Philip Glass : mélodie, le retour

par

Philip Glass (1937-) : String Quartet No. 9 "King Lear", String Quartet No. 8. Quatuor Tana. 44’00 – 2022 – Livret en : anglais et français. Soond. SND 22020.

Sorti à temps pour la première mondiale de l’attendu 9e quatuor de Philip Glass, donnée le 15 janvier à Bozar et moment fort du festival Ars Musica, le nouveau disque du Tana Quartet, cette fois paru chez Soond, complète l’intégrale des quatuors à cordes enregistrée par l’ensemble chez Megadisc en 2018 -une forme qui expose particulièrement l’interprète et n’en est que plus désarmante.

« C'est un peu comme si on se disait : on va écrire un quatuor à cordes, alors on prend une profonde respiration, et on patauge pour essayer d'écrire la pièce la plus sérieuse, la plus importante que nous pouvons. », explique Philip Glass à propos du processus de composition de ce format bien implanté dans la tradition musicale -et peut-être est-ce pour cette raison que, entre le premier quatuor, écrit en 1966 et le neuvième achevé en 2021, c’est tout le parcours esthétique du compositeur qui défile.

Jusqu’ici, on avait : l’expérimental premier, avec sa pause silencieuse de deux minutes (en clin d’oreille au 4’33 de John Cage) qui stimule l’intériorité de l’auditeur, le cinématique et lyrique deuxième (Company) dont les processus répétitifs incitent à une rêverie presque romantique, le contrasté troisième (Mishima) auquel le film de Paul Schrader doit beaucoup, le quatrième (Buczack), à la beauté mystique et plus classiquement centré sur l’instrument soliste accompagné par les trois autres, le cinquième aux formes traditionnelles qui évoque la Première Ecole de Vienne -cette fois, Glass se dit : « je pensais que j'avais vraiment dépassé le besoin d'écrire un quatuor à cordes sérieux et que je pouvais écrire un quatuor qui parle de musicalité, qui d'une certaine manière est le sujet le plus sérieux. »-, puis les originaux sixième et septième, tous deux composés pour s’adosser aux danseurs de ballet, plus complexes, moins immédiatement accessibles -et en un seul mouvement pour le dernier.

Vient alors, en 2018, le huitième de ces quatuors, dérivé d’un solo de piano offert au boss du label Nonesuch, œuvre qui évoque l’héritage de Schubert et dont les contrastes, y compris en matière de rythmes, ramène, par une tout autre voie, à cette intériorité de l’auditeur. Puis, pour le Quatuor Tana, qui n’aime rien tant que décloisonner les esthétiques -et le fait avec élégance et justesse-, le compositeur transforme sa pièce écrite en 2019 pour King Lear, tragédie shakespearienne montée à Broadway par Sam Gold, pour en faire son neuvième quatuor, dont les cinq mouvements sont, pour reprendre les mots des interprètes, « des petites miniatures, avec des ambiances et des recherches sur le timbre tout à fait nouvelles pour Philip Glass, et ça donne un opus très singulier » -où l’on retrouve certaines des structures répétitives de ce fondateur de la musique minimaliste américaine (le plus prolifique et à l’influence la plus forte dans le domaine de la musique de masse), presqu’en clin d’œil, comme ce gimmick rythmique du troisième mouvement, aussi visuel, (indûment) candide et imparable qu’une parade de Mickey chez Walt Disney ou comme le cinquième mouvement, d’abord griffé par le violoncelle avant de s’échapper vers des cieux plus débonnaires, mais aussi une place, sinon inédite du moins rarement aussi prégnante, pour la mélodie, tout simplement : écoutez en boucle le premier mouvement, à la beauté farouche.

Son : 8 – Livret : 5 – Répertoire : 8 – Interprétation : 8

Bernard Vincken

 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.