Œuvres complètes pour violon seul ou violon et piano de Carl Nielsen

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Carl NIELSEN (1865-1931) : Sonates pour violon et piano n° 1 op. 9 CNW 63 et n° 2 op. 35 CNW 64 ; Prélude, Thème et Variations pour violon op. 48 CNW 46 ; Prélude et Presto pour violon op. 52 CNW 47 ; Sonate pour violon et piano CNW 62 ; Deux Romances pour violon et piano CNW 60 et 61 ; Polka pour violon CNW 44 ; « Grüss », fragment pour violon CNW 45. Hasse Borup, violon ; Andrew Staupe, piano. 2019. Livret en anglais. 88.04. Naxos 8.573870.

Si la musique symphonique et concertante du Danois Carl Nielsen est bien connue, sa musique de chambre l’est beaucoup moins. Tout au long de sa carrière, le compositeur lui a pourtant consacré une série de belles pages, dont cinq quatuors à cordes, un trio, des quintettes et des pièces pour instruments solistes. Le label Naxos propose une intégrale des partitions consacrées au violon, seul ou avec piano. 

Dès son enfance, Nielsen prend des leçons de violon avec son père et l’instituteur de son village natal, situé près d’Odense. Il joue ensuite dans des formations locales. Il se perfectionne au Conservatoire de Copenhague et sera violoniste à l’Orchestre de la chapelle royale de la capitale de 1889 à 1905. Il écrit une sonate pour violon et piano, sans numéro d’opus, dès 1881. A cette époque, il est à Odense où il joue dans la fanfare militaire, apprend le cor et le trombone alto, et pratique la musique de chambre avec des musiciens amateurs. Cette courte sonate de jeunesse en trois mouvements est pleine de fraîcheur, dans un style classique. Mais ce n’est qu’à l’âge de trente ans, en 1895, que Nielsen se décide à composer une nouvelle sonate pour violon et piano, l’opus 9. Son travail de musicien d’orchestre lui prend beaucoup de temps et il s’est mis à diriger deux ans auparavant. Il écrit surtout de la musique de chambre, même s’il compte déjà son actif sa Symphonie n° 1 qui a connu un grand succès à sa création en 1894, sous la direction d’un autre compositeur danois, Johan Svendsen. Dans cette Sonate n° 1, on ressent encore une influence brahmsienne dont Nielsen se détache peu à peu dès l’Allegro glorioso, pour adopter un contrepoint brillant, nourri par des thèmes vifs et lyriques où percent des traits caustiques. Le Lento central est envahi d’une sorte de mélancolie intériorisée, avant un Allegro piacevole très rythmé. Contrairement à ses pièces précédentes pour musique de chambre, où le piano occupait un rôle discret d’accompagnateur, le clavier est ici un partenaire pris en considération. L’accueil de cette sonate par la critique est cependant réservé, elle est jugée trop « moderne ». Max Brod la décrira pourtant avec enthousiasme : « L’ensemble donne une impression enveloppante et plaintive, à la fois dure et sans clarté, de précision comme chez Bach. » (Jean-Luc Caron, Carl Nielsen, Lausanne, L’Age d’homme, 1990, p. 99). Le compliment n’est pas mince et l’audition, exigeante, laisse une impression de grande épure mélodique. 

Nielsen va attendre près de vingt ans pour composer sa Sonate n° 2 pour violon et piano op. 35, qui suit le Concerto pour violon créé en 1911, trop peu fréquenté par les solistes, même si Maxim Vengerov ou, plus récemment, Vilde Frang en ont laissé de belles versions. Une fois encore, la sonate reçoit un accueil réservé lors de sa création en 1913. La partition est très contrastée, avec des audaces harmoniques et des libertés tonales qui engendrent une tension entre le violon et le piano. Si l’Allegro initial contient des oppositions entre lyrisme et violence, le Molto adagio qui suit est très expressif et l’Allegro piacevole final bénéficie d’un rythme qui se modifie sans cesse. Certains commentateurs ont voulu voir dans cette partition une amorce de la future Symphonie n° 4 « Inextinguible » achevée en janvier 1916. La Sonate n° 2 apparaît aujourd’hui comme une œuvre séduisante où l’intensité est présente à travers des passages dissonants ou consonants. Les sœurs Laura et Baiba Skride en ont laissé une belle version chez Orfeo. 

Passée la cinquantaine, Nielsen compose deux partitions pour violon seul. En 1922-23, c’est Prélude, Thème et Variations op. 48, sur un thème d’origine danoise, d’une écriture équilibrée, quoiqu’austère. Nielsen a déclaré lui-même qu’il avait été influencé par la Chaconne de la Partita n° 2 de Bach. Le style est là aussi très épuré et se développe vers une virtuosité de plus en plus chaude et exigeante. Cette page d’une petite vingtaine de minutes, qui se situe entre classicisme et modernité, est fascinante de bout en bout. Cinq ans plus tard, Nielsen écrit une nouvelle page virtuose pour violon seul, d’une douzaine de minutes, le Prélude et Presto op. 52. Depuis quelques années, le compositeur bénéficie de la présence de son gendre, le violoniste Emil Telmanyi (1892-1988) qui a épousé sa fille en 1918. C’est à ce virtuose qu’il dédie les deux opus, le dernier se révélant à la fois poétique, léger et concis, ardent et vif. Là aussi, Nielsen avoue sa fascination pour Bach. 

Cet album, complété par quatre courtes pièces de jeunesse - pour trois d’entre elles, c’est une première discographique, mais l’apport est minime -, rassemble avec opportunité des facettes de la personnalité de Nielsen qui couvrent une cinquantaine d’années de production. Il offre l’opportunité de mettre en évidence un domaine peu connu d’un compositeur de haute qualité. Le violoniste Hasse Borup, professeur à l’Université d’Utah, qui a aussi gravé pour Naxos des sonates de Niels Gade ou de Vincent Persichetti, livre de ces pages des versions concentrées, techniquement maîtrisées ; il souligne avec ferveur les aspects lyriques comme l’originalité du propos musical. Le pianiste Andrew Staupe, qui a été collègue de Hasse Borup en Utah et enseigne à Houston, se révèle un partenaire attentif. Voilà un beau CD de musique de chambre, dont on notera la générosité du minutage (88 minutes) ; la prise de son a été effectuée en mars et avril 2019 dans le Hall Carl Nielsen de l’Académie Nationale danoise de musique, à Odense.  

Son : 8  Livret : 8  Répertoire : 9  Interprétation : 9

Jean Lacroix

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