Pénultième jalon de l’intégrale des Symphonies de Widor chez Naxos

par

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Huitième Symphonie, en si majeur, Op. 42 no 4 ; Symphonie romane, Op. 73. Christian von Blohn, orgue de l’église St. Joseph de Sankt Ingbert. Octobre 2019. Livret en anglais et allemand. TT 81’31. Naxos 8.574207

« Le présent volet concilie une lecture intelligible et sensible qui mérite qu’on y tende l’oreille et que se poursuive l’entreprise » résumions-nous en novembre à l’occasion du volume 3 de cette intégrale initiée par Wolfgang Rübsam (symphonies 1 à 4 enregistrées en mars et juin 2019 à Chicago) et poursuivie en l’église néogothique Saint Joseph par Christian von Blohn. Lequel avait déjà gravé les symphonies 5 et la Romane voilà vingt ans, pour le label Arte Nova, sur un autre orgue de la paroisse sarroise de Sankt Ingbert, celui de l’église Sankt Hildegard. Il remonte à 1893 (esthétique romantique allemande) mais fut restauré et enrichi après un terrible incendie en 2007. Il compte désormais une soixantaine de jeux sur ses trois claviers & pédalier. L’interprétation de la Gothique nous avait conquis par sa narration germinative. Le volume 4 nous séduit encore, particulièrement dans l’opus 73. 

Un boa au menu : la Huitième Symphonie avoisinant l’heure. Et encore ce CD (rempli comme un œuf) en a-t-il éludé une partie (Prélude, retiré de l’édition révisée de 1901) qui figurera dans le prochain maillon, vraisemblablement le dernier (les 5 et 6 sont attendues). L’interprétation de l’Allegro risoluto, bien fabriquée, manque un peu de relance dans l’Exposition mais le dialogue entre les strates convainc et le Développement ménage une progressive détermination. Le Moderato cantabile, préfigurant le Clair de lune debussyste, bénéficie des climats rêveurs et nébuleux qui lui conviennent, adroitement travaillés dans le poco animato (2’59). L’Allegro, et son enchanteur motif en canon, requiert un phrasé à la fois serré et allusif qui renvoie à la fantasmagorie mendelssohnienne : il y manque ici un peu d’élan et de minutie mais l’ensemble est bien mené. Chistian Blohn réussit d’édifiantes Variations, échafaudées avec puissance, assises sur un pédalier marmoréen. L’Adagio déploie un franc décor, d’éloquentes vitrauphanies, aux panneaux nettement articulés, où s’insinuent de subtils dégradés. Force et clarté guident l’exécution du Finale sans que les doigts s’abandonnent au grand geste dramatique. Globalement la prestation se montre rigoureuse voire parfois un peu rigide, démarquée du romantisme, et qui regarde vers l’aval de l’école symphonique.

Sommet de la production widorienne, la Romane est tournée vers cette postérité, notamment en la personne de Charles Tournemire qui fera fructifier ce modalisme et les citations plain-chantesques que son ainé lyonnais sollicite toutefois pour leur coloris, leur plasticité, davantage que pour leur dimension liturgique. L’œuvre s’alimente d’un motif du Graduel pascal qui va féconder la plupart des quatre mouvements. Elle est dédiée à la Basilique Saint-Sernin de Toulouse, un des plus grands édifices romans de la chrétienté lors de sa construction au XIe Siècle. Si vous briguez les couleurs inimitables du Cavaillé-Coll qu’elle abrite, la discographie y a souvent recouru : Odile Pierre (RCA), Hermann Van Vliet (Festivo), Pierre Pincemaille (Solstice)… Un cadre inspirant, qui peut suggérer cursivité et décantation (Daniel Chorzempa pour Philips en juillet 1981) ou le grand souffle mystique (Michel Bouvard chez Tempéraments en septembre 1996).

La création n’eut pourtant pas lieu à Toulouse, ni même à Paris, mais à Berlin (Kaiser Wilhelm-Gedächtnis-Kirche), en janvier 1900. Ces circonstances donnent raison à Christian von Blohn qui en sa notice plaide pour que ces symphonies soient désaliénées de la facture qui les stimula. Il conjoint netteté et atmosphère dès l’énoncé du Haec Dies (0’07) qui respecte le ff opposé au f de l’arabesque initiale, et partout prêtera attention aux annotations de crescendo et decrescendo. Les scintillantes mixtures (1’26) contribuent à un éclat posé sur une onctueuse palette de fonds. Lisibilité et vivacité scrutent l’épisode à cinq voix en ut dièse (1’55). Robustesse et expressivité s’allient pour la péroraison en double pédale (3’50). La gestion du tempo souligne la structure du Choral en pressant légèrement l’allure pour l’ostinato central (2’12), alors que le piu vivo (3’23) se situe dans la norme. Les nuances de textures (Gambe à 4’17, Prestant pour le lento à 6’28) s’intègrent à un tableau tout en velours de prière, mené vers une conclusion qui prend ses aises. La console de Sankt Ingbert ne possède aucune clarinette à proprement parler, mais le jeu employé dans la Cantilène fait illusion sans jouer les divas. L’exposé initial est tissé sans mollesse et s’enchaine au poco agitato (1’54) où le sol majeur rayonne avec tension et plénitude. Dans le Final, la hiérarchisation des plans ne laisse rien à désirer, alternant phases de lumière et de gravité (la descente aux abysses de l’andante à 2’43, le fff à 3’21). La scénographie emporte l’adhésion : le bouillonnement des double-croches à 4’36. Le majestueux andante quasi adagio (5’29) est moins ramassé qu’avec Michel Bouvard, mais moins étalé qu’avec Bjørn Boysen à Aarhus (Simax, mars 2006) qui valorisait une autre solennité. Ce sont surtout les dernières mesures (depuis le diminuendo à 8’07) qui surprennent par leur faconde : l’ultime retour du Haec Dies s’inscrit non sur une désinence d’éternité mais dans un zèle de glorification.

Son : 8 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8 & 9

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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