Portrait de compositrice : Mélanie-Hélène Bonis dite Mel Bonis (I)

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Crescendo-Magazine, par la plûme d'Anne-Marie Polomé, publie (en épisodes) un portrait de la compositrice Mélanie-Hélène Bonis dite Mel Bonis. 

Comment une jeune fille née en 1858 dans une famille de la petite bourgeoisie française très catholique et non musicienne, peut-elle développer une maîtrise de la composition qui la placerait très haut parmi les élites de la profession…si elle était un homme ? Quelles sont les embûches qu’elle devra franchir, les traumatismes qui l’accableront et la laisseront épuisée, mais dont elle se libérera par la musique ? Comment se fait-il qu’elle soit encore connue aujourd’hui, contrairement à d’autres compositrices, également douées?

Famille

Le 21 janvier 1858, une petite Mélanie-Hélène naît au foyer de Pierre-François Bonis (Gentilly 1826-Sarcelles 1900) et de son épouse Marie Anne Clémence Mangin (Paris 1836-1918). Deux autres petites filles la suivront, Eugénie-Caroline en 1860 et Clémence-Louise en 1862, mais la benjamine décède à l’âge de 2 ans, laissant Mélanie désespérée. La famille occupe un appartement 24, rue Rambuteau, proche du centre de Paris. Elle déménage par la suite dans un plus grand appartement situé non loin, 18, rue Montmartre. 

A cette époque, Pierre-François, très cultivé et sensible, est ouvrier en horlogerie avec le statut de contremaître dans l’entreprise Bréguet, fondée à Paris par Abraham-Louis Bréguet, en 1775, et spécialisée dans l’horlogerie de luxe. Il deviendra « horloger électricien ». Son épouse travaille comme passementière à son domicile. Elle confectionne des ouvrages tissés ou tressés utilisés pour orner les vêtements ou l’ameublement. Elle est une mère très exigeante élevant ses enfants selon les normes strictes de la morale catholique de l’époque. Mélanie gardera, toute sa vie, une foi profonde, animée par une grande piété. Se souvenant de sa première communion, elle confiera plus tard, dans ses mémoires « J’étais pénétrée du mystère qui allait s’accomplir en moi ». A cette occasion, les enfants avaient chanté « Oui, de mon âme, Dieu devient l’époux ». 

Très bien élevées, Mélanie-Hélène et sa sœur Eugénie-Caroline, pourront briller dans la « bonne » société, si l’occasion se présentait.

A peine âgée de 18 ans, Eugénie-Caroline épouse l’ingénieur industriel, Georges Charles Théodore Aboilard (1852-1908), un inventeur de matériel téléphonique qui obtint une Médaille d’Or à l’Exposition universelle d’Anvers de 1885. Devenu Directeur de la Société du Matériel Téléphonique (Paris), il sera promu Officier de la Légion d’Honneur, en 1904 après avoir eu le grade de Chevalier en 1900. 

Ils auront un enfant, Louise-Caroline, née à Paris, le 22 décembre 1879. 

Apprentissage de la musique

Par chance, un piano bien accordé trône dans une des pièces de la maison familiale des Bonis. Personne n’en joue, mais, toute petite, Mélanie s’intéresse déjà à l’instrument et reproduit les airs des chansons qu’elle connaît. Elle se met à improviser avec fougue et met de l’ambiance lors des fêtes pour enfants. Sa mère se dit « dérangée par ce bruit ». Plusieurs amis de la famille sont frappés par le talent de cette toute jeune autodidacte, dont Monsieur Digney, habile mécanicien dans le domaine de la télégraphie électrique naissante. C’est surtout la remarque pragmatique d’un musicien, Jacques Hippolyte Maury (1834-1881), qui décida du destin de la petite fille : « Pour une jeune fille, le talent musical est un élément de séduction, un atout supplémentaire qu’elle apportera dans la corbeille de mariage ».

