Premier enregistrement de l’intégrale d’orgue d’une figure majeure de la vie musicale finnoise du second XXème siècle

par

Erkki Salmenhaara (1941-2002) : intégrale de la musique d’orgue. Jan Lehtola, orgue de la Cathédrale de Turku.  2018. Livret en anglais. TT 56’34. Toccata Classics TOCC0515

Après ses études auprès de Jonas Kokkonen à l’Académie Sibelius, Erkki Salmenhaara (1941-2002) débuta en 1963 comme critique pour le quotidien Helsingin Sanomat. Muni d’un doctorat de musicologie, il conquiert plusieurs responsabilités institutionnelles au long des années 1970 : professeur, Président de la Société des Compositeurs Finlandais… On lui doit aussi des biographies (dont Leevi Madetoja) et maints travaux universitaires d’esthétique et d’analyse. Son aguerrissement à Vienne auprès de György Ligeti, à qui il consacra sa thèse, influença ses premières œuvres. La radicalité de son langage initial évolua vers diverses tendances dont témoignent son écriture pour orchestre ou piano : néo impressionnisme, minimalisme, nouvelle simplicité teintée de nostalgie. Dans l’épais livret, Jan Lehtola défend l’idée que l’orgue fut une sorte de laboratoire d’expérimentation pour sa production symphonique. On ne peut toutefois s’empêcher d’observer que cette intégrale, cadrée sur deux décennies (1965-1985) dure moins d’une heure, et que le compositeur n’a rien écrit pour les tuyaux après ses quarante-cinq ans. 

À la proue, la Toccata de 1965 témoigne des tendances d’avant-garde, dans le sillage de la troisième Symphonie : originellement conçue en un seul bloc, elle fut réaménagée en triptyque. Le Pesante empile de lourds accords granitiques, dissonants. Animé au gré d’un flux qui se délie, le Moderato s’avère plus poétique et aéré quant au timbre, de même que le Misterioso-Grave, progressivement saturé par des clusters. Folke Forsman en assura la première audition, à Oslo, et dans la foulée l’enregistra à la Sipoon kirkko d’Helsinki (un document réédité chez le label Fuga). Intrada (1967) dévie peu de ce protocole aux harmonies chargées, mais s’agence sur une mobilité bienvenue, osant même parallélisme des voix et imbrication contrapuntique qui déjouent la stricte verticalité du discours. Prelude-Interlude-Postlude (1969) rappelle le schéma et l’austère langage de la Toccata. D’asphyxiantes chapes au pédalier vont se désincarcérer par des jeux de textures certes très fournis, mais plus lumineux. Le deuxième volet se décante dans une veine impressionniste. Le bref troisième se stratifie par des quartes, tritons et quintes où s’entretoise un essor hymnique, sans se départir d’un pondéreux statisme. Folke Forsman avait déjà gravé cette pièce en janvier 1981 pour Finlandia, sur le même instrument de Turku, alors tout nouvellement construit.

La Canzona (1970) marque un virage. À l’approche de ses trente ans, le compositeur s’affranchit ici du credo moderniste environnant et affirme un style moins emprunté. Les idées se raffinent autour d’une architecture d’intensité en arche. Un ostinato flûté sous-tend une mélodie aux anches douces, tourmenté par une seconde section (3’27) en croches sur mesure ternaire, de plus en plus douloureuse, avant un apaisant reflux et une ultime résolution sur ut majeur !

Ricercata (1977) commence et se conclut par des grappes abrasives striées de chamades, enserrant un matériau prospectif (comme suggère le titre italien) qui prolifère autour de formules répétitives et incantatoires. Le catalogue se referme sur une commande (1985) de la Radio nationale, annoncée ici comme « first recording » : Introduction hiératique puis rêveuse, où l’on détecte des polarités tonales. Toccata qui s’élance avec une directivité peu commune chez cet auteur, quoique brièvement déployée.

« Si Salmenhaara avait été plus pugnace, plus engagé dans son autopromotion, sa musique pourrait être bien mieux connue internationalement » estime Martin Anderson dans le contour biographique en page 4 de la notice. Façon d’avouer qu’elle reste très peu jouée dans le monde, dans son propre pays, même par l’organiste qui nous offre ici ce panorama. Sauf erreur, Jan Lehtola n’avait encore jamais inclus ces œuvres lors de ses concerts, alors qu’il découvrit ce compositeur dès l’adolescence au travers ses créations orchestrale ou pianistique. Après s’être penché sur la plupart des contemporains (Paavo Heininen, Jouko Linjama, Einojuhani Rautavaara, Kalevi Aho, Joonas Kokkonen, et récemment Harri Ahmas en 2018, pour le même label Toccata), cela semblait logique d’honorer Salmenhaara.

Le présent disque combine les atouts pour le promouvoir, et tester son succès auprès des auditeurs. Le livret procure dix pages d’explication et mise en perspective pour appréhender ce corpus. La large palette (environ 80 jeux) et l’intelligibilité de l’orgue de Turku permettent de clarifier les agrégats parfois inextricables des partitions, dont Jan Lehtola domine toutes les difficultés. Ce que cet univers recèle de raide ou ingrat, notamment les trois premières œuvres concédées au carcan d’avant-garde, la captation tant ample que transparente le présente sous son visage le plus éloquent. Bref ce CD se fait l’idéal avocat que pouvait espérer cet œuvre dense et exigeant.

Christophe Steyne

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 7 – Interprétation : 10

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