Suites pour clavecin de Händel en plénitude, par Pierre Hantaï

par

Georg Friedrich Händel (1685-1759) : Suite n° 1 en la majeur HWV 426 ; Suite n° 2 en fa majeur HWV 427 ; Suite n° 3 en ré mineur HWV 428 ; Fugue en do mineur HWV 160 ; Suite n° 4 en mi mineur HWV 429. Pierre Hantaï, clavecin. 2020. Livret en française, en anglais et en allemand. 67.00 Mirare MIR480.

Né à Paris en 1964 dans une famille d’artistes où la peinture et la musique, qu’il pratique en formation de chambre avec ses frères, tiennent une place importante, Pierre Hantaï fait tout seul son premier apprentissage sur une petite épinette avant d’étudier auprès du claveciniste américain Arthur Haas. Suivent deux années de perfectionnement à Amsterdam auprès de Gustav Leonhardt, qui n’appréciait pas les pages pour le clavier de Händel, rejet transmis à son élève. Mais en 1989 paraît chez Erato un album consacré aux Suites pour clavecin dans l’interprétation de Scott Ross, publication suivie d’une émission radiophonique de Jacques Merlet à laquelle participe le jeune Hantaï avec Xavier Darasse, Davitt Moroney et Scott Ross. Cet échange sur les ondes fait réfléchir Hantaï, ainsi que, bientôt, une rencontre avec Sviatoslav Richter. Le claveciniste va saluer ce dernier à la fin d’un concert et se présente à lui. Richter lui pose la question : Est-ce que vous jouez Händel ?

Ces anecdotes tirées de la passionnante et remarquable notice du CD signée par Gaëtan Naulleau illustrent l’évolution de Hantaï qui, trente ans après Scott Ross, est devenu l’avocat le plus investi et les plus ardent du Livre de 1720, en contradiction avec les opinions de son Maître Gustav Leonhardt. Pour notre plus grand bonheur, pouvons-nous ajouter, car il propose de quatre des huit suites une vision magistrale, d’une grande liberté expressive, marquée d’un élan irrésistible. Même si son opéra Rinaldo avait rencontré un vif succès à Londres dès 1711, Händel ne se consacrait pas uniquement au domaine lyrique. La notice rappelle que la publication des Suites pour clavecin en 1720 a connu des rééditions dans les quinze années qui suivirent, à Londres, à Amsterdam et à Paris. On lira dans ce texte les péripéties des éditions pirates entreprises par l’atelier hollandais Roger, contre lequel Händel réagit en se faisant octroyer un privilège royal protégeant sa propre édition. Ce qui n’empêcha guère la maison des Pays-Bas de s’approprier pareillement le volume amendé par le compositeur. Le droit d’auteur n’était pas encore coulé dans les limites du droit…

Dans cet album réservé aux quatre premières Suites de 1720 qui, espérons-le, seront suivies des quatre suivantes, Pierre Hantaï fait preuve d’une virtuosité de haut vol, mais aussi d’une élégance et d’une imagination qui se renouvellent sans cesse et qui creusent le discours dans une avancée fascinante. A l’époque où il compose ces pages, Händel est encore un jeune musicien dont les qualités d’improvisateur et de naturel dans le jeu sont reconnues. On y relève diverses influences, françaises, italiennes et, bien sûr, allemandes. On y retrouve aussi les dispositions classiques Allemande/Courante/ Sarabande/Gigue, très nettement articulée dans la Suite n° 4, même si celle-ci est précédée d’un Allegro, et bien que Händel ait tendance à user de façon libre de ces habitudes. C’est ainsi que la Suite n° 2 est construite sur le schéma lent/vif/lent/vif et fait plus penser à une sonate préclassique. 

Cet enregistrement a été effectué en janvier 2020 à Haarlem, aux Pays-Bas (un clin d’œil aux éditions pirates du XVIIIe siècle ?), sur un clavecin conçu par Jonte Knif en 2004 d’après des modèles allemands de l’époque de Händel. L’instrument, mis à la disposition de Hantaï par le claveciniste québécois Olivier Fortin, bénéficie d’une riche et belle résonance, d’une profondeur éloquente et d’une couleur à la dominante sombre, qualités qui font merveille dans ce répertoire dont Hantaï maintient l’intérêt tout au long du parcours. Il traduit avec aisance et créativité les divers raffinements, les accords arpégés ou les allures de danses de la Suite n°1, tout comme les ornementations et la dextérité vive et enlevée de la Suite n°2, avec son atmosphère à l’italienne. Hantaï construit dans la Suite n° 3 un alliage idéal entre la majesté et le brio qui ne font pas l’impasse sur une certaine mélancolie. L’Air avec cinq variations, quatrième mouvement d’une longueur inhabituelle et qui peut paraître démesuré (plus de 9’30 dans un ensemble de pièces qui ne dépassent jamais les cinq minutes, et sont même parfois très brèves), trouve en Hantaï un lumineux traducteur. Quant à la Suite n° 4, avec son Allegro initial plein d’éclat et ses quatre mouvements de danses, elle permet à l’interprète d’achever de façon brillante ce superbe hommage à Händel qui, à trente ans de distance du rayonnement de Scott Ross, vient se placer tout en haut de la discographie.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix    

 

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