en français, anglais, allemand - Texte chanté en italien. 3 CD ERATO 0190296617577

Magistrale partition d’un adolescent de 14 ans, écrivions-nous le 18 février 2016 lors de la représentation dirigée par Emmanuelle Haïm au Théâtre des Champs-Elysées. Le triomphe renouvelé de ce Mitridate -à sa création (Milan 1770) comme aujourd'hui- est avant tout celui du jeune Mozart qui s'apprête à conquérir l'Italie. Et pourtant, il n'a encore composé qu'Apollo et Hyacinthus (1767), La Finta simplice (1769) et Bastien et Bastienne (1768) !

Face à son premier opera seria, Mozart s’affranchit des sources raciniennes et fait siens les tourments de ce roi du nord-est de l’Anatolie qui rentre de guerre pour trouver l'un de ses fils traître et l'autre dans les bras de sa propre fiancée. Au sein d’une vaste épopée où, conformément à la rhétorique baroque, chacun des héros confronté à ses trahisons, son orgueil, ses passions est transformé et pardonné, le compositeur trouve des accents d’une vérité humaine confondante. En outre, toutes les œuvres à venir se profilent déjà. La mélancolie éthérée de la Comtesse Almaviva colore la ligne de chant des personnages féminins et -exemple parmi cent autres- le poignant dialogue du « Parto » de Sestus à la fin de La Clémence de Titus trouve sa source évidente dans le duo « Lungi da te, mio bene » de Sifare et du cor solo (II, 7). Le genre seria permet au musicien le recours à la vaste palette belcantiste depuis le jeu des contrastes jusqu’aux fondus clairs-obscurs tandis qu’un torrent de virtuosité exacerbe l’émotion. Là aussi les moments de grâce abondent : détresse d’Aspasie (II, 8 « Nel grave tormento »), désespoir du « Pallid’ombre » (III, 4) sans omettre l’agonie amoureuse du duo Sifare et Aspasie « Se viver non degg’io » (II, 15). Créateur du rôle de Sifare, le castrat Benedetti fut si content de sa partition et convaincu de son triomphe que -nous dit le livret de présentation- il « promit de se faire castrer une deuxième fois si l’air ne plaisait pas au public » !                                                                                                       

C’est Elsa Dreisig qui aborde cette redoutable partition avec son assurance et son panache habituels. Toutefois son timbre lumineux se distingue peu de celui d’Aspasie (Julie Fuchs), si bien que le fameux duo précité fonctionne plutôt en miroir qu’en dialogue. Étourdissante et précise dans les ornements en dépit d’aigus parfois tendus, Julie Fuchs excelle dans les opalescences de la scène de suicide du III qui semble anticiper le « Ach, Ich fühl’s » de Pamina. Dans le rôle bref mais touchant de la princesse parthe promise au Prince Farnace et repoussée par lui, Sabine Devieilhe déploie une ligne de chant nette aux pianissimi délicats. Épurant encore cette « complexe simplicité » si caractéristique du compositeur, elle parvient à nous faire entrevoir le cœur même du mystère mozartien. Paul-Antoine Bénos-Djian, contre-ténor, assombrit le personnage de Farnace par une certaine rugosité dans l’émission. Cyrille Dubois sait émouvoir dans la brève intervention de Marzio tandis qu’Adriana Bignani Lesca soprano (ou mezzo ?) prête son timbre corsé à Arbate.

Comme cinq ans plus tôt, Michael Spyres dès son air d’entrée « Se di lauri » impose un héros à la noblesse vindicative. Le ténor-baryton domine aisément les virtuosités d'écriture mais la voix devenue très charnue donne au personnage mourant un poids et une dimension plus terriens que poétiques heureusement compensés par un arrière-plan orchestral absolument enchanteur. 

Car l’un des mérites de cet enregistrement réalisé à la Philharmonie de Paris en 2020, dans un contexte difficile, vient de l’orchestre. Si, au début, la prise de son fait craindre l’éloignement des voix chantées, ensuite... tout s’anime : fureurs tragiques et instants éthérés, éclat et intériorité se succèdent sans relâche. Sabre au clair, la direction de Marc Minkowski ne se contente pas de traduire les convulsions du drame. Il sait faire place aux « conversations en musiques » les plus subtiles, serties comme des joyaux. L’orchestre et les instruments solistes se font tour à tour partenaires, sublimateurs de passions ou décors monumentaux.

Depuis 1970, l’enthousiasme constant des festivaliers a suscité divers enregistrements : Salzbourg en 1977 sous la direction de Norrington (Orfeo, 2006) ; en 2019, c’est Christophe Rousset à la tête d’une belle distribution -Giuseppe Sabbatini (Mitridate), Natalie Dessay (Aspasia), Cecilia Bartoli (Sifare) et Brian Asawa (Farnace)- qui restitue la beauté altière de l’oeuvre chez Decca. Une vidéo du Festival d’ Aix-en-Provence permet d’apprécier l’interprétation de Rockwell Blake dans le rôle- titre. De même, un DVD daté de 2006 rend compte de la prestation de Richard Croft sous la baguette de Marc Minkowski. Comme celui capté au Théâtre des Champs-Elysées, il est malheureusement pénalisé par une mise en scène ratée. Le présent coffret apporte donc une distribution et un regard renouvelés sur un chef d’œuvre fondateur du catalogue mozartien.

Son 9 - Livret 9 - Répertoire 10 - Interprétation 10

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

 

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