Premier jalon d’une intégrale orchestrale de Vítězslav Novák

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Vítězslav Novák (1870-1949) : Suite sud-bohémienne op. 64, pour orchestre ; Toman et la Nymphe des bois op. 40, pour orchestre. Orchestre philharmonique de Moravie, direction : Marek Štilec. 2019. Notice en anglais. 56.11. Naxos 8.574226.

Le label Naxos propose le premier album d’une série consacrée à l’œuvre orchestrale de Vítězslav Novák. En 2017, le même éditeur a déjà publié un CD où l’on retrouvait trois pages du compositeur tchèque : Dans les montagnes de Tatras, Lady Godiva et Éternel désir, confiées à l’Orchestre Philharmonique de Buffalo sous la direction de JoAnn Falletta (8.573683). Cette fois, c’est un ensemble morave, dirigé par Marek Štilec, qui est sollicité. L’avenir nous dira comment ce parcours novákien est envisagé ; il attire en tout cas notre attention sur un créateur un peu occulté par les grandes pointures de la musique tchèque.

Né à Kamenice, une commune située à une vingtaine de kilomètres de Prague, Vítězslav Novák est l’élève d’Antonin Dvořák au Conservatoire de la capitale ; attiré par le folklore, il entreprend en 1896 un voyage dans les contrées slovaques et moraves et engrange des thèmes populaires qu’il utilisera par la suite. Il s’installe à Brno et compose abondamment pour la société philharmonique de cette cité, notamment l’extraordinaire cantate La Tempête, peut-être bien son chef-d'œuvre. Mais il est appelé à Prague où il succède à son illustre professeur dès 1909 pour une carrière d’enseignement qui va durer trente ans. Compositeur apprécié et reconnu dans son pays, Vítězslav Novák s’inscrit dans la ligne des romantiques allemands, ainsi que dans celle de ses prédécesseurs Smetana, Dvořák, Fibich et  Janáček. Occulté toutefois par la gloire de ce dernier,  Novák, qui n’est pas un novateur, comme le précise Guy Erismann dans son ouvrage La musique dans les pays tchèques (Paris, Fayard, 2001, p. 402-403), représente, avec Josef Suk, la permanence de la poétique musicale tchèque fortement ancrée dans la tradition

La connaissance de la musique folklorique marque la création de Vítězslav Novák : il utilise des thèmes traditionnels tout en y intégrant des éléments personnels. Il n’en abandonnera pas pour autant sa tendance à un postromantisme, au sein duquel symbolisme et impressionnisme sont toujours présents. Son catalogue est impressionnant : opéras, ballets, musique de scène, musique de chambre et instrumentale, mais surtout abondante production orchestrale, où l’on découvre de superbes symphonies chorales, un concerto pour piano, un triptyque pour orgue et orchestre, des sérénades, des ouvertures, des poèmes symphoniques. Le présent CD propose deux partitions écrites à trente ans de distance.

Le poème symphonique Toman et la nymphe des bois date de 1906-1907, époque de Brno ; il a été créé l’année suivante par la Philharmonie Tchèque, sous la direction de Karel Kovařovic, en même temps que d’autres compositions de Novák. Cette page imposante de plus de vingt-cinq minutes est influencée par l’audition de la première pragoise de l’opéra de Richard Strauss, Salomé.  Novák entreprend l’écriture d’une œuvre qui oscille entre le surnaturel et la passion humaine. Décidé à rendre visite à sa bien-aimée au seuil de l’été, le jeune Toman découvre qu’elle l’a abandonné pour un autre. Il mourra dans les bras d’une fée des bois. Sur cette trame, le compositeur construit une partition brillante, orchestrée avec vigueur, les bois, les cors et les trompettes étant sollicités dans un contexte luxuriant, avec un épisode poétique dévolu au violon solo.  Novák évoque avec habileté la nature, mais aussi les sentiments amoureux qui conduisent à la passion, à la jalousie et au désespoir. Les frémissements parcourent une œuvre descriptive impressionnante, pleine de fièvre et d’exacerbation, dans une réminiscence exaltée des poèmes symphoniques de Dvořák.

La Suite sud-bohémienne date de 1937. Elle est dédiée à Erich Kleiber, qui en donna la première à Prague à la tête de la Philharmonie tchèque au cours de l’été, et la dirigea encore au Festival de Prague de 1955, six mois avant son décès.  Novák est âgé de 66 ans lorsqu’il compose ces quatre mouvements ; la montée du nazisme entraîne un regain de nationalisme en Tchécoslovaquie. A la manière de Smetana,  Novák écrit une œuvre qui, si elle n’atteint pas les dimensions grandioses de Ma patrie, est un hymne à la nature et à l’histoire glorieuse de son pays. Les deux premiers épisodes, Pastorale et Rêverie, s’attardent sur l’horizon, de manière impressionniste, puis sur les forêts et les marécages, avec une volonté poétique mêlée d’aspects fantastiques. Le troisième mouvement, Autrefois, prend une coloration nettement patriotique : Novák cite un extrait du choral hussite « Nous sommes les combattants de Dieu et de sa loi », utilisé par Smetana dans Tabor et par Dvořák dans son Ouverture Husitska ; l’intensité héroïque ne fait aucun doute quant à l’affirmation du sentiment national, confirmé dans l’Apothéose finale, épilogue d’une frappante brièveté qui reprend un passage de l’hymne national Kde domov můj, une chanson populaire. Dans cette partition à la fois lyrique et grandiloquente, reflet d’une âme tchèque tourmentée par l’approche d’événements tragiques,  Novák fait appel à une percussion renforcée, mais aussi à un piano et à un célesta. 

Novák a été bien servi par le disque. Les chefs tchèques n’ont pas négligé leur compatriote. Récemment encore, Jakub Hrůša, à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio de Prague, proposait un couplage de Toman et la nymphe des bois avec le Concerto pour piano, dont le soliste était Jan Bartos (Supraphon). Avec son Orchestre Philharmonique morave, l’une des plus anciennes formations du pays, établie à Olomouc et qui a déjà signé pour Naxos des CD consacrés à Kozeluch, à Beck et à cinq volumes de pages orchestrales de Fibich, amorce une série qui se révèle des plus intéressantes. La phalange et son chef « chantent d’autant mieux qu’ils chantent dans leur arbre généalogique , selon l’expression de Jean Cocteau. Tout est traduit avec l’élan, la générosité et la vitalité lyrique requises, et le travail de l’orchestre apparaît comme bien plus complice avec  Novák que dans les récents volumes Fibich, qui avaient parfois laissé poindre une certaine forme de routine. On attend la suite avec impatience, en espérant que soient prévues au programme La Tempête pour solistes, chœur mixte et orchestre, dont Zdeněk Košler laissé une vision extraordinaire à la tête de la Philharmonie Tchèque en 1978 (Supraphon), mais aussi les symphonies chorales « d’Automne » et « de Mai », qui méritent plus qu’un détour.

Son : 8,5    Livret : 8,5    Répertoire : 9    Interprétation : 9

Jean Lacroix  

 

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