Rebecca Clarke et William Busch : deux mini-intégrales pour piano

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Rebecca Clarke (1886-1979) : Thème et Variations ; Cortège ; ’He Hath Filled the Hungry’. William Busch (1901-1945) : Allegretto quasi Pastorale ; Gigue ; Thème, Variations et Fugue ; Intermezzo ; ‘Nicholas’ Variations. Simon Callaghan, piano. 2021. Notice en anglais. 69.31. Lyrita SRCD.408.

Au-delà des passionnants programmes, essentiellement britanniques, qu’il propose, le label Lyrita est apprécié pour la qualité de ses notices, la plupart du temps éclairées et nourries d’érudition. Ce qui n’empêche pas qu’une distraction puisse se produire. C’est le cas ici : la couverture du présent album et la première page de la notice enlèvent à Rebecca Clarke trente ans d’une existence qui fut en fait très longue. La date de son décès est 1979, et non 1949, comme indiqué à deux reprises. Heureusement, le signataire de la notice de près de dix pages ne commet pas la même erreur. Paul Conway précise bien que cette compositrice au catalogue assez peu fourni a vécu jusqu’à l’âge vénérable de 93 ans ! 

Un peu plus de trente minutes pour Rebecca Clarke, un peu moins de quarante minutes pour William Busch, c’est l’intégralité du legs pianistique que ces deux compositeurs ont laissé à la postérité. Une courte moisson qui permet de les réunir d’une manière qui n’est pas artificielle, puisque Rebecca Clarke a dédié son Cortège d’un peu plus de cinq minutes à William Busch qu’elle côtoya à plusieurs reprises entre 1927 et 1937, Bush faisant référence à ces rencontres musicales ou événementielles dans son Journal. Paul Conway puise largement dans ce dernier, ce qui ajoute à l’intérêt de sa présentation.

Rebecca Clarke fut la première élève féminine de Sir Charles Vllliers Stanford au Royal College of Music, avant d’étudier auprès de Lionel Tertis (1876-1975), célèbre altiste. C’est avec cet instrument que Rebecca atteint la notoriété comme musicienne d’orchestre (elle est engagée par Sir Henry Wood pour le Queen’s Hall Orchestra en 1912), comme chambriste et comme soliste. Elle fera quelques séjours aux USA et y épousera en 1944 le compositeur James Friskin (1886-1967). Elle compose surtout pendant les premières décades du XXe siècle, et se concentre sur la musique de chambre (l’alto est en vedette) et sur des mélodies de salon. Peu soutenue, elle cesse de composer. Son importance sera cependant reconnue tardivement, à l’époque de ses 90 ans. Une active Société Rebecca Clarke a vu le jour en l’an 2000 et s’efforce avec succès de faire revivre son catalogue. Le label Lyrita a publié d’autres albums de sa musique de chambre, notamment avec le violoncelliste Raphaël Wallfisch.

Trois œuvres pour le piano sont à découvrir ici. On a évoqué pour elle des influences d’Ernest Bloch et de Maurice Ravel. Thème et variations de 1908 date de l’époque des études avec Stanford, qui en a suggéré l’écriture. Un thème fleuri précède seize variations contrastées et variées, dans une atmosphère légère, aux accents émouvants, entre chaleur et charme, le tout se déroulant dans un contexte élégant. Tout est déjà dit pour le piano, en dehors de Cortège, pièce lente et solennelle, presque lugubre, dédiée à William Busch en 1930, et d’une transcription d’un air du Magnificat de Bach, qui semble dater du milieu des années 1950.  

William Busch aura de son côté connu une existence plus brève : il est décédé tragiquement avant ses 44 ans, victime d’une hémorragie interne au moment où son talent de compositeur commençait à être reconnu, après une période difficile due à son pacifisme pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce Londonien est l’élève de John Ireland et de Bernard van Dieren à Londres, avant de se perfectionner à Berlin, chez Leonid Kreutzer, et aux Etats-Unis. Il prend des leçons chez Wilhelm Backhaus et Egon Petri. Bush laisse un catalogue un peu plus étoffé que Rebecca Clarke : musique de chambre, pages pour orchestre (dont trois concertos, pour violon, pour piano et pour violoncelle, les deux derniers ayant fait l’objet d’une gravure chez Lyrita), des chansons et cinq pages pour piano. La minuscule et virtuose Gigue de 1923 précède Thème, Variations et Fugue de 1928. Quinze minutes écrites sur l’instigation de John Ireland, encore marquées par le romantisme : après un thème à l’ambiance sombre, dix variations proposent un climat énergique, gracieux ou dansant, très expressif, parfois mystérieux, avant une Fugue marquée par l’émotion. Le panorama se complète par un Allegretto quasi Pastorale de 1933 qui évoque Bach, un paisible Intermezzo de 1935, et les ‘Nicholas Variations’ de 1942, écrites pour son fils né en 1939, un thème joyeux suivi d’une série de 28 miniatures contrastées où l’humour voisine avec la profondeur d’une expansion paternelle et sentimentale.

Ces deux mini-intégrales, gravées en octobre 2021, dépassent le simple aspect documentaire et inscrivent Rebecca Clarke et William Busch dans le domaine du piano britannique du XXe siècle, le programme faisant regretter que, pour des motifs différents, l’une et l’autre de ces personnalités n’ait pas plus écrit pour le clavier. Le jeu fluide de l’Anglais Simon Callaghan (°1983), qui a déjà enregistré pour Lyrita (notre article du 15 juillet 2022), mais aussi pour Somm, Resonus ou Hyperion, dans la série dédiée aux concertos romantiques, sert ces pages comme elles le méritent, avec une finesse de toucher qui leur accorde toute la sensibilité dont elles débordent. On lira avec un réel bonheur la notice très érudite de Paul Conway. 

Son : 9  Notice : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix  



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