Elle a 12 ans quand ses parents acceptent de lui faire donner des cours de solfège et de piano. Intelligente, appliquée et joyeuse, elle réussit aussi très bien à l’école. Monsieur Maury, devenu professeur de cornet à piston au Conservatoire de Paris en 1874, observe les progrès de Mélanie. A 18 ans, elle déchiffre facilement les partitions qu’elle joue avec assurance et sensibilité. Elle improvise aussi, car son imagination est débordante. L’orgue l’attire, car il pourrait « l’approcher de Dieu ». C’est l’instrument qu’elle entend fréquemment lors des offices religieux. Sa famille ne fréquente pas les salles concerts. Jacques Maury qui, en 1879, a épousé la compositrice et enseignante Marie Léonie Renaud (1852-1928), présente Mélanie à César Franck (Liège 1822-Paris 1890), son collègue en charge de la classe d’orgue au Conservatoire depuis 1871.

César Franck lui donne des cours particuliers de piano, l’initie à la composition puis l’introduit au Conservatoire de Paris où elle s’inscrit en décembre 1876. Elle a 18 ans. Comme dans les écoles, les classes du Conservatoire ne sont généralement pas mixtes à cette époque.

Mélanie s’inscrit dans la classe, pour femmes, d’harmonie et d’accompagnement musical chez l’excellent professeur Ernest Guiraud (1837-1892). Elle suit également des cours d’écriture musicale. César Franck, lors de ses cours d’orgue, enseigne aussi l’improvisation et accueille les élèves en composition de ses collègues, comme élèves libres. Mélanie, attirée par cet instrument, y assiste. Ils ne sont pas mixtes, mais des dames-chaperons surveillent, tout en cousant. 

Voici ce qu’on découvre dans les Archives Nationales de la culture du gouvernement français :

« BONIS (Mélanie, Hélène, dite Mel)

née le 21 janvier 1858 à Paris

décédée en 1937 

admission au Conservatoire le 30 décembre 1876

1878 : 1er accessit d’harmonie et accompagnement, classe des élèves femmes  

1879 : second prix d’harmonie, classe des élèves femmes  

1880 : 1er prix d’harmonie, classe des élèves femmes. » 

Son résultat de 1878 lui permet de poursuivre ses études.

L’année suivante, Mélanie continue l’harmonie avec Ernest Guiraud et suit les cours d’accompagnement avec le compositeur et organiste Auguste Bazille (1828-1891).

Ses résultats de 1879 et de 1880 lui permettent d’être sélectionnée pour le cours de composition donné par Ernest Guiraud.

Ernest Guiraud la trouve « excellente élève, très intelligente » et, répondant à ses vœux en janvier 1880, lui écrit : « …Comme je serais embarrassé d’avoir un jour à vous gronder comme professeur si vous n’étiez pas de celles auxquelles on n’a que des éloges à faire… ».

En charge de la classe de composition depuis 1880, il dit apprécier le travail des deux débutants, Claude Debussy (1862-1918) et Mélanie Bonis.

Dans les rapports conservés aux Archives Nationales à Paris, voici ce qu’Auguste Bazille écrit à son sujet : « Très douée, bonne musicienne, jolie harmonie. Lit bien l’orchestre. Malheureusement, a trop peur. Je suis très content de cette élève ». En janvier 1881, il note : « La plus forte de la classe, mais la peur la paralyse ».

Mélanie reçoit un 1er accessit de composition en 1881 avec une pièce pour piano, « Impromptu » [op. 1], son premier morceau. Elle n’est pas autorisée à concourir pour le Prix de Rome de composition musicale qui lui permettrait de continuer sa formation en Italie, car le prix ne s’ouvre aux femmes qu’en 1903. La première lauréate, Hélène Gabrielle Fleury (1876-1957), le reçoit en 1904.

Jeune fille agréable et travailleuse, Mélanie est appréciée dans l’institution. Parmi les élèves qu’elle côtoie on trouve les chanteurs qu’elle accompagne au piano. 

