Quatrième volume du cycle debussyste de Mark Elder : précision et subtilité

par

Claude Debussy (1862-1918) : Images pour orchestre ; Prélude à l’Après-midi d’un faune ; La Plus que lente ; Et la Lune descend sur le temple qui fut (orch. Colin Matthews). Mark Elder, Orchestre Hallé. Août 2018 & mai 2019. Livret en anglais, français, allemand. TT 60’44. Hallé  HLL 7554

La Mer, Jeux, Nocturnes, et maintenant les Images au complet : ce quatrième album Debussy de Mark Elder et le Hallé achève leur cycle des grandes pages orchestrales, débuté en 2006. Les deux premiers volumes se partageaient les 24 Préludes pour piano, arrangés par Colin Matthews. Duquel nous retrouvons ici l’orchestration d’Et la Lune descend sur le temple qui fut, tiré des Images de 1907, dont cet enregistrement s’annonce comme first recording. C’est le compositeur lui-même qui procéda à cette instrumentation de La Plus que lente, pour petit ensemble enrôlant (bizarrement) un cymbalum.

Les Gigues révèlent d’emblée une approche méticuleuse, scrutant les jeux de timbres, au prix d’une certaine lenteur, et d’une abrasion du contraste. La lande fourmille mais reste plate et bienséante, même dans le rude de la mesure 101 (3’11), les saillies de 144 (4’39), ou la gerçure des piccolos (6’00), ici peu stridents malgré l’invitation sff. Le délicat écheveau de harpes dans le lointain (5’17) amène en tout cas un crescendo bien dosé.

Même minutie dans Par les Rues et par les chemins, dont les nuances dynamiques sont observées scrupuleusement : les subtils soufflets du hautbois (0’22), la délicatesse de la cantilène hautbois-alto (2’43), de l’expressif et souple des violoncelles (4’37). L’émotion s’insinue, innerve la moindre fibre, mais au risque d’une douceur excessive pour cette imagerie (« il y a un marchand de pastèques et des gamins qui sifflent, que je vois très nettement » disait l’auteur). On admire le soin accordé aux phrases, ainsi les glissandi d’archets à 1’29. Toutefois, certains passages, on les souhaiterait plus extravertis, par exemple les cors (3’30) qu’on voudrait vraiment très en dehors. La transition émerveillée (5’24) avant le retour du tempo primo invite à penser que cette interprétation se nourrit plus de souvenirs que d’évocation : une magie loin des tableaux réalistes de Jean Martinon (Emi) ou Paul Paray (Mercury), sans même invoquer la truculence de Pierre Monteux à San Francisco (RCA) ou l’épure au vitriol de Fritz Reiner à Chicago (RCA).

La magie des Parfums de la nuit est au rendez-vous, ciselant des textures diaphanes : l’épisode un peu plus allant (3’28), la suave rêverie du doux et soutenu (5’36). Pour autant, on n’atteint pas au « chef d’œuvre de luxuriance pré hollywoodienne » dont parle Roger Nichols dans sa notice. Le duende semble plus méthodique que charismatique, et résiste à l’intensité, même dans les bouffées du rubato (4’05). L’alchimie vers Le Matin d’un jour de fête est finement rendue, puis l’orchestre anglais se distingue encore par sa précaution (les pizzicati à 1’17), sa stricte observance. Quelques pupitres sortent du lot, ainsi la clarinette espiègle à 1’36, ou l’équipe de percussionnistes. Néanmoins, les sursauts dramatiques (trompettes à 2’09) sont émoussés, la caractérisation pas toujours saisissante (le hautbois à 2’48, que la partition prescrit gai et fantasque). Le mouvement de marche (3’28) s’anime, sans rivaliser avec l’exubérance du jeune Michael Tilson Thomas (DG, 1971).

Les Rondes de Printemps concluent cette lecture virtuose, qui laisse affleurer une foule de détails en toute transparence. Et quelle agilité (les souffleurs en triolets de double-croches à 0’10) ! Bien sûr, le chef ne renie pas son style, on n’est pas convié à une liesse échevelée, même dans la farandole à 6’51. Le tutti ff (7’38) n’est pas celui d’un soleil aveuglant, ces danses de la nouvelle saison sont celles qui luisent d’un frais renouveau.

Au terme de cette écoute des Images, on peut les comparer à celles de Pierre Boulez à Cleveland (DG, 1991) pour la précision, la légèreté de la palette, et à Pierre Monteux à Londres (Philips, 1963) pour la sensibilité et l’élégance, ce qui n’est pas un mince compliment. Cependant, au-delà du respect littéral, on aurait aimé davantage de relief expressif, d’empâtement, de spontanéité, moins de courtoisie. Contrairement aux clichés d’évanescence et d’impressionnisme, Debussy ne rappelait-il pas « mon ambition première en musique est d’amener celle-ci à représenter d’aussi près que possible la vie même » (interview au Daily Mail du 28 mai 1909) ?

Ce que confirme cette interprétation du Prélude à l’Après-midi d’un faune, toute en dégradés, tendrement dessinée, mais vouée à l’engourdissement, rechignant à la lascivité, protégée par sa chaste sieste. Parmi d’innombrables alternatives, réécoutons la verdeur de Manuel Rosenthal (Vega) ou les audaces de Constantin Silvestri (HMV), moins policées et plus polissonnes. Notre évaluation paraîtra un brin sévère pour un disque intrinsèquement raffiné et fort soigné, mais nous préférons des témoignages qui extirpent le langage debussyste du magasin de porcelaine. Et au sein d’une discographie déjà pléthorique, incluant Stéphane Denève chez Chandos (qui ne fait pas mieux, ni même très différent) parmi les récentes réussites… Le cycle du Hallé n’est au demeurant peut-être pas bouclé, se réserve-t-il maintenant des œuvres moins sillonnées : Children’s Corner, Khamma, La Boîte à Joujoux ? Ou l’historique phalange de Manchester va-t-elle se tourner vers un répertoire français moins labouré ?

Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 10 – Interprétation : 8

Christophe Steyne

 

 

 

 

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