C’est ainsi qu’en 1879, elle fait la connaissance d’Amédée Louis Landély Hettich né à Nantes en 1856 d’une mère française et d’un père italo-allemand. De deux ans son aîné, il est inscrit en classe de chant chez le ténor, violoniste et compositeur Jean-Jacques Masset (Liège 1811-1903) et suit les cours de « solfège chanteurs hommes » avec Adolphe-Léopold Danhauser (Paris 1835-1896), musicien, compositeur et théoricien de la musique. Hettich souffre souvent d’angines, ce qui le dessert malgré ses capacités vocales. Monsieur Masset écrit qu’il « a fait beaucoup de progrès. Il a été très malade ces derniers temps et n’a pas pu travailler autant qu’il l’aurait voulu. Ce jeune homme est intelligent, poète à ses heures et doit devenir un chanteur distingué (vocalise facile) ».

Hettich est polyglotte et jouit d’une vaste culture. Doué en écriture, il publie des articles dans le journal « L’Art musical » fondé par Léon Escudier (1821-1881), éditeur, musicologue, critique musical et écrivain. Son nom d’auteur y est Landély-Hettich, A. (A. L.-H.). Il est critique de concerts et sa rubrique, une causerie musicale, paraît presque chaque semaine. Cette activité dévoreuse de temps le passionne et l’introduit dans le monde musical parisien et dans celui de l’édition. Il manifeste aussi des dons de poète.

En 1881 Mélanie compose une mélodie avec accompagnement au piano, basée sur une poésie de Hettich « Sur la Plage »  .  

La plage était déserte ; un murmure indécis

Flottait parmi l’espace éperdu dans la brume.

Le soleil se couchait éclaboussé d’écume ;

Dans l’ombre, je rêvais à ses côtés assis. 

Le ciel resplendissait d’étoiles.

L’ombre à nos pieds mourait sans bruit.

A l’horizon erraient des voiles

Dans la pénombre de la nuit.

Veux-tu lui disais-je, mignonne,

Jusqu’à mourir aimer ici ?

Ton cœur comme le mien frissonne,

N’est-ce pas le bonheur aussi ?

Elle se taisait. Son silence

Me semblait encore plus charmant.

Rien n’est doux comme l’espérance

En face du recueillement.

Cette mélodie est offerte et dédicacée à Arthur Cobalet (1855-1901), entré comme baryton à l’Opéra-Comique en 1882.

La même année, une autre mélodie de Mélanie, la Villanelle «Voici venir la saison douce » avec accompagnement au piano, est composée sur la poésie pastorale de Hettich :

Voici venir la saison douce 

Où les oiseaux s’en vont par deux,

Ignorants de ce qui les pousse

Mais plus tendres et plus joyeux.

Laissez votre âme ouvrir son aile,

Et comme eux avec le printemps :

Aimez, aimez, vous êtes belle

Et l’on ne sait aimer qu’un temps.

Elle est offerte et dédicacée au ténor Jean-Alexandre Talazac (1853-1892), entré à l’Opéra-Comique en 1873 où, grâce au soutien de ce dernier, son ami Arthur Cobalet, a été engagé.  

Ces deux mélodies seront publiées, en 1884, par la maison d’édition du compositeur et pianiste Léon Grus (qui a absorbé les éditions Léon Escudier en 1882).  

Forcée par ses parents, qui se méfient de la carrière musicale en général et trouvent le milieu artistique malsain, Mélanie quitte le Conservatoire à l’automne 1881. Ils ont refusé la demande en mariage de Hettich, trop jeune artiste dont la carrière est encore imprévisible. Mélanie deviendrait donc vendeuse ou couturière ou, peut-être, professeur de piano jusqu’à ce que ses parents trouvent, pour elle, un parti qui lui offrirait une place dans le « grand monde » dont sa jeune sœur fait déjà partie. Seule sa foi intense lui permet de tenir le coup. Son amour de jeunesse va-t-il s’éteindre ?

Mélanie abandonne l’institution munie d’une habileté certaine en composition et d’un nom d’artiste, Mel Bonis, qu’elle a choisi pour ne pas être cataloguée d’office comme femme. Elle est regrettée par ses maîtres, pleins d’espoir pour elle. Ernest Guiraud lui écrit : « J’espère toutefois que ce contretemps ne vous aura pas fait renoncer à vos projets de travail… Je suis tout à votre disposition, et avec grand plaisir je vous assure. Vous n’êtes pas des élèves qu’on abandonne, mais bien de celles qu’on continue à suivre avec intérêt ».  

Dans ses « Souvenirs et Réflexions » publiés par sa fille Jeanne Brochot en 1974, Mélanie écrit :

« Je voudrais pouvoir décrire l’état d’âme à la fois si angoissant, torturant et délicieux où me plonge la musique, celle que j’aime. Je devrais pouvoir le faire. J’ai tant éprouvé cette sensation aiguë jusqu’à la douleur, même tout enfant (je pourrais dire, surtout étant enfant). C’était comme une agonie d’aspirations vers le bonheur, une tension de tout (mon ?) être sensible, cordial, vers une chose qui nous sourit et se dérobe à la fois ». 

Son époux et sa famille

Au début de 1883, des amis des parents Bonis leur présentent Louis Hubert Jacques Albert Domange, habituellement prénommé Albert, né à Paris en 1836, qui ferait un époux idéal pour Mélanie. C’est un homme dynamique et jovial qui doit sa fortune à une grande intelligence et à son implication dans le travail.

Alors que l’industrie mécanique se développe, Eugène Scellos (1820-1872) crée, en 1848, avec quelques compagnons, une entreprise de corroyage, une Manufacture de Cuirs et Courroies. En 1858, Albert Domange, âgé de 22 ans, rejoint la société. Enthousiaste et très au fait des progrès mécaniques, il permet à cette société de se développer, notamment par l’achat de tanneries dont une, à Sens, qui produit des cuirs de grande qualité destinés à la fabrication industrielle. En 1883, après le départ du dernier fondateur de l’entreprise Scellos, Albert en devient propriétaire et gérant. Elle était devenue la plus importante maison française pour la courroie et les cuirs industriels. La société, qui se déploie sur plusieurs sites, porte alors le nom de « A. Domange Fils » et restera longtemps une entreprise familiale, les fils succédant à leurs pères. Les courroies, par milliers de mètres, sortaient chaque jour des ateliers et étaient exportés même dans les pays les plus reculés, Inde, Cuba, etc...

Cette société a remporté tous les grands prix aux expositions internationales auxquelles elle a participé.

Par décret en date du 20 mai 1903, rendu sur le rapport du ministre des colonies, est promu au grade d’Officier de la Légion d’Honneur, Domange (Louis-Hubert-Jacques-Albert), manufacturier, chevalier du 27 décembre 1888 : Services distingués rendus comme vice-président du comité d’organisation de la classe 28 et membre du jury à l’exposition de Hanoï.

Quand Albert Domange rencontre Mélanie Bonis, il a 47 ans et est veuf de ses deux premières épouses mortes des suites d’accouchements.

Henriette Scellos (1845-1871), la fille unique de son patron Eugène Scellos, qu’il a épousée en 1864, lui a donné 3 enfants vivants : Henri, né en 1865, Eugène en 1867 et Edouard en 1869. 

L’anglaise Marthe Farrington (1844-1880) épousée en 1873 lui laisse 2 fils, René, né en 1874 et Alfred en 1880. 

Mélanie Bonis est donc promise à Albert Domange. Elle accepte, en fille soumise. Selon l’habitude des femmes pieuses à l’époque, elle suit une retraite qui l’apaise. Elle rend grâce à Dieu, le Tout puissant et « tout amour », qui lui donne un époux choisi par ses parents, donc par Lui. Elle s’engage à tenir son rôle d’épouse chrétienne. Outre sa responsabilité du service domestique elle devra assurer l’éducation des enfants et le bien-être de son mari. Elle souhaite même l’aider à renforcer sa foi. 

Le mariage civil a lieu le 11 septembre 1883 suivi du mariage religieux, le 15 septembre 1883.

Mélanie accède alors à la haute bourgeoisie parisienne. Elle reste active dans sa paroisse. Son époux possède un hôtel particulier à Paris, 60, rue Monceau, dans un quartier prisé par la bonne société parisienne, une somptueuse propriété de campagne avec terrain de tennis, serre et étang, à Sarcelles, non loin de Paris, et une villa de quatre étages faisant face à la mer à Etretat. Le personnel, essentiellement d’origine alsacienne, compte jusqu’à douze domestiques, dont une institutrice et une gouvernante. Mélanie s’adapte rapidement et se fait vite accepter par les enfants. 

C’est à Sarcelles que continuera l’éducation des plus jeunes enfants d’Albert, René et Alfred, tandis qu’Henri, Eugène et Edouard sont dans un internat. Elle mettra au monde Pierre en 1884, Jeanne en 1888 et Edouard en 1893. Ce dernier porte le prénom de son demi-frère décédé d’une méningite à l’âge de 22 ans, l’année qui précède sa naissance.

Tout en consacrant beaucoup de temps à ses occupations d’épouse, de mère stricte et de femme du monde qui sort, reçoit et accompagne souvent son mari en voyages d’affaire, elle garde contact avec des amis musiciens et essaie de ne pas oublier ses bases pianistiques. Son époux, qui n’est pas grand amateur de musique, accepte que Mélanie travaille son instrument et compose, mais pas sous son nom d’épouse. Entre son mariage et 1891, elle a peu de temps pour se consacrer à son art.

Elle propose ses œuvres, anciennes et récentes, à divers éditeurs, Grus, Durdilly, Hamelle, Leduc, Eschig, Simrock… avec plus ou moins de succès. Exigeante vis-à-vis d’elle-même, Mélanie complète, entre 1908 et 1909, ses études d’orchestration auprès du baryton et compositeur, Charles Koechlin (1867-1950).

En 1897, la famille passe le plus clair de son temps, 60, rue Monceau à Paris. Celle qui, à force de prières, avait réussi à renoncer à son amour pour Amédée-Louis Hettich, le retrouve. 

Après un séjour en Italie, Hettich, marié à une harpiste polonaise, avait rejoint Paris où il avait obtenu un poste de professeur de chant au Conservatoire. Il est soucieux de pédagogie. La vocalise, pièce chantée sur une seule voyelle était un supplice ennuyeux pour ses élèves. Grâce au concours de compositeurs talentueux de tous pays dont Gabriel Fauré, Heitor Villa-Lobos, Maurice Ravel, Olivier Messiaen, et cela pendant 30 ans, il remplace petit à petit le pénible exercice en une authentique prestation artistique. « La mère féconde de tous les ornements » est devenue une œuvre d’art. De par sa collaboration avec la maison d’édition musicale Alphonse Leduc, il rend sa nouvelle méthode accessible à tous : plus de 150 vocalises sont réparties dans les 14 volumes du Répertoire Moderne de Vocalises-Etudes.

Il est toujours chanteur, poète et critique musical. Il tient trois rubriques dans la revue « L’art Musical » (Leduc) sous les pseudonymes de Landély, Amédée L. et Héler, pour éviter tout rapprochement avec son nom sur scène et à la ville.

Dans les années 1890, Hettich et Mélanie Bonis, devenue Madame Domange, se rencontrent dans les bureaux Leduc. Il encourage Mélanie à composer et l’aide à se faire une place dans les salons parisiens où sa musique recueille un beau succès. Il lui ouvre les portes de grands éditeurs musicaux.

Mélanie participe activement avec lui à l’élaboration d’une collection « Les Airs classiques »  allemands, italiens, anglais, dont le premier volume « Händel », publié à Paris en 1900 par Rouart, Lerolle & Cie, précise : « Nouvelle édition avec paroles françaises, d’après les textes primitifs revus et nuancés par A.-L. Hettich, Professeur au Conservatoire, avec Amédée-Louis Hettich (1856-1937) comme Editeur scientifique ». Malheureusement, le nom de Mélanie Domange-Bonis ou Mel Bonis n’apparaît pas dans cette collection. 

La flamme de leur premier amour ne s’est pas éteinte et Mélanie tombe enceinte à 40 ans. Anéantie par cette nouvelle qu’elle cache aux siens, elle déprime profondément. Avec une dame de confiance, elle quitte sa maison « pour aller se ressourcer à l’étranger ». Le nouveau-né, Jeanne-Pauline-Madeleine Verger, qui voit le jour le 8 septembre 1899, est confiée à une famille honorable, celle d’une ancienne femme de chambre de Mélanie mariée à un cordonnier et vivant à la campagne. En 1912, Hettich, qu’elle appelle son « Parrain », la reconnaît officiellement comme sa fille, son épouse étant alors décédée. 

La pieuse Mélanie, qui se fait appeler « Marraine » par Madeleine, se reprochera toujours amèrement ce faux pas qui entraîna un bouleversement majeur dans sa vie. Elle réussira à sublimer sa douleur, la transformant en création artistique. Dès le début de la guerre, Mélanie invite Madeleine à passer quelques jours de vacance à Etretat comme « enfant cachée ». Jeanne, fille légitime de Mélanie, la prend sous son aile. Ses deux fils, Pierre et Edouard ont été enrôlés dans l’armée.

Après le décès de son mari, le 31 mars 1918, elle recueille la jeune fille, car la mère d’accueil est décédée. L’enfant a subi un énorme traumatisme pendant la guerre. Lors du bombardement de l’église Saint-Gervais de Paris par la « Grosse Bertha », elle a vu la mort frapper plusieurs de ses condisciples de l’internat Sainte Geneviève, assistant comme elle à l’office du Vendredi saint,  le 29 mars 1918. 

Edouard, une fois démobilisé, tombe amoureux de Madeleine. Sous le sceau du secret, Mélanie doit leur avouer la vérité : ils ont la même mère.

Pour la petite histoire, Edouard épousa Françoise Duroyaume (1899-1942) en 1919 et eut quatre enfants, Claude en 1920, Huguette en 1923, Daniel en 1925 et Yvette en 1929. 

Quant à Madeleine, elle épousa, en 1923, Pierre Quinet, né en 1889. Ils auront trois enfants, Marie-Anne en 1926, Claudine en 1927 et Michel en 1933. Madeleine a hérité du don de ses parents pour la musique. 

Evolution de la carrière

La carrière de compositrice de Mélanie Bonis comporte trois périodes 

La première se termine en 1899, à la naissance de Madeleine.

La deuxième s’étend de 1899 à 1922, quatre ans après le décès de son mari. De 1914 à 1922, elle compose très peu.

La troisième s’étend de 1922 à 1937.

Mel Bonis a composé, surtout entre 1892 et 1914, une œuvre importante, de style postromantique. On estime sa production à environ 300 pièces. Sa musique très bien écrite et d’une grande sensibilité est aussi très variée. Elle va du drame à l’humour, avec parfois des dépaysements orientalistes ou impressionnistes. Elle touche à tous les styles sauf à l’opéra. Elle a composé des mélodies, des airs de danse, de la musique pour chœurs, de la musique de chambre (28), des œuvres pour piano (76), pour harmonium ou orgue (27), des œuvres vocales profanes (36) ou religieuses (26), ces dernières étant parfois jouées dans des églises. La musique pour orchestre, avec ou sans voix impliquant des instruments variés (harpe, cor, violon, alto, violoncelle, flûte traversière, clarinette, basson…) est adaptée aux salons, comme celui de Jeanne Monchablon (petites formations) ou aux grandes salles : Pleyel, Erard, Berlioz, Gaveau…

Mélanie étant perfectionniste, certaines œuvres ont subi des nombreuses révisions avant d’atteindre leur forme définitive. Ses manuscrits, très souvent dédicacés à des membres de sa famille ou à des amis, ne sont pas toujours datés.

On lui connaît plusieurs pseudonymes dont L. de Poul ar Feuntun (nom d’une ferme bretonne), Jacques Normandin, Juan Sanchez, Fricoto Pusslink, Henry Wladimir Liadoff...

Première période

La musique « contemporaine », qui touche le public d’alors, vit de beaux jours. De nombreux journaux musicaux ont du succès, « L’Art Musical », « Le Ménestrel », « Piano-Soleil » …

Pour promouvoir cette musique, on organise des concours de composition. « Piano-Soleil » en organise un chaque année, sur des thèmes différents. Celui de 1891 est la valse. 

Mel-Bonis y participe et avec « Les Gitanos », une grande valse espagnole pour piano dédiée à son père, elle figure, le 18 octobre 1891, en tête d’une liste de 10 lauréats sous le nom de M.Bonis à Sarcelles (Seine et Oise). Son œuvre est publiée par la maison d’édition Hamelle qui y ajoute un arrangement pour piano à quatre mains. Ce succès stimule son énergie créatrice. 

Mélanie prend part aussi à des concours organisés par la Société des Compositeurs de Musique en 1898 et en 1904.

Le 16 février 1899, elle obtient le premier prix ex aequo avec Théophile Sourilas, grâce à sa « Suite pour hautbois, cor, violoncelle et harpe chromatique sans pédale », une version de sa « Suite orientale ». Cette œuvre primée est jouée le 23 mars 1899 à la salle Pleyel, ce qui fait connaître la compositrice à un public plus large. 

Une « Suite en forme de valses » publiée par Leduc en 1898, rassemble trois pièces, « Ballabile, Interlude et Valse lente, Scherzo-Valse ». Ce sont des œuvres pour un orchestre assez restreint (une flûte, un hautbois, deux clarinettes, un basson, deux cors, des timbales et quelques instruments à cordes), adaptées pour les salons particuliers, fréquents à l’époque. 

En 1884, la maison d’édition L. Grus publie « Etiolles : valse pour piano » avec la dédicace « A ma mère chérie, sa petite Mélanie ». Etiolles est le village où habitent alors les parents de Mélanie. Son fils Pierre y est né.

Deuxième période

Le 22 avril 1905, Mel Bonis obtient une mention honorable pour une « Suite pour harpe chromatique et deux instruments à vent », une œuvre perdue qui a peut-être été la première version des « Scènes de la forêt » de 1927 pour piano, flûte et cor.

Elle rétrocède systématiquement les sommes gagnées aux sociétés organisatrices des concours. 

En 1907, elle devient membre du comité de direction de la Société des Compositeurs de Musique. Après sa réélection en 1910, elle entre au bureau en tant que secrétaire jusqu’en 1914. Elle est la première femme à accéder à ce poste.

Cette Société l’aide à se faire connaître en annonçant ses œuvres « éditées ou exécutées en public pour la première fois » et en organisant, salle Pleyel, des concerts où l’on interprète l’une ou l’autre de ses partitions et dont elle tient souvent la partie piano. C’est surtout entre 1909 et 1914 qu’elle défend ses œuvres en public. Cela lui procure une publicité amplifiée par la presse.

Jamais Mel Bonis n’interprète au piano, en public, d’autres œuvres que les siennes et jamais elle n’accepte d’être payée pour ses participations à des concerts. Elle vise plutôt la reconnaissance par ses pairs.

Anne-Marie Polomé

Crédits photographiques : DR